En réponse aux pressions croissantes pour des réformes démocratiques au Maroc, les initiatives du Roi du mois de Mars confirment que la monarchie est toujours indécise. Ce n'est pas la peine de revenir sur les lacunes de la réforme constitutionnelle proposée ni leur échec probable étant donné le contexte politique actuel défavorable. Mais la réaction de la monarchie à ces événements semble refléter une stratégie de limitation des dégâts, d'ouverture limitée, et de corporatisme. Dans la poursuite de cette stratégie, le Roi doit avoir prudemment pesé ses options et être arrivé à la conclusion que le moment n'est pas encore venu pour une monarchie parlementaire au Maroc. Sur certains plans, la décision du Roi semble défendable -pour peu raisonnable qu'elle soit- si l'on considère le soutien dont jouit la Monarchie à l'Extérieur et ses robustes pouvoirs à l'intérieur du pays. Cependant, sur d'autres plans, les mesures timides prises par le Roi sont un pari énorme. Un mouvement de puissance titanesque en faveur du changement est en cours, et il sera difficile de renverser la vapeur. Si le Roi tient à conserver le gouvernement en place et un parlement fortement contesté, et s'en tenir à des réformes constitutionnelles limitées, de quels atouts dispose-t-il pour assoir sa position? Si l'on met de côté la question complexe de la légitimité historique pendant un moment de transformation démocratique, le roi dispose d'au moins trois atouts importants dont le plus important est le soutien des puissances occidentales, principalement la France et les Etats-Unis. Les deux pays peuvent fournir un soutien matériel et politique à des moments cruciaux. L'engagement ambigu et sélectif de l'Occident envers la démocratie dans le monde Arabe n'est pas chose nouvelle. Le soutien à la démocratie est décidé au cas par cas. Ce n'est pas un secret que la monarchie marocaine a été un allié fiable des puissances Occidentales pendant des décennies et qu'elle en sera récompensée. Il n'est pas surprenant non plus que les Français se soient impliqués si tôt dans l'initiative constitutionnelle. La réunion de suivi de l'Ambassade avec des représentants du mouvement du 20 Février suggère une stratégie Française à grande échelle qui viserait à consolider la monarchie en ces temps difficiles. Les responsables Français et Américains ont salué le discours Royal du mois de Mars comme une grande réussite avant même que les Marocains n'aient eu le temps de le digérer. Le message de Paris est fort et clair: la monarchie a été assez loin, il n'y aura pas de sympathie ou de support pour plus de demandes. Il est difficile de négliger l'effet de ce soutien sur les décisions du Roi. Le deuxième atout du Roi est le soutien des élites politiques, économiques et militaires. Malgré des nuances et des