Au Maroc, leur langue vient d'accéder au statut officiel. En Algérie, ils mènent des manifestations contre le régime du président Abdelaziz Bouteflika. En Tunisie, ils redécouvrent une identité longtemps réprimée. En Lybie, ils dirigent l'armée rebelle sur le front occidental dans les montagnes, au sud de la capitale toujours aux mains de Mouammar Kadhafi. Même dans l'oasis égyptienne de Siwa, près de la frontière libyenne, les berbères se rendent compte que la révolution est aussi pour eux l'occasion de revendiquer leurs droits. « Une renaissance berbère a lieu à travers toute l'Afrique du nord », s'enthousiasme Mounir Kejji, un militant berbère marocain. Dans son pays une nouvelle constitution, adoptée par référendum le 1er juillet, reconnaît officiellement la langue berbère pour la première fois, même si, dans les faits, le Parlement décidera de ce que cela signifie. Les nationalistes arabes et nombre d'islamistes ont longtemps exigé que l'arabe soit la seule langue de l'administration et de l'éducation. Les régimes autoritaires nationalistes arabes qui dominaient la région avaient l'habitude d'accuser les berbères d'être une menace à la cohésion nationale. Maintenant qu'ils chancellent et pour certains ont même été renversés, ces régimes voient maintenant la cause berbère s'animer d'un nouveau souffle. Même là où ils ne sont qu'une minorité de seulement quelques milliers, comme en Egypte ou en Tunisie, les berbères ont réussi pour la première fois à former des associations communautaires. La rébellion libyenne est la plus violente dans les montagnes de Nafusa, une région berbère longtemps délaissée par le gouvernement. Durant presque tout son règne, le colonel Kadhafi refuse de reconnaître la culture berbère, la décrivant comme « un poison colonial » destiné à diviser le pays. Ce n'est qu'après 2006, sur les conseils de son fils Saïf al-Islam, qu'il lève l'interdit sur l'usage de prénoms berbères. Les berbères comptabilisent environ 5% des 6 ou 7 millions d'habitants de la Lybie, bien que certains militants estiment que les chiffres sont plus importants. Il y a quelques semaines, ils ont créé une radio. La télévision rebelle basée au Qatar, diffuse en Tamazight, la langue berbère, deux heures par jour. M. Kejji raconte qu'en juin une délégation de berbères libyens, affiliée au Conseil National de Transition, a posé une question d'ordre linguistique à leurs homologues marocains : comment devraient-ils écrire les mots « armée » et « sécurité nationale» en Tamazight, afin que les uniformes libyens arborent un badge aussi bien en arabe que dans leur propre langue ? Ce n'est qu'au 20ème siècle qu'une écriture est créée pour les différents dialectes berbères. Les kabyles algériens, un peuple berbère au nombre de 4 millions, ont préféré utiliser l'alphabet latin tandis qu'un alphabet Touareg (des berbères nomades pastoraux qui vivent principalement au sud de l'Algérie, à l'est du Mali et à l'ouest du Niger), appelé Tifinagh, est maintenant officiellement employé au Maroc et a été adopté par les berbères libyens alors que son usage avait été interdit par le colonel. Le réveil berbère a ravivé l'enthousiasme pour la cause berbère. « Les berbères de toute l'Afrique du Nord ont conscience d'avoir cet élément identitaire en commun », nous dit Hugh Roberts, un spécialiste du Maghreb. Mais, ajoute-t-il, chaque pays de la région a ses propres spécificités. Le rêve de créer une communauté de plus de 20 millions de personnes (les estimations de la population totale varient grandement) qui s'étendrait du désert égyptien à l'Atlantique serait rendu impossible à cause de la multitude de dialectes et la diversité de situations politiques. « Une identité berbère unie n'existe que virtuellement, sur Internet et parmi la diaspora des intellectuels », affirme M. Roberts. Cet article a été publié en anglais dans le magazine hebdomadaire britannique The Economist et traduit par lakome.com.