Les syndicats réclament encore une fois des augmentations. En huit ans, l'Etat a injecté 30 milliards de DH de plus dans les salaires et, en cinq ans, le salaire moyen dans la fonction publique a crû de 23%. Après avoir été ramenée de 11,8% à 10,4% du PIB entre 2004 et 2008, suite à l'opération des départs volontaires, la masse salariale en représenterait à la fin de cette année 10,3% et resterait quasiment au même niveau en 2010. C'est reparti pour un nouveau round de dialogue social. Gouvernement et syndicats ont repris langue lundi 26 octobre comme prévu, mais la réunion a dû être «écourtée» pour des raisons de calendrier du Premier ministre. Elle fut donc plutôt «formelle», selon l'expression d'un syndicaliste. Cette rencontre, à laquelle ont pris part l'UMT, la FDT, l'UNMT et l'UGTM (la CDT étant programmée pour le lendemain 27 octobre), a finalement été reportée au 2 novembre. Au vu des revendications des uns et des autres (voir La Vie éco du 23 octobre 2009, www.lavieeco.com), la partie risque d'être serrée et l'automne plutôt chaud ! C'est que, en tête de leurs priorités, les syndicats placent la question de l'amélioration des revenus (salaires et retraites) et n'en démordent pas. Le gouvernement a beau aligné les chiffres attestant de ses efforts en direction des salariés, rien à faire. Les syndicats s'en tiennent à une équation en apparence simple : d'une part, les améliorations déjà octroyées sont en fait un rattrapage de ce qui aurait dû être fait plus tôt, et, d'autre part, les hausses de prix, que le niveau de l'inflation ne reflète pas selon eux, ont déjà «annulé» l'effet des augmentations décrétées. Sans compter, ajoutent-ils, que le niveau des augmentations n'est pas le même pour tous. «On nous parle de la baisse de l'impôt sur le revenu comme d'une hausse, indirecte, des salaires. On oublie que le gros de la troupe, ceux qui touchent des petits salaires, ne sont pas concernés», s'énerve un syndicaliste de la Fédération démocratique du travail (FDT). Nolens volens, la question des rémunérations, presque consubstantielle à la libéralisation de l'économie, sera désormais au cœur des luttes sociales. Il faudra donc faire avec, mais l'autre question qui se pose simultanément est de savoir quelles marges de manœuvre a encore le gouvernement et, plus généralement, l'économie dans son ensemble, pour répondre à une telle exigence. D'abord, le gouvernement : peut-il faire plus que ce qu'il a déjà fait ? En a-t-il les moyens ? Pour s'en tenir à la fonction publique étatique, la masse salariale s'établira à 76,4 milliards de dirhams en 2009, elle passera à 80,5 milliards en 2010, pour près de 800 000 fonctionnaires (en comptant les 23 000 recrutements programmés pour 2010). Après avoir été ramenée de 11,8% à 10,4% du PIB entre 2004 et 2008, suite à l'opération des départs volontaires qui a permis d'alléger les effectifs du secteur public de 40 000 personnes, mais surtout à la hausse du produit intérieur brut (PIB), la masse salariale en représenterait à la fin de cette année 10,3% et resterait quasiment au même niveau en 2010. C'est encore beaucoup, jugeront les uns, soutenables estimeront les autres. 7 150 DH, c'est le salaire moyen dans l'administration, un directeur atteint 23 500 DH Autre argument en faveur de l'Etat, selon les statistiques de la Trésorerie générale du Royaume (TGR) arrêtées à fin 2008, le salaire moyen dans la fonction publique a augmenté de 23 % en cinq ans (2004-2008), passant de 5 800 DH à 7 150 DH, soit une hausse annuelle moyenne de 4,6 %. Présentée ainsi, cette évolution est largement au-dessus du niveau de l'inflation (une moyenne de 2%). Avec l'amélioration découlant de la baisse de l'impôt sur le revenu (IR) en 2009 puis en 2010 et de la deuxième tranche d'augmentation des traitements intervenue en juillet 2009, la rémunération moyenne est sans doute un peu plus élevée. Rien qu'avec les deux baisses de l'IR et les augmentations entrées en vigueur les 1er juillet 2008 et 2009, ce sont environ 11 milliards de dirhams qui sont injectés dans les salaires (publics et privés) en deux ans. Le problème est que le raisonnement par la moyenne donne une vue pour le moins imparfaite de la réalité. Et c'est encore plus vrai dans un contexte où les écarts de salaires, comme dans la fonction publique, sont importants (un rapport de 1 à 30 selon les syndicats, 1 à 26 selon le ministère de la modernisation des secteurs publics). A titre d'exemple, dans l'administration de la justice, le salaire moyen est de 7 662 DH, 7030 DH à l'agriculture, 6 330 DH à l'équipement, 4 516 DH à la DGSN et … 3 527 chez les Forces auxiliaires. Qu'est-ce que 3 000 DH aujourd'hui ? Qui peut s'en contenter ? Comment un fonctionnaire, d'autorité ou pas, peut-il vivre avec un traitement aussi bas ? Surtout lorsqu'on sait que, dans leur écrasante majorité (72%), les fonctionnaires sont à la tête d'un foyer. Il faut savoir qu'en 