L'Association Anir en campagne contre les abus sexuels à l'égard des enfants. Silence des victimes, la honte de leurs familles, la tolérance de la société et une prise en charge inadaptée. Des professionnels et des parents témoignent de tout cela dans un livret diffusé par l'association… Réticence à parler, peur de la stigmatisation, non-accès à la justice ou encore isolement. C'est ce qui empêche les enfants, victimes d'abus et de violences sexuels, ainsi que leurs proches, à parler et à déclarer les actes qu'ils subissent. C'est aussi ce qui explique qu'il est encore difficile d'estimer les cas de violences et d'exploitations sexuelles. Et c'est pour libérer la parole, et surtout les victimes de ce poids, que l'Association Anir, l'ange en amazigh, d'aide aux enfants en situation difficile, a lancé, en début de semaine, une campagne de sensibilisation contre la violence sexuelle. L'association, créée en 2006 à Agadir, a opté pour une approche de sensibilisation particulière : « Depuis sa création en 2006, Anir s'est penchée sur cette problématique qui est un sujet tabou. Et notre travail sur le terrain, notamment dans la ville d'Agadir et les environs, nous a permis de constater que la prise en charge et l'accompagnement des victimes de violences sexuelles sont confrontés au silence des concernés. Un silence qui constitue une autre souffrance, psychologique cette fois-ci, pour les victimes. Pour sensibiliser le grand public, les professionnels, les pouvoirs publics et les familles, nous avons choisi de compiler toutes nos interventions sur le terrain dans un livret qui regroupe les témoignages des personnes rencontrées. Nous n'avons pas voulu faire parler les victimes, leur évitant ainsi des répercussions psychologiques», explique Meriem Arraoui, présidente de l'association. Il est à noter que le recueil de témoignages comporte également les recommandations visant l'amélioration de la prise en charge, juridique et médicale, des enfants victimes d'abus sexuels. La campagne sera également digitale. Des vidéos de sensibilisation, en arabe et en amazigh, seront diffusées. Dans les 22 témoignages retranscrits dans le livret, il apparaît que la prise en charge des violences sexuelles n'est pas chose aisée et connaît plusieurs entraves relevées par les assistantes sociales, les juges, les psychologues ainsi que par les proches des victimes. Et le premier obstacle est, comme en témoigne Badiaa, une assistante sociale, la complicité de l'entourage et de la société : «J'ai travaillé sur une affaire de viol d'un enfant de 11 ans par un autre enfant de 14 ans. Un viol répétitif durant plusieurs mois. Le violeur demandait de l'argent à la victime pour cesser de commettre le viol. Lorsque j'ai pris en charge le dossier, j'ai été confrontée à un obstacle de taille : la complicité de la société. Le rapport de police a conclu à du harcèlement alors qu'il s'agissait clairement d'un viol anal établi par un rapport médical. Ensuite, la pression de l'école qui menaçait la victime d'expulsion si sa mère portait plainte. Pour les instituteurs, il s'agissait de deux enfants qui pratiquaient un jeu d'adultes. De son côté, le procureur a refusé d'ouvrir une enquête pour défaut de preuves suffisantes !». Cette affaire a fini par être classée et la victime et sa maman n'ont bénéficié d'aucun accompagnement psychologique. Le constat est malheureusement clair : la violence à l'égard des enfants est minimisée et tolérée aussi bien dans le milieu scolaire que par la société. Et ceci par manque de connaissance de son impact sur la victime. L'association recommande alors la promotion auprès des professionnels de la protection de l'enfance ainsi que du grand public de la définition de l'abus et de l'exploitation sexuels sur l'enfant. Par ailleurs, il faut former les acteurs judiciaires sur les mécanismes de protection de l'enfant et adapter la procédure judiciaire aux engagements internationaux pris par le Maroc. Enfin, Anir estime qu'il faut mettre en place, dans le cadre éducatif, des programmes de prévention et de sensibilisation. Pour Rachida, autre assistante sociale, il faut impérativement s'attaquer à la précarité qui favorise, dit-elle, le viol à l'intérieur des familles. «Agadir et ses environs abritent des populations en situation précaire venues pour travailler dans les exploitations agricoles et dans les