Des élus et des responsables politiques en détention préventive et de hauts fonctionnaires devant la justice. Le début du mandat du gouvernement sera-t-il associé à une vaste campagne de lutte contre la corruption ? La lutte contre la corruption, ou la prévarication, ou encore le «Fassad» comme certains aiment désigner ce fléau, n'est finalement pas une simple promesse électorale. Ce n'est pas non plus un slogan publicitaire brandi par le gouvernement. La lutte contre la corruption ce sont des faits, c'est dans le comportement et la réaction des partis. Et les faits, l'actualité nationale nous les livre justement. Mercredi, le Parquet général près la Cour d'appel de Casablanca annonçait l'interpellation de 31 personnes dont de hauts fonctionnaires du ministère de la santé et des chefs d'entreprises. Une vingtaine a été mise en détention préventive et les autres furent placés sous différentes mesures de contrôle judiciaire, allant de la fermeture des frontières au dépôt de cautions pour assurer la comparution pour procédures d'enquête. Tout ce beau monde est poursuivi entre autres pour détournement et dilapidation de fonds publics, mais aussi abus de pouvoir et corruption, entre autres chefs d'inculpation. Il y a quelques jours, à Fès, un parlementaire et président de la Commune de Oulad Tayeb, a été placé en détention provisoire ce 22 mars, notamment pour corruption. Il n'est pas le seul, puisque son frère, président du Conseil préfectoral de Fès, ainsi que des fonctionnaires communaux et auxiliaires d'autorité, entre autres individus, ont également été interpellés en même temps. Le parlementaire en question a été entendu par la même brigade chargée des crimes économiques et financiers devant laquelle a comparu, il y a quelque temps, l'ancien président islamiste de la région de Draa-Tafilalet. Et ce n'est qu'un détail. Bref, la réaction de son parti est pour le moins inattendue, ce n'est après tout pas le genre de réaction auxquelles se sont habitués les Marocains, surtout durant cette dernière décennie. En effet, le RNI n'a pas clamé en public : «Nous n'allons pas vous livrer notre frère». C'était la réaction du PJD lorsqu'un de ses dirigeants a été appelé à comparaître devant la justice pour sa présumée implication dans une affaire de meurtre. Les dirigeants du RNI n'ont pas martelé : «Si vous l'emmenez en prison, enfermez-nous avec lui». C'est le genre de discours auquel nous sommes habitués et que le patron du PJD vient de tenir à nouveau il y a quelques semaines en évoquant l'implication de l'ancien maire de Marrakech dans une affaire de dilapidation des biens publics. On n'a rien vu de cela après l'arrestation du député et responsable régional du RNI. Au contraire, à peine son interpellation rendue publique, la coordination régionale du parti à Fès s'est empressée de diffuser un communiqué au grand public dans lequel elle précise que tout en ayant foi en le principe selon lequel toute personne est innocente jusqu'à preuve du contraire, elle décide de geler les activités des personnes concernées en attendant que le tribunal se prononce. C'est le genre d'attitude que l'on pourrait attendre d'un parti qui se respecte. Un parti politique n'est pas, en effet, un tribunal pour décider qui est innocent et qui ne l'est pas. Mais il peut prendre ses dispositions pour ne pas influer, d'une manière ou d'une autre, sur le cours de la justice. En même temps, une autre enquête impliquant également un député parlementaire de l'UC se poursuit à Settat. A l'heure de la rédaction de ces lignes, un haut responsable bancaire également impliqué dans cette affaire a été mis en détention provisoire. D'autres parlementaires seraient dans la ligne de mire de la justice. Par ailleurs, et suite à la publication du dernier rapport de la Cour des comptes, on fait état de la possible interpellation de plusieurs anciens responsables communaux, dont des présidents de communes. Dans tous ces cas et à aucun moment, aucune partie n'a essayé d'influer le cours de la justice. Que dire des affaires, toujours en cours, dans lequelles sont impliqués des dirigeants islamistes. L'ancien maire de Tétouan, son collègue et «frère» de Marrakech, l'ancien président de la région de Draâ-Tafilalet, parmi tant d'autres, doivent aujourd'hui, eux aussi, répondre des faits qui leur sont imputés et à leur tête la dilapidation des biens publics. Tout porte à croire que cela ne fait que commencer. Et il ne s'agit sans doute pas d'une campagne ponctuelle qui, plus est, coïncide avec le début du mandat du nouveau gouvernement. Et dire qu'en 2016, déjà, le gouvernement avait lancé officiellement la «stratégie nationale de lutte contre la corruption». Laquelle stratégie, rappelons-le, s'articule autour de cinq piliers principaux, notamment la gouvernance, la prévention, la répression, la communication et la formation. Mais durant les cinq années qui ont suivi, le gouvernement n'a fait que répéter qu'il est là pour lutter contre la corruption. Et dire, encore une fois, que bien avant l'avènement du gouvernement islamiste, le Maroc avait déjà entrepris de mettre en place les fondements nécessaires pour mettre fin à ce fléau. En effet, en 2005 le gouvernement avait mis en place le premier plan d'action gouvernemental de lutte contre la corruption. Deux ans plus tard, le Royaume est devenu Etat Partie à la Convention des Nations Unies contre la corruption. Immédiatement après, il a mis en place l'Instance nationale de probité, de prévention et de lutte contre la corruption (INPPLC). Laquelle instance a été consacrée par la Constitution et qui vient d'ailleurs de voir ses pouvoirs et attributions élargis tout récemment. Entre autres attributions, cette instance couvre désormais les infractions et délits mentionnés par le code pénal, les conflits d'intérêts, les délits d'initiés et infractions financières sanctionnés par la loi mais aussi le trafic d'influence et de privilèges ou encore les abus de position dominante et de monopole et, globalement, toutes les autres pratiques contraires aux principes de la concurrence libre et loyale. Bien évidemment, en plus de cette instance d'autres organismes veillent à la bonne gestion des deniers publics. La Cour des comptes en fait partie au même titre que l'Inspection générale des finances (IGF) et l'Inspection générale de l'administration territoriale (IGAT). Au final, la lutte contre la corruption, ce sont des actions et des faits, il ne s'agit pas de se limiter à insérer une clause incriminant l'enrichissement illégal dans un projet de réforme du code pénal qui n'a jamais quitté le Parlement pour crier sur les toits que l'on est en train de lutter contre la corruption.