2008, près de 17% des fonctionnaires percevaient un salaire net inférieur ou égal à 3 000 DH par mois ; 76% un salaire net égal ou inférieur à 6 000 DH et que seulement 1,8% touchent 15 000 DH et plus (voir tableau). Dans l'administration centrale – c'est pire dans la fonction publique locale – il existe des fonctionnaires qui n'ont pas encore atteint 15 000 DH par mois après 30 ans de services et bien qu'occupant un poste important (chef de division). Un directeur au ministère de l'équipement, par exemple, qui gère un budget de 2 à 3 milliards de DH par an, touche 23 500 DH ! Avec la responsabilité qui pèse sur lui, et en comparaison avec ce que peut lui offrir le privé, on ne peut pas dire que ce haut fonctionnaire est vraiment choyé. Soit dit en passant, au moment de la préparation de la Loi de finances 2010, on avait songé à augmenter les rémunérations des directeurs et autres secrétaires généraux, mais l'idée a finalement été abandonnée, selon des sources syndicales. Dans le privé, un jeune cadre démarre avec un minimum de 5 000 DH De fait, le niveau de rémunération dans la fonction publique ne paraît pas correspondre –ou si peu– à la situation statutaire des fonctionnaires : en 2008, le taux d'encadrement (échelle 10 et plus) dans l'administration étatique était de 55%, contre 45% en 2004 (voir tableau). Or, ils sont à peine 21% à percevoir des salaires de 7 000 DH et plus. Très clairement, la fonction publique n'est pas, ou plus, attractive. Dans le privé, un jeune cadre démarre avec un minimum de 5 000 DH, et même davantage dans certains secteurs ; et très rapidement, il peut doubler sinon tripler son salaire quand un fonctionnaire doit, lui, attendre des années voire des décennies pour espérer améliorer sa situation. Ce problème, à chaque fois qu'il est soulevé, fait surgir la question de la performance, de la productivité de l'administration. Mais comment la mesurer ? Le ministère de la modernisation des secteurs publics (MMSP) a mis en place une réforme dans ce sens, avec l'élaboration d'un système de notation, mais celui-ci ne semble pas faire l'unanimité. Les syndicats en particulier mettent en avant le subjectivisme du chef hiérarchique qui, disent-ils, risque d'en altérer le sens ! Mais au-delà des considérations liées à la productivité des fonctionnaires, le problème qui se pose d'abord, et qui est déjà diagnostiqué, c'est celui de «l'obsolescence» du statut général de la fonction publique et des statuts particuliers régissant la rémunération des fonctionnaires. Résultat des courses, d'un côté, une hausse continue de la masse salariale (+ 23% entre 2004 et 2008), et, de l'autre, l'éternelle insatisfaction des fonctionnaires, dont les salaires, ceux des basses échelles notamment, sont vite rattrapés par l'inflation. «Les pertes de pouvoirs d'achat sont réelles et affectent davantage les petits fonctionnaires que leurs collègues des hautes échelles, ce qui aggrave les inégalités», écrit la Banque mondiale dans un rapport sur le sujet. Celle-ci estime à 1% la perte de pouvoir d'achat pour les hautes échelles et 2,7% pour les petites. La masse salariale, c'est tout de même 59 % du budget de fonctionnement en 2010 Et pourtant ! Entre 2000 et 2007, ce sont 30 milliards de dirhams qui ont été injectés sous forme d'augmentations de salaires, selon le décompte fait par le MMSP : 16,4 milliards sous forme de hausses généralisées, 12 milliards dédiées aux promotions exceptionnelles et 800 millions de dirhams au titre de la baisse de l'IR intervenue en 2007. En y ajoutant le 1,7 milliard de dirhams de hausses directes (en deux tranches), intervenues les 1er juillet 2008 et 2009, cela fait près de 32 milliards de dirhams, non compris les retombées de la baisse de l'IR en 2009 (plus de 1 milliard pour la fonction publique sur un total de 4,9 milliards) et celles à venir le 1er janvier 2010. Au total et au regard des données statistiques, la fonction publique n'est pas si mal lotie que l'on aurait tendance à le croire : la masse salariale pour 2010 par exemple, en hausse de 5,3% par rapport à 2009, c'est tout de même 58,7% des dépenses de fonctionnement du Budget général (hors dette bien sûr), 65% des dépenses de biens et services, 40,2% des dépenses totales du Budget général et 10,3% du PIB. Le problème, manifestement, se niche ailleurs : il est dans la répartition de cette importante enveloppe. Le MMSP en est évidemment conscient puisqu'il projette de mettre en place un nouveau système de rémunération «motivant, équitable et transparent», selon les termes de référence de l'étude qu'il est en train de faire réaliser sur le sujet. «L'objectif du nouveau système est de parvenir à des traitements qui rémunèrent l'emploi réellement occupé en tenant compte de la performance des fonctionnaires dans la réalisation des objectifs définis préalablement», explique-t-on au MMSP. En attendant, place aux revendications des syndicats…