quartiers industriels. Les mamans passent la journée au travail, laissant leurs enfants avec leurs maris ou leurs compagnons, souvent au chômage. Parfois, ils sont victimes d'abus commis par les pères. C'est le cas de cette petite fille de huit ans dont la mère n'a pas voulu dénoncer son mari et ne voulait pas perdre une journée de travail pour aller au tribunal. Elle disait que la petite allait tout oublier et que l'important est qu'elle soit encore vierge! Pour elle, sa fille était responsable parce qu'elle ne voulait pas mettre son pantalon à la maison !». Les enfants, dans le cas d'un viol à l'intérieur de la famille, ne parlent pas... et pire encore, ils sont perçus comme des coupables. Pour remédier à cela, l'association recommande de briser loi du silence au sein de la famille, pousser à la communication et surtout mettre en place des filets sociaux pour mieux lutter contre la précarité et la vulnérabilité. Compliquées, les procédures juridiques et médicales ne protègent pas l'enfant... Cette acceptation et cette tolérance de la violence sexuelle par la société est aggravée par la complexité des procédures empêchant une prise en charge normale de ce type d'affaires. «C'était un vendredi en fin de journée, une dame est venue avec son enfant de 4 ans victime d'un viol. Arrivée à l'hôpital, problème : à la veille du week-end, pas d'assistante sociale, pas de médecin légiste. Pire encore, au tribunal pas de procureur et pas de juge. Au commissariat, on interroge la victime, sans la présence d'un psychologue. Pour moi, c'est un combat contre la montre, parce qu'un viol, il faut le prouver dans les 48 heures qui suivent les faits. Nous avons pu avoir un certificat d'un médecin non légiste et le violeur a été arrêté mais relaxé lundi pour absence de la partie plaignante. Faute de moyens, ne pouvant pas engager un avocat, la mère a abandonné la poursuite judiciaire, car même pour bénéficier de l'assistance judiciaire il faut fournir des documents et donc il fallait du temps et il fallait s'absenter du travail». Des circonstances conjoncturelles qui font que dans des situations très précarisées comme le cas de cette mère, on assiste à la démission de la famille. Celle-ci estime souvent qu'il est inutile de porter plainte car les lois ne sont pas appliquées correctement. Halima, grand-mère de deux mineurs violés par un adolescent, témoigne : «Depuis une année, l'affaire est reportée d'une audience à l'autre, on m'a dit que la mère du violeur a donné de l'argent pour empêcher la procédure d'aboutir. Parfois, j'ai des idées noires et l'envie de me faire justice». Beaucoup de violeurs échappent ainsi à la justice parce que les procédures judiciaires et médicales ne vont pas dans le sens de la protection de l'enfant. Ne faudrait-il pas dédier un espace privé dans les tribunaux, les hôpitaux et les commissariats aux enfants victimes d'abus sexuels ? Ne faudrait-il pas revoir les procédures et assurer des permanences dans les hôpitaux et les tribunaux? Certainement, répond Hicham, psychologue, qui souligne dans son témoignage «qu'après un abus sexuel, un accompagnement psychologique et un travail thérapeutique de reconstruction sont indispensables. C'est un problème de santé publique auquel il faut remédier». Au-delà des procédures, la prise en charge des enfants victimes d'abus sexuels et leur accompagnement nécessite d'abord d'encourager le signalement et la dénonciation des violences et, ensuite, médiatiser les lois existantes pour la protection des enfants. Selon Mohamed, un juge des mineurs, «la culture du signalement des violences sexuelles n'existe pas au Maroc : il est fréquent de ne pas vouloir intervenir dans les affaires d'autrui et dénoncer la situation, même s'il s'agit d'un enfant exploité ou abusé. Sans dire que la majorité de la population ignore les lois sur la protection de l'enfance». Pour ce juge, le Maroc dispose d'un arsenal juridique complet pour rendre justice dans ces affaires. Tout ce dispositif doit être vulgarisé et porté à la connaissance du grand public. Des victimes traumatisées, des familles pudiques, une méconnaissance des lois et des procédures lentes. Autant de raisons qui expliquent la tolérance sociale des agressions sexuelles et limitent la protection des enfants... Abus sexuels à l'égard des enfants : Questions à Meriem Erraoui, Présidente de l'Association ANIR