Le viol de la petite Ikram, à Tata, a remis sur la table les lacunes de la prise en charge juridique des mineurs et l'absence d'un accompagnement psychologique en leur faveur. Les associations et les assistants sociaux soulignent la nécessité de renforcer le système judiciaire pour la protection des enfants. Un projet a été lancé en 2013 mais sa concrétisation se fait attendre... Malheureusement, à l'issue de l'audience de ce vendredi 12 juin au tribunal d'Agadir, Imane Taji, directrice de l'Association ANIR, pour les enfants en situation difficile, ne saura rien de l'état d'avancement de l'affaire de la petite Ikram. Agée de 6 ans, cette fillette a été violée par un voisin de la famille âgé de 30 ans. Cela s'est passé, il y a deux semaines, à Foum Lahcen dans la province de Tata. La directrice de ANIR est revenue bredouille du tribunal, car l'instruction de cette affaire est entourée d'une très haute discrétion. «C'est aujourd'hui la règle pour ce genre de dossier et ceci dans le souci de protéger la victime et sa famille des méfaits et préjudices que peut leur porter une très large médiatisation de l'affaire», explique la directrice de ANIR. Même si elle comprend la décision du tribunal, elle se dit quand même «déçue de ne pas avoir des informations sur le développement de l'affaire. Car, à notre niveau, nous devons suivre l'affaire et soutenir la petite Ikram. L'association, il faut le préciser, assure le monotoring juridique de l'affaire en vue de s'assurer de la protection de la mineure et de la défense de ses droits. ANIR peut se constituer partie civile dans cette affaire, cependant, pour l'heure, l'association ne peut entreprendre aucune initiative». Et de poursuivre: «Nous allons temporiser pour l'instant. Nous prendrons une décision dans les prochains jours. Une réunion est prévue pour trancher», avance Imane Taji. La médiatisation du viol de cette petite fille a enclenché une forte mobilisation des associations travaillant sur la problématique des enfants en situation de précarité et aussi des associations féminines. Une mobilisation qui s'est matérialisée par une pétition dénonçant la relaxation du présumé pédophile suite à la renonciation du père de la victime à porter plainte. Poursuivi en état de liberté provisoire, dans un premier temps, le présumé violeur a été arrêté suite à la pression des associations et au revirement du père de la petite Ikram. Pour rappel, le père, s'est rétracté, quelques jours après sa renonciation, avouant avoir agi sous la contrainte et a donc fini par déposer plainte contre son voisin trentenaire. Un revirement juridiquement recevable, selon Me Redwane Rami, avocat au barreau de Casablanca, puisque le père a argumenté sa décision, précisant qu'il avait fait l'objet de pression et qu'il a perçu une compensation financière. Dans cette affaire de Tata, explique Mme Imane Taji, «le débat est concentré et focalisé actuellement sur la renonciation, faite par écrit, du père de la victime, à porter plainte contre le présumé auteur du viol. Ce qui a malheureusement abouti à la relaxation sous caution de celui-ci et donc à une non-protection d'une mineure. Certes, le juge n'a fait qu'appliquer purement et simplement la loi, notamment les dispositions du code de la procédure pénale. Alors que dans pareils cas, il faut qu'il y ait une jurisprudence afin de préserver les droits de l'enfant mineur». La médiatisation des faits, la pression et la dénonciation des associations sont à l'origine du rebondissement juridique qu'a connu l'affaire. Toutefois, la médiatisation de ce fait divers est à double tranchant, selon les associations. Si elle a permis la mobilisation du milieu associatif, elle peut, et c'est ce que craignent les milieux judiciaire et associatif, entraîner «des traumatismes importants sur l'enfant plus tard. En effet, la victime peut découvrir les vidéos relatives à son affaire qui ont été relayées par les réseaux sociaux et en souffrir en revivant, une deuxième fois, le viol. Et dans l'immédiat, elle peut aussi porter préjudice aux familles qui sont également traumatisées par les vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Des familles de victimes, et c'est très courant, qui sont acculées, en raison de la pression sociale et de l'exploitation à outrance des faits par les réseaux sociaux, à un changement total de leur vie : déménager du quartier ou même quitter la ville ou le village pour éviter le regard des autres et la stigmatisation de la victime», souligne Mme Taji. Traumatisme et stigmatisation dont les associations œuvrant pour la protection des enfants en situation difficile entendent protéger les victimes et leurs familles. Il faut prioriser la prise en charge psychologique de la victime... Pour cela, le milieu associatif estime nécessaire d'adopter une justice spécifique pour les enfants, d'une part, et, d'autre part, de renforcer la prise en charge psychologique de l'enfant abusé sexuellement. Et aussi de l'auteur de ces violences sexuelles. Car, une fois encore, les associations soulignent «que l'emprisonnement, en tant que sanction, n'est pas suffisant. Les auteurs de viol sont exposés à des comportements très violents de la part des autres détenus et ne font l'objet d'aucun accompagnement. Alors qu'ils en ont besoin afin de se soigner et de retrouver leur équilibre mental». Une fois de plus, cette affaire de viol de mineurs remet sur la table la nécessité de la révision des procédures judiciaires en vue d'une meilleure protection de la victime et de la défense de ses droits. L'association ANIR, à l'instar des autres associations, dénonce la complexité et la lenteur des procédures juridiques et médicales qui ne vont pas dans le sens de la protection de l'enfant. Ainsi, l'association relève plusieurs lacunes, notamment le mode d'interrogatoire de l'enfant victime de violences sexuelles. L'enfant n'étant pas accompagné par un psychologue ou une assistante sociale lors de l'interrogatoire, cette méthode ne permet pas une bonne instruction de l'affaire. D'autre part, lorsque l'agression a lieu le week-end ou durant un jour férié, il est difficile