Une hausse de 1% des IDE marocains en Afrique entraîne une augmentation du PIB par tête de 0,01% à court terme et 0,007% à long terme. L'investissement dans des segments à forte valeur ajoutée et en pleine expansion élargit les gains du Maroc. L'impact du commerce bilatéral avec les pays africains tarde à se faire sentir. Les investissements directs étrangers (IDE) du Maroc ont enregistré une nette progression sur la période 2000-2014. Les flux sont passés d'environ 20 à 450 millions de dollars, soit une croissance annuelle moyenne de 24%. Plus de 63% sont allés à l'Afrique. S'il est avéré que ces investissements créent de la richesse dans les pays d'accueil, qu'en est-il de leur incidence sur la croissance économique au Maroc ? Selon Larabi Jaïdi, économiste, l'investissement est bénéfique pour le pays émetteur notamment parce qu'il génère, à terme, des exportations de biens et services vers le pays d'accueil. De plus, grâce aux dividendes rapatriés, il profite à l'entreprise qui réalise l'investissement, et par conséquent à son secteur et à l'économie en général. «Le gain est plus important quand il s'agit d'un investissement public stratégique et de grande taille», estime M. Jaïdi. Une analyse à travers trois modèles économétriques Pour les experts de l'OCDE (dans une étude de 2002), avec des politiques adéquates dans les pays d'accueil, l'IDE a souvent des retombées sur les pays émetteurs, contribue à la formation du capital humain, facilite l'intégration aux échanges internationaux, favorise la création d'un climat compétitif pour les entreprises qui investissent et améliore le développement du tissu productif. La BAD affirme dans une étude de 2015 que les variations positives des flux d'IDE semblent avoir un impact positif sur le bien-être dans l'ensemble des pays nord-africains, avec des coefficients significatifs pour l'IDE réel par habitant et plus particulièrement le ratio IDE/PIB au Maroc. Si plusieurs spécialistes confirment ces externalités émanant des IDE réalisés à l'étranger -notamment en Afrique-, l'OCP Policy Center a essayé de quantifier cet impact de manière plus précise. L'étude dirigée par Moubarack Lo, Senior Fellow à l'OCP Policy Centre et conseiller économique en chef du premier ministre du Sénégal, a permis d'analyser ce lien à travers trois modèles économétriques. Pour ce faire, l'expert a retenu l'approche ARDL (Auto-regressive distribution Lag) «parce qu'elle fournit des estimations robustes pour des échantillons de petite taille, de même qu'une fiabilité des coefficients de long terme (ce qui correspond à la problématique de l'investissement marocain en Afrique)», explique-t-il. Pour voir dans quelle mesure l'investissement en Afrique bénéficie à la croissance économique interne, il a retenu comme indicateurs le niveau de PIB par tête constant, le volume des échanges commerciaux ou l'ouverture commerciale entre le Maroc et l'Afrique subsaharienne (exprimé par la somme des exportations et des importations rapportée au PIB), les flux d'IDE sortants du Maroc à destination de l'Afrique subsaharienne et une variable mesurant le stock de capital humain, à travers le taux brut de scolarisation au primaire. Ces données ont été puisées dans la base de données de la CNUCED, de la Banque mondiale (WDI) du FMI (Data of Trade Statistics) et de l'Office des changes. L'analyse exploratoire de ces données montre que le niveau du PIB par tête du Maroc a augmenté sur la période 2003-2014 avec une moyenne de 2 201,8 dollars et un minimum de 1826,8 en 2003. Le volume du commerce entre le Maroc et l'Afrique subsaharienne reste très faible, autour de 1,52% du PIB sur la période, soit 1127,67 millions de dollars. Pour sa part, l'investissement direct étranger, avec 158,227 millions de dollars, ne représente qu'environ 0,21% du PIB marocain entre 2003 et 2014. Au bout des calculs, les variables du modèle entretiennent une relation d'équilibre de long terme. Résultat : l'investissement direct étranger marocain à destination de l'Afrique subsaharienne impacte positivement et significativement son niveau de PIB/habitant à court et à long terme. Ainsi, une hausse de 1% des IDE marocains entraîne une augmentation du PIB/hab. de 0,01% à court terme et de 0,007% à long terme. L'interaction entre le commerce et les IDE agit positivement sur la croissance économique du Royaume «Au-delà de l'argument de participation à la division internationale du travail et de l'insertion du Maroc aux chaînes de valeur mondiale, un tel résultat s'explique surtout par la répartition sectorielle des IDE marocains axés principalement sur des segments à forte valeur ajoutée et en pleine expansion compte tenu de la dynamique de la classe moyenne de l'Afrique subsaharienne», lit-on dans l'étude. Ces segments sont le secteur bancaire avec 41,6%, les télécommunications avec 35,9%, les holdings et l'immobilier avec respectivement 10,5% et 6,4%. «Le secteur de destination de l'IDE constitue un critère fondamental qui façonne le niveau de bénéfices économiques», souligne Kamal El Wassal qui a étudié les déterminants de la croissance dans une vingtaine de pays arabes sur la période 1970-2008. Toutefois, pour ce qui est du commerce bilatéral entre le Maroc et l'Afrique subsaharienne, aucune relation d'équilibre de long terme n'a pu être mise en évidence. En effet, malgré l'explosion de ses exportations depuis 2008 et la proximité géographique du marché africain, l'économie marocaine tarde à ressentir les retombées de ce commerce. En effet, le volume des échanges reste encore très faible et en deçà de son potentiel, alors que le Maroc subit une forte concurrence internationale sur ce marché (Turcs, Indiens, Chinois...). Pour les analystes du think tank de l'OCP, le faible degré de complexification et de sophistication de la structure exportatrice du Maroc freine ses perspectives de croissance et de transformation structurelle à court comme à long terme. Par ailleurs, il faut noter que l'interaction entre le commerce et les IDE agit positivement sur la croissance économique du Royaume. «A long terme, une amélioration des politiques d'ouverture commerciale associée à l'investissement direct étranger entraînerait une augmentation du PIB par habitant. Ainsi, bien qu'aucune relation d'équilibre de long terme n'existe pour l'ouverture commerciale du Maroc, il s'avère que cette ouverture interagit positivement avec le niveau des IDE», résume M. Lo. Cela dit, M. Jaïdi soutient que pour impacter significativement la croissance, les investissements doivent atteindre une taille critique. «Ce n'est pas un projet ou deux qui vont façonner la création de richesse locale», prévient M. Jaïdi qui cite l'exemple de la Chine et des Etats-Unis qui, selon lui, tirent pleinement profit de leurs IDE à l'étranger grâce à leurs multinationales, souvent des mastodontes dans leurs secteurs d'activité.