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«Allah yerhem» nos cimetières*
Publié dans L'observateur du Maroc le 08 - 02 - 2010

Préservatifs usagés, bouteilles d’alcool brisées, montagnes de déchets… L’herbage sauvage engloutit les tombes, les orties emmaillotent les pierres tombales, la broussaille enterre la spiritualité du lieu… Sinistre, macabre, lugubre, le cimetière de Bab Maâlka à Salé reflète la mort. Il est loin d’être un lieu de mémoire. Ce n’est pas pour rien que les visiteurs l’ont déserté. «Je me recueillais chaque semaine sur la tombe de mon père jusqu’au jour où deux malfrats ont arraché mon sac» raconte tristement Souad, avant d’ajouter qu’il n’y avait aucun gardien sur place. Négligemment ensevelies, la plupart des tombes tombent en ruine.
Le cimetière de Bab Maâlka n’est plus qu’un repaire d’alcooliques, de vagabonds et de couples en mal de lieux intimistes libres et gratuits d’accès. Le jour, le gazouillement passager des oiseaux laisse place à un silence de mort qui domine les lieux. L’ambiance est effrayante. La nuit est moins calme. On y entend les chants hilares et les innombrables disputes des soûlards noctambules. Selon Souad, ce cimetière est également le lieu où sont perpétrés différents actes de sorcellerie : des morts sont parfois déterrés, des gris-gris et des photos de couples pendouillent sous les pierres tombales… Que Dieu ait en sa sainte miséricorde «makbarat Bab Maâlka». Ce n’est plus un cimetière…
Autre cimetière, autre ambiance…funèbre
A «makbarat Arrahma» (cimetière de la pitié), l’appel à la prière d’Al Asr retentit. Quelques prieurs accourent à la mosquée. A leur sortie, deux cortèges mortuaires se dirigent vers la partie où les tombes des morts de 2010 sont préparées. «La mort ne nous a pas gâtés aujourd’hui», ironise Hamid, fkih depuis sept ans dans ce cimetière, avant d’ajouter que six personnes seulement ont été enterrées durant toute la journée. Mendiants, fkihs, vendeurs de fleurs et d’eau de rose, fossoyeurs, «guerraba» (porteurs d’eau) entourent les deux cortèges et exposent leurs «marchandises». Les prières fusent, les voix des fkihs se mêlent au tintamarre des deux camionnettes qui transportent les dépouilles et les proches des disparues. Comme le veut la tradition, les fossoyeurs cachent d’un drap blanc l’enterrement parce qu’il s’agit de deux femmes. Le moment du dernier adieu est émouvant.
Le cimetière «Arrahma», où 10 à 30 morts par jour sont enterrés, respecte mieux ses «habitants». Noyé dans un silence moins angoissant qu’ailleurs, le deuxième plus grand cimetière de Casablanca après Al Ghofrane, s’étend sur plusieurs dizaines d’hectares. «Ce cimetière peut accueillir des corps pour les quinze prochaines années», explique un fossoyeur de la place. Ici et là, plusieurs bonhommes en uniforme vert et gris s’activent pour arracher les herbes sauvages poussant sur les passages entre les tombes. Ils balaient vigoureusement les différentes chaussées qui longent les tombes des «nouveaux arrivants». «C’est un conseil de groupement intercommunal qui se charge de la gestion du cimetière. Il est composé de six personnes, dont quatre représentent le conseil de la ville de Casablanca et deux la commune rurale de Dar Bouazza. Il adopte le même système des collectivités locales», explique Mohamed Rahmouni, conservateur du cimetière Rahma. Parce qu’il mieux géré, le cimetière est mieux entretenu.
Quid du budget ?
«Hormis une subvention du conseil de la ville de Casablanca, nous bénéficions des revenus des ventes des caveaux et des tombes, la construction des tombes et le parking», répond le conservateur. Le prix de la construction des tombes varie selon le matériau de construction. Dans le même cimetière, un simple carrelage coûte 50 dirhams, le zellige et les pierres taillées coûtent 100 dirhams, le marbre 200 dirhams... Selon un gardien, le prix de la construction peut dépasser 2.500 dirhams lorsque c’est un «maâlem» (maçon émérite) qui se charge des travaux.
De l’autre côté du cimetière, d’autres uniformes oranges attirent l’attention. Il s’agit des agents travaillant pour l’entreprise qui se charge des travaux de creusement, de comblement et de construction des tombes. Conduisant une brouette de ciment, un fossoyeur nous confie que depuis l’ouverture du cimetière en 1990, le seul entrepreneur qui a eu ce marché est toujours le même. ?trange lorsqu’on sait que plusieurs compagnies marocaines de pompes funèbres ont vu le jour. «A ma connaissance, il n’y a que deux entreprises de pompes funèbres à Casablanca : celle de Bouchaïb El Hajjar qui se charge des cimetières Chouhada, Sbata et Ghofrane, et celle de M’Barek Mabchour pour le cimetière Rahma», précise notre interlocuteur. «Il y a plusieurs compagnies privées», répond Lhaj Hassan Aziz, responsable du cimetière Ghofrane et président de l’association de l’entraide sociale qui se charge de la gestion et l’entretien du cimetière. «Chaque trois ans, on lance des appels d’offre dans les journaux pour les entreprises privées qui seraient intéressées. Le mois prochain, sera sélectionnée la compagnie qui remplacera l’actuelle», ajoute-t-il. Ainsi, les revenus sont partagés entre l’administration du cimetière et l’entreprise qui s’en charge. Et d’après les prix des tombes que le conservateur du cimetière Rahma nous a communiqués, le budget est loin d’être suffisant pour assurer une «bonne demeure éternelle» pour les morts. Les prix des tombes sont répartis en trois catégories : 170 dirhams la tombe d’un «vieil» adulte. 135 dirhams sont versés à l’administration du cimetière et les 35 restants vont à l’entreprise. Pour la tombe d’un enfant, le prix est fixé à 60 dirhams dont 10 vont à la compagnie. Et 105 dirhams pour la tombe d’un jeune dont 90 sont versés à l’administration.
