Ouvert à l'inhumation en 1990, il est le deuxième plus grand cimetière de Casablanca après Al Ghofrane; on y enterre entre 15 et 20 morts par jour. Fonctionnaires, agents chargés de l'entretien, «tolbas» mendiants, «guerrabas», vendeurs d'eau de rose, des corps de métiers divers, pour la plupart informels, vivent de cet univers. Un soleil et un vent printaniers, l'exubérance des arbres et autres plantes qui trouvent une place entre les tombes, un calme que l'on en trouverait nulle part dans la métropole, donne au vivant l'envie de se promener dans le lieu, malgré son atmosphère macabre. Ornées de leurs pierres sépulcrales et leurs inscriptions stellaires, des milliers de tombes s'étendent sur plusieurs dizaines d'hectares : nous sommes au cimetière Arrahma, le deuxième plus grand de Casablanca avec ses 95 hectares, après celui d'Al Ghofrane (160 ha). A peine le grand portail franchi par un cortège mortuaire pour acheminer la dépouille vers la mosquée (pour la rituelle prière des funérailles), qu'une nuée de mendiants et handicapés fondent sur la procession. Spectacle habituel à tous les cimetières : les demandeurs d'aumône savent que la perte d'un être cher a raison des cœurs les plus endurcis, et les accompagnateurs du défunt à sa dernière demeure se montrent, devant l'adversité, plus charitables.
Des entrées, mais également des sorties Il est 16h30 en ce jour du mois de mai, deux heures nous séparent de la fermeture des portes. Brahim, le préposé à la réception, un quadragénaire au visage émacié, reçoit les trois dernières demandes d'inhumation de la journée. Il délivre pour chacune un bon d'enterrement qu'il détache d'un petit carnet et le tend au demandeur, après y avoir inscrit le nom du défunt, la date et le numéro de la fosse. La souche restera dans le carnet et ce n'est qu'à la fin de la journée, après la fermeture des portes, qu'il fait l'inventaire des morts enterrés ce jour-là en reportant les renseignements sur un registre, à la manière d'un magasinier qui, en fin de journée, fait l'inventaire des entrées et des sorties de la marchandise. Car dans un cimetière, il n'y a pas que des enterrements, il arrive aussi qu'on y déterre des corps pour les besoins d'une autopsie, ou quand il y a des translations, c'est-à-dire des transferts de corps d'un cimetière à un autre. «Mais cela est très rare, et les sorties, on les inscrit dans un registre à part», indique Brahim, d'une voix insensible au spectacle macabre des morts qui défilent quotidiennement devant ses yeux. En homme non pressé, il prend même la peine d'ouvrir le registre pour nous indiquer que le premier mort enterré dans ce cimetière, portant le numéro 1, a été inhumé le 1er juin 1990. Dans le cimetière Arrahma, on enterre entre 15 et 20 morts par jour. Parfois, nettement plus «quand il y a des catastrophes. Comme à la suite de ce jour sanglant du 16 mai 2003 (attentats terroristes de Casablanca), ou celui de l'incendie de l'usine Rosamor (été 2008)», confie Brahim qui officie dans ce cimetière depuis son ouverture. Le nombre d'enterrements pendant la saison estivale augmente sensiblement, ajoute-t-il, «à cause des accidents de la route, des noyades, mais aussi pendant le Ramadan quand des malades et des personnes âgées s'obstinent à jeûner malgré l'avis contraire du médecin». Dans tous les cas, pas de favoritisme au niveau du choix de la tombe, les morts sont envoyés à leurs fosses les uns après les autres, selon l'ordre de leur arrivée au cimetière, sauf, bien entendu, pour quelques familles privilégiées qui disposent de caveaux achetés à l'avance. Plusieurs ventes ont été effectuées dans ce cimetière depuis 1990, et leurs recettes sont allées alimenter le budget de gestion et d'entretien. Le prix du caveau, selon Mohamed Rahmouni, le conservateur du cimetière, est en fonction non pas de la superficie du lopin de terre, mais du nombre des tombes : entre 90 000 et 150 000 DH. 1 700 bébés sont annuellement enterrés au cimetière Arrahma Annuellement, on enregistre dans ce cimetière jusqu'à 5 500 enterrements, la majorité (les deux tiers) des décédés sont âgés de plus de 11 ans. Le reste est constitué d'enfants, voire de bébés. «Nous enterrons ici jusqu'à 1 700 bébés par an, dont plus de la moitié est issue de parents inconnus, envoyée directement de la morgue», précise M. Rahmouni. Le nombre d'enterrements dans un cimetière dépend, il faut le savoir, de l'espace géographique que couvre ce dernier et de la densité de sa population (voir encadré). Dans tous les cas, comme les inscriptions des nouveaux-nés à l'état civil, le permis d'inhumer est délivré par l'arrondissement dont dépend le quartier où la personne est décédée. Après avoir obtenu le bon d'enterrement et terminé le rituel de la prière, les trois derniers cortèges mortuaires dirigent les dépouilles jusqu'aux fosses qui leur sont attribuées. Plusieurs corps de métiers se mobilisent alors pour offrir leurs services. Les «tolbas» d'abord, emmitouflés comme il se doit dans des djellabas blanches : ce sont eux qui psalmodient quelques versets du Coran au moment de l'enterrement. Ils ne sont pas engagés officiellement par les autorités du cimetière, mais ils sont là pour accomplir leur «devoir» religieux en contrepartie de quelques dizaines de dirhams. Il y a aussi les vendeurs d'eau de rose qui se précipitent pour tendre leurs bouteilles à la famille du défunt, eau avec laquelle on asperge la dépouille au moment de sa mise dans la fosse. Les «guerrabas» sont aussi de la partie à tendre leurs gobelets d'eau fraîche. Et il y a aussi les chargés du comblement de la tombe à l'aide des pelles. Tout ce beau monde, y compris les mendiants, est à pied d'œuvre dès la première heure de l'ouverture du cimetière. Entre les tombes, quelques travaux sont en cours. Ils sont engagés par l'entreprise chargée par le conseil de gestion du cimetière, des travaux de creusement et de comblement des tombes, du nettoyage et de la réfection des voiries et des passages entre les tombes. L'entreprise est également sollicitée pour une autre besogne, importante dans un cimetière : la construction des tombes. Il s'agit du travail de revêtement et d'embellissement de ces dernières pour le compte des familles qui le demandent, et à la charge de ces dernières. Nous nous approchons de l'un de ses agents, conduisant une brouette remplie de graviers et de ciment. Othmani, c'est son nom, est connu à Arrahma pour avoir «bâti» des milliers de tombes. L'après-midi de notre visite, il s'affairait à placer le carrelage sur l'une d'elles. «Elle héberge une femme enterrée au mois d'avril dont la famille a demandé que l'ouvrage soit en marbre», indique Othmani. Le prix de la construction de la tombe ? Il dépend de la qualité du matériau de construction, répond-il : «Briques, simple carrelage ou marbre, le prix varie donc entre 400 et 2 500 DH. Mais il y a des tombes jamais construites, abandonnées à leur sort après l'enterrement, et qui restent couvertes uniquement de terre battue, avec une simple pierre en guise de plaque commémorative. Le problème avec ces tombes est le risque qu'elles soient envahies ou même carrément ensevelies sous les plantes». Il y a en effet des tombes, pour une raison ou une autre, sur lesquelles personne ne se recueille après l'enterrement, et l'un des devoirs du conservateur du cimetière est la préservation des tombes et leur protection de toute perte et de toute profanation. Un devoir essentiel, notamment à l'égard des tombes négligées. Pour les autres, confie M. Rahmouni, «elles sont entretenues par les familles, qui continuent régulièrement de se recueillir sur elles. La visite du mort n'est-elle pas une obligation religieuse ?». Risque de profanation ? «Oui, ça peut exister, mais jamais encore dans ce cimetière», tranche Othmani. Le coût pour avoir droit à une tombe simple est de 170 DH Riches ou pauvres, qu'ils aient droit à des visites posthumes ou abandonnées, toutes les tombes ont droit à la protection : de l'usure, de la perte et des mains profanatrices. C'est au conservateur du cimetière, représentant le ministère de l'intérieur, qu'incombe cette tâche. Sans qu'il ne dispose d'aucune couverture d'agents d'autorité, mais seulement de quelques gardiens civils. Quant au coût d'une tombe, il n'est pas cher au Maroc, selon le conservateur, comparativement avec d'autres pays : 170 DH en tout et pour tout. 100 DH versés à l'administration du cimetière et 70 DH qui va à l'entreprise chargée du creusement et de comblement des fosses. Qui gère le cimetière Arrahma ? Comme tous les autres cimetières, il est sous la tutelle de la commune. C'est un conseil de groupement intercommunal qui le gère, à Arrahma, composé de six personnes, quatre représentent le conseil de la ville de Casablanca et deux la commune rurale de Dar Bouazza. Il dispose d'un budget autonome et gère toutes les affaires du cimetière, dont l'engagement de l'entreprise qui se charge du creusement et du comblement, et de celui de l'entretien. Quant au conservateur, il est comme le secrétaire général d'une commune. «Je suis l'interface entre le conseil du cimetière et le ministère de tutelle, celui de l'intérieur, et non pas celui des affaires islamiques comme beaucoup de gens le pensent», précise M. Rahmouni. Il est le chef de service des fonctionnaires qui travaillent sur place et le protecteur du cimetière. Le budget de ce dernier est estimé, bon an mal an, entre 1,2 et 1,8 MDH. Il provient de la vente des caveaux, de la taxe de la construction des tombes (entre 50 et 200 DH), des recettes du parking, et, surtout, d'une subvention du conseil de la ville de Casablanca qui s'est élevée cette année à 900000 DH. «Il faut dire que 70 % de ce budget sont engloutis dans le paiement des salaires et les indemnités des quatre fonctionnaires sur place et des 14 ouvriers», précise M. Rahmouni.