Que nous réserve la nouvelle année sur le plan stratégique et international? Se dirige-t-on vers une issue diplomatique des différents conflits planétaires ou à l'inverse les guerres continueront-elles de s'enliser et d'alimenter par effet domino une course vers l'armement planétaire ? Analyse. NIZAR DERDABI Ancien officier supérieur de la Gendarmerie Royale et enseignant à l'Ecole de guerre économique. Après deux années successives de crises sanitaire, économique et géopolitique, une seule question taraude l'esprit des analystes: que nous réserve donc l'année 2023 comme surprise stratégique ? Se dirige-t-on vers une issue diplomatique au conflit russo-ukrainien, imposée par le coût humain et financier de plus en plus lourd à supporter, ou bien risque-t-on de voir cette guerre s'enliser et alimenter par effet domino une course vers l'armement planétaire ? Et enfin, ces crises qui impactent les Etats au même titre que les citoyens excédés par les hausses des prix des produits de première nécessité ne risquent-elles pas de mener à de fortes tensions internes et de déstabiliser l'ordre international ? Ce qui semble déjà se dessiner dans ce nouvel ordre mondial multipolaire, c'est que nous sommes rentrés dans une période de crises et de conflits militaires ouverts et que l'année 2023 va vraisemblablement encore être marquée par le sceau de la guerre. Ainsi, à l'image de la crise sanitaire qui a mis deux ans avant de s'estomper – sans pour autant disparaître complètement –, la période de fortes tensions militaires va au moins s'allonger d'une année encore. Avec en ligne de mire le projet de la Chine de «récupérer» par la force Taïwan et l'éventualité d'une confrontation militaire directe entre Washington et Pékin. Mais d'autres conflits latents peuvent aussi éclater à tout moment : au Moyen-Orient où l'Iran, sur le point de se doter de l'arme nucléaire, inquiète Israël et l'Arabie Saoudite ou en Afrique où le Rwanda et la RDC sont à une étincelle près de déclencher une guerre fratricide. Un ciel constellé de missiles en tout genre En dehors des guerres, l'usage des missiles et armes de guerre était limité, il y a encore quelques années, à quelques exercices militaires de routine. Mais actuellement, la donne est complètement différente. Entre missiles balistiques tirés par la Corée du Nord en direction de la mer du Japon, essais de missiles hypersoniques russes et exercices militaires combinés de grande envergure rassemblant des forces armées de pays alliés, l'espace aérien mondial n'a jamais été autant traversé par des missiles ou autres bombes que durant l'année qui vient de s'écouler. Faut-il s'attendre à ce que la cadence de ces salves de tirs diminue ? Certainement pas. La Corée du Nord profite du détournement de l'attention des USA vers le théâtre d'opérations en Ukraine pour multiplier ses tirs de missiles pour intimider son voisin du sud. La Russie qui est de plus en plus poussée dans ses retranchements va vouloir montrer aux yeux du monde la puissance dévastatrice de ses nouvelles armes et technologies militaires, dont le redoutable missile hypersonique Zircon, pour dissuader les puissances occidentales alliées de l'Ukraine. Et enfin, les Etats vont chercher à multiplier les exercices militaires multilatéraux avec usage de missiles et de munitions réelles afin de préparer leurs troupes à des conflits de haute intensité. Frénésie d'achats d'armements Mais ce qui est le plus inquiétant, c'est la course à l'armement globale à laquelle se livrent un grand nombre de puissances militaires mondiales et régionales dans une volonté de mettre à niveau leurs capacités de défense en essayant de s'aligner sur celles des forces armées adverses. Les budgets militaires mondiaux atteignent des niveaux record stimulés par la guerre en Ukraine mais surtout par la course aux technologies de pointe en matière militaire. L'Allemagne a été la première puissance à annoncer quelques jours seulement après le début de l'invasion russe, en février 2022, un crédit exceptionnel de 100 milliards d'euros pour moderniser son armée en abandonnant sa doctrine pacifiste adoptée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et depuis, l'ensemble des pays européens ont suivi la même stratégie de réarmement massif en donnant la priorité aux armes et équipements militaires américains dans une volonté de bénéficier de la protection de la première armée au monde. Plus inquiétant encore, cette course à l'armement s'est étendue à des pays beaucoup plus mesurés jadis en termes de dépenses militaires. Tout récemment, le Japon a enclenché un réarmement inédit pour répondre à la menace chinoise en décidant d'augmenter ses dépenses militaires de 60% sur les cinq prochaines années et en apportant un changement à sa constitution qui permet désormais à ses troupes de se projeter en dehors des frontières. Et malheureusement, ce réarmement ne se limite pas qu'aux armes conventionnelles, car d'après le SIPRI (Stockholm Institute of Peace Research Institute), le nombre d'armes nucléaires dans le monde devrait repartir à la hausse dans la décennie à venir. maintenir l'équilibre des forces militaires La région du Maghreb n'échappe pas à cette tendance de réarmement. Dopé par la rente pétrolière, le pouvoir algérien sous influence militaire accorde au renforcement des capacités des forces armées algériennes un budget considérable. Selon le SIPRI, l'Algérie est le 1er importateur d'armes en Afrique et le 6e dans le monde ces 5 dernières années. Les forces armées algériennes ont donc bénéficié de quantités d'armes et d'équipements militaires très importantes. Et dans un souci de maintenir l'équilibre des forces militaires, les FAR ont entamé un renforcement de leurs capacités militaires afin de dissuader le régime algérien de toute tentative d'agression en optant pour du matériel de rupture stratégique comme les drones de dernières générations et de systèmes de défense anti-aériens. Ainsi, les FAR qui ont consenti une légère augmentation de leur budget de défense (passant de 10,53 milliards à 10,9 milliards de dollars pour l'année 2023) s'attendent à réceptionner durant cette année 24 hélicoptères d'attaque américains AH-64E Apache, un patrouilleur espagnol Navantia, ainsi que des chars US Abrams et des systèmes de défense aérienne Patriot. Mais la grande nouveauté est que pour répondre à un voisin belliciste et encore plus dépensier cette année en matière de budget de la défense (22,7 milliards de dollars pour 2023, en hausse de 130% par rapport à 2022), le Maroc mise sur le développement d'une industrie de défense nationale en collaboration avec des partenaires étrangers afin de bénéficier d'un certain niveau d'autonomie et de produire des armes qui répondent aux besoins opérationnels de ses forces armées. Et l'année 2023 va probablement voir la création des premières unités industrielles de fabrication de drones en partenariat avec le groupe israélien «Israel Aerospace Industries» pour la production de drones kamikazes basés sur les modèles Wander B et Thunder B déjà en dotation dans les unités des FAR. Par ailleurs, le constructeur canadien Inkas vient tout juste d'annoncer l'installation d'une unité de production à Casablanca de véhicules blindés pour les forces armées en attendant probablement d'autres constructeurs d'armement étrangers. L'année 2023 va incontestablement marquer un tournant pour l'industrie marocaine qui va commencer à développer un nouvel écosystème de défense qui viendra se greffer sur la plateforme de production automobile et aéronautique déjà performante et permettre au Maroc de rejoindre le cercle fermé des pays producteurs d'armes et d'équipements militaires. En 2023, année de tous les dangers sur le plan stratégique et international, le Maroc pourra s'appuyer sur ses forces et ses atouts pour répondre aux menaces sécuritaires et militaires dans son voisinage : une diplomatie forte et influente, des forces armées rodées, entraînées et très bien équipées et une industrie de défense en cours de développement pour s'imposer comme puissance militaire régionale au service de la paix et de la stabilité dans la région de l'Afrique du Nord.