Manque de sécurité
La mort fait peur, le cimetière aussi. L’ambiance macabre et froide dépouille les plus téméraires de leur courage. Seulement, lorsque le recueillement devient un risque à courir, le cimetière ne fait plus office de dernière demeure mais d’endroit de périls. Ce n’est pas l’avis de Hamid, fkih dans le cimetière Rahma. Sleon lui, les lieux sont très bien gardés. «Les gardiens sont répartis sur l’étendue du cimetière, donc on ne reçoit jamais de mauvais visiteurs», insiste-t-il. Pas de couples profitant de la discrétion de l’endroit, pas de vagabonds en quête d’alcool brûlé et pas de voleurs en désespoir. Pourtant, quelques bouts de bouteille d’alcool cachés sous l’herbe recouvrant une tombe détrompent le jeune fkih qui, suivant notre regard, esquisse un sourire presque innocent. «On avait recruté des gardiens privés qu’on payait du budget du cimetière et qui surveillaient les lieux à longueur de journée. Sauf que la gendarmerie royale, censée garder l’endroit, a refusé l’initiative», se désole H. Aziz. La camionnette de la gendarmerie royale faisait quelques tours, particulièrement vendredi, lorsque les visites sont fréquentes. «On a besoin de plus de sécurité», s’insurge le responsable du cimetière Ghofrane. «On a beau protester auprès de la préfecture pour y remédier, en vain», maugrée-t-il, l’air désolé. Il s’insurge aussi contre les mendiants et les ambulants qui dérangent les visiteurs lors de ce moment intime de recueillement sur la tombe de leur regretté(e) défunt(e). Pire, certaines personnes, dont quelques uns sont de la même famille, élisent domicile dans le cimetière depuis des années. Perdant tout espoir d’être relogés ailleurs, ils préfèrent jeter leur dévolu sur «Rouda el manssia» à Casablanca ou ailleurs.
Le business de la mort
«On travaille dans le social. Alors que la famille d’un défunt ne s’y comment s’y prendre pour l’enterrer, la compagnie des pompes funèbres se charge de tout mettre en place», explique Mohamed Rami directeur de la Compagnie marocaine de pompes funèbres et président de l’Association nationale des entrepreneurs des pompes funèbres. Dès l’annonce du décès, la compagnie se charge du constat de la mort, du certificat de décès, de l’achat de la tombe, du transport de la dépouille et même de la cérémonie des funérailles. La mort crée-t-elle son business ? «Le business comprend toutes les activités», répond le directeur. La vague du développement, voire des nouvelles technologies, touche également le marché de la mort, qui est réglementé. «Les familles n’ont pas le temps pour accomplir les démarches nécessaires après le décès d’un proche. C’est ainsi qu’elles cherchent des structures pour s’en charger», ajoute-t-il. Par ailleurs, la compagnie traite également avec les non-musulmans. Pour les chrétiens, la société se charge évidemment du transport du corps jusqu’aux caveaux après que la famille ait choisi le cercueil dans un catalogue. Les prix diffèrent selon la qualité. Un cercueil vernis avec un lit, une croix et une enseigne avec le nom du défunt varie entre 4.000 et 20.000 dirhams. En revanche, les rituels de la communauté israélite s’approchent un peu de ceux des musulmans puisque les familles juives se chargent elles-mêmes de la dépouille. Elles ont même leur propre marbrier. Quant aux musulmans, le devis dépend des démarches accomplies. Pour le transport de la dépouille, le prix varie entre 300 et 500 dirhams selon la distance et quelques contraintes (déplacement de l’hôpital à la maison avant de se diriger vers le cimetière)…
Malgré tout, la société marocaine n’arrive toujours pas à assimiler la nécessité d’une société de pompes funèbres. «Il y a encore les voisins qui viennent en aide et qui préparent la cérémonie des obsèques. Contrairement aux chrétiens qui préfèrent que la compagnie se charge de tout», souligne M. Rami. Selon un sociologue, malgré plusieurs mutations sociologiques, la société marocaine ne peut se détacher de cette solidarité entre les familles. Surtout lorsqu’il s’agit de la mort… Un mal que tout l’entourage subit même si l’on ne connaît pas le défunt. Autre exemple de solidarité au Maroc, la charte de règlement de la compagnie marocaine de pompes funèbres exige d’inhumer gratuitement le corps d’un défunt dans certaines situations. C’est le cas notamment pour des migrants clandestins.
*Que Dieu accueille nos cimetières en sa sainte miséricorde


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