C'est bientôt le «Burn out» ! Le dernier film de la trilogie noire autour de la ville de Casablanca, signé Noureddine Lakhmari, va bientôt noyer de monde les salles obscures. A quelques semaines de la sortie officielle, le cinéaste se confie à propos du film, du cinéma et de la société marocaine. Finalement, il y a quoi dans «Burn out» ? «Burn out» est le troisième volet de la trilogie sur Casablanca. Cette fois-ci, je voulais donner une autre image sur Casablanca, à travers des personnages un peu perdus. Il y a le riche qui cherche à retrouver amour et rédemption dans un environnement qui a été conçu, réfléchi et décidé pour lui. A travers son addiction à la vitesse et sa manie de vouloir faire le trajet de chez lui à la corniche en trois minutes, il veut prouver qu'il peut réaliser des choses sans l'aval de son père. L'autre personnage est ce jeune cireur qui rêve d'acheter une prothèse à sa mère unijambiste. Et puis, il y a l'étudiante en médecine qui, pour pouvoir finir ses études, devient call girl. Malheureusement, elle croise le chemin d'un client qui ne sera pas très commode. Ce sont en gros des personnages qui se cherchent et qui ne trouvent la rédemption qu'à travers l'amour. C'est mon message dans «Burn out». Casablanca est en toute évidence ce patchwork social peu harmonieux de gens qui se croisent sans se voir. On retrouve cela dans vos précédents films. Est-ce que vous en avez fini de raconter Casa? En effet. Pour moi Casa est un patchwork de catégories sociales qui vivent ensemble sans se mélanger. On a les riches d'un côté, les pauvres de l'autre, de part et d'autre de frontières invisibles, mais clairement délimitées par la situation sociale, économique et culturelle de chaque individu. D'ailleurs, quand on navigue à Casa, on a l'impression de traverser plusieurs villes, plusieurs mentalités, voire plusieurs âges! J'ai vraiment l'impression parfois de voyager dans le temps, d'un quartier à l'autre. On le voit aussi dans l'architecture. C'est tout ce lot de contradictions qui me fascine, ainsi que les préjugés qu'on a les uns sur les autres. Ceci dit, je pourrais raconter Casa jusqu'à l'infini. Mais est-ce que votre public est sensible à ce message? Oui, bien sûr. J'ai toujours un échange avec des publics de différentes catégories sociales. Il y a toujours un débat qui suit les projections ou lors de rencontres fortuites. Ce qui est marrant, c'est le décalage entre ce qu'ils voient, ce qu'ils disent et ce qu'ils font. Je donnerais l'exemple d'un jeune homme de la haute société qui me disait un jour que pour lui Casablanca s'arrêtait au Twin Center, qu'il n'était pas curieux de voir le Casa pauvre. En voyant le film, il s'est identifié au personnage riche et à sa profonde solitude. Il a donc saisi l'ampleur de l'isolement. Pensez-vous que vos films, ou le cinéma en général, puissent faire avancer la société? A mon avis, il suffit de revenir sur les dix dernières années : les seuls artistes qui ont fait bouger la société, qui ont créé des débats, ce sont les cinéastes. Je pense à une Laila Marrakchi, à un Faouzi Bensaidi, à un Nabil Ayouch, à une Narjiss Najjar ou à un Hicham Lasri. Ils ont créé des films polémiques qui ont fait couler l'encre et libérer les voix. Je sais qu'on a aussi d'excellents écrivains qui font bouger les lignes. Malheureusement, pour le moment l'image reste le média à plus fort impact, étant donné la crise de la lecture au Maroc. Les polémiques suscitées sont-elles toutes bénéfiques à votre avis ? Absolument ! Par contre, il ne faut pas laisser nos débats partir ailleurs. Il ne faut pas interdire un film et laisser le débat s'exporter sur des plateaux étrangers qui vont discuter, analyser et juger la société marocaine pour l'infantiliser davantage. Qu'on les aime ou pas, les films marocains, sur la société marocaine, doivent se discuter ici. C'est le rôle de nos médias. La télévision marocaine peut et doit jouer son rôle contre l'obscurantisme et le fascisme. La télévision peut non seulement ouvrir les esprits, mais aussi donner à voir des modèles à suivre à notre jeunesse en perdition. A travers ses différents moyens, elle peut instaurer, une fois pour toutes, les bases d'une société moderne et progressiste où la science, l'art et la culture sont des repères sûrs. Presque tous les films marocains se veulent polémiques et durs. Quid de la légèreté ? Le jour où l'on aura une vraie industrie cinématographique, on fera de tout. De la comédie, de la science fiction, de la romance... Aujourd'hui, on n'a pas d'industrie, peu de cinéastes et combien de salles de cinéma ? Les seuls cinéastes qui font bouger les choses sont ceux qui font dans le socio-drame. Un investissement un peu risqué, non ? Pas du tout. Le cinéma est rentable. D'abord c'est une grosse erreur de croire que le piratage ou Netflix tuent les salles de cinéma. Ce n'est pas vrai. En Norvège, il y a du piratage, Netflix, HBO et tout plein de canaux, pourtant la salle de cinéma est pleine. Parce que l'équipement est excellent, parce que la salle est agréable. Les gens ont besoin d'un parking pour stationner leurs voitures, d'un minimum de sécurité et d'une belle salle. Il faut faire preuve d'un peu d'intelligence et le public préférera sûrement mettre un peu d'argent dans une sortie cinéma, plutôt que dans un DVD rayé. Quant à la production, il faut savoir que le producteur marocain reste un exécutif pour le moment. Il n'intervient que lorsque le scénario est fini. Dans une vraie industrie cinématographique, le producteur chapeaute et finance l'écriture au stade d'idée. Il intervient forcément dans le scénario, il pense la stratégie et la distribution bien en amont. Et nous avons plusieurs films qui prouvent la rentabilité de cet investissement. On pointe souvent du doigt des lacunes en matière d'écriture scénaristique. Qu'en dites-vous ? Il ne faut pas croire qu'il n'y a pas de bons scénaristes au Maroc. Mais ils sont mal payés, alors ils écrivent vite, avec toutes les lacunes que cela peut donner. Aujourd'hui, les cinéastes marocains se battent tous seuls et écrivent eux-mêmes leurs propres films. Les seuls films qui ont réussi à émerger et à se faire repérer à l'international doivent tout à des efforts individuels. Le jour où l'on pourra compter sur une industrie locale, guidée par une politique culturelle, on investira davantage dans le scénario et on prendra le temps nécessaire pour écrire. Le Festival international du film de Marrakech ne sera pas cette année. Regrettez-vous que votre film n'y fasse pas sa première? D'abord tous les festivals sont vitaux pour moi. Là où il y a un festival dans une ville, cela me réchauffe le cœur. Car, c'est ainsi qu'on va contrer l'obscurantisme et les idées noires. Maintenant, le FIFM existe depuis un long moment. Il était temps d'en repenser le concept et la stratégie. Indépendamment de mon film, je pense que c'est très sain comme décision de faire cette pause d'un an et j'espère que son retour se fera en force, avec des idées modernistes et différentes. Il ne faut plus que ce soit juste un joli festival, qui ramène des stars du monde, mais aussi un festival fort au niveau de sa compétition, dont le cinéma marocain profite. Je crois sincèrement que le FIFM ne peut être qu'une locomotive culturelle et artistique du Maroc.