d'avoir un interlocuteur au commissariat, à l'hôpital ou encore au tribunal. Aussi, pour corriger ces dysfonctionnements, les associations mobilisées pour la défense des droits des enfants en situation difficile recommandent l'affectation d'un espace privé spécifique dans les tribunaux, les hôpitaux et les commissariats, dédié aux enfants victimes d'agressions sexuelles. Elles revendiquent également la simplification des procédures pour la prise en charge immédiate des victimes d'abus sexuels et l'organisation des permanences au cours des week-ends dans les hôpitaux et les tribunaux pour accompagner les victimes et répondre rapidement et efficacement aux plaintes. Par ailleurs, dans le milieu associatif, on souligne l'importance de la mise à niveau régulière de la loi marocaine afin d'en assurer la conformité aux dispositions des conventions internationales relatives aux droits des enfants. Conventions, bien entendu, ratifiées par le Maroc. Considérant tous ces dysfonctionnements juridiques, le milieu associatif juge nécessaire la mise en place d'une justice spécifique pour les enfants. Celle-ci permettrait une protection des enfants et une meilleure défense de leurs droits. Ce chantier a été lancé, en 2013, par le ministère de la justice dans le but de renforcer le système juridique pour la protection des enfants. Dans ce cadre, rappelons-le, une convention de partenariat a été signée entre le ministère de la justice, l'Union européenne et la représentation de l'UNICEF au Maroc. Celle-ci devrait contribuer au renforcement des capacités des acteurs de la justice et au développement des ressources nécessaires afin de «garantir le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant dans les procédures judiciaires et la bonne application de la loi pénale et civile». Concrètement, les actions réalisées visent à faire en sorte que le système de justice pénale réponde plus efficacement aux besoins des enfants en conflit avec la loi. Par la même occasion, le système devrait permettre à ce que les enfants victimes d'infractions et de violence, mais aussi les enfants témoins, bénéficient d'une protection juridique qui s'aligne sur les normes internationales de protection de l'enfance avec comme principe majeur que «l'intérêt supérieur de tout enfant prime dans l'application du Code de la famille». Les associations saluent l'intérêt de ce projet mais elles regrettent la lenteur de la mise en place des mesures nécessaires et déplorent que les objectifs ne soient pas encore atteints. Outre l'amélioration juridique, l'affaire Ikram souligne les défaillances au niveau de la prise en charge psychologique. Selon des sources médicales, le viol subi par Ikram a causé une grave hémorragie et lui a affecté sérieusement l'appareil reproductif. On apprendra aussi que la petite est aujourd'hui dans l'incapacité de faire ses besoins naturels. Médicalement donc les répercussions du viol sont graves et ne manqueront pas, selon une assistante sociale, «d'impacter plus tard le psychique de la petite fille. Ce qui appelle impérativement à un accompagnement psychologique dont, il faut le reconnaître pour l'heure, les victimes de viol ne bénéficient pas du tout». Stigmatisées, peu de victimes au Maroc parlent de leur viol... Selon cette même assistante sociale, la prise en charge est encore difficile et embryonnaire tant dans les associations que dans les hôpitaux, les commissariats et les tribunaux. A cela deux raisons signalées par cette source : l'insuffisance et l'absence de formation des moyens humains au niveau de ces structures précitées et la persistance de la tolérance des violences sexuelles à l'égard des enfants. «En cas d'agression sexuelle, l'enfant culpabilise et est incompris par son entourage et parfois même par les acteurs sociaux. C'est un problème de santé publique auquel il faut s'attaquer en intégrant dans la Politique publique intégrée de protection de l'enfance des programmes de sensibilisation des familles, des victimes et des acteurs sociaux. Il faut aussi et surtout combattre la tolérance de la violence à l'égard des enfants», avance cette source qui déplore également «le non-signalement des cas de toute forme de violences et d'agressions à l'encontre des enfants». En effet, les obstacles auxquels se heurtent les filles et garçons victimes d'exploitation sexuelle sont nombreux : la réticence à parler, peur du jugement, de la stigmatisation, l'inaccessibilité à la justice et l'isolement. Autant d'obstacles qui peuvent pourtant être surmontés. D'où l'intérêt de la prise en charge psychologique obligatoire des victimes. Les professionnels, notamment les assistants sociaux, psychologues, les juges qui peuvent travailler pour libérer la parole des victimes et les accompagner vers un soutien et vers une prise en charge adéquate. Au Maroc, où encore très peu de victimes d'exploitation sexuelle sont identifiées et se sentent libres de parler, il est extrêmement important de porter le combat de ces personnes qui dénoncent les difficultés auxquelles elles sont confrontées. Pour Imane Taji, «la prise en charge et l'accompagnement de plusieurs victimes et leur famille nous a rapprochés d'une réalité où souffrance rime avec silence. Face à un système inadéquat de protection de l'enfance, les victimes et leurs familles se retrouvent en détresse, tiraillées entre des normes sociales peu, voire pas du tout protectrices de l'enfant, notamment la honte, la culpabilité et la multiplicité des interlocuteurs dans le circuit de prise en charge dans lequel interviennent la police ou la gendarmerie, les associations, le ministère de la justice et le ministère de la santé». Dans cet environnement, l'accompagnement et suivi, ne serait-ce que d'une seule victime, devient alors un véritable défi. Une situation qui a poussé l'association ANIR à réorienter son mode d'intervention en travaillant avec des partenaires expérimentés dans la lutte contre les violences et l'exploitation sexuelles des enfants, d'une part, et, d'autre part, à faire du plaidoyer un moyen pour contribuer à l'amélioration du système de protection des droits des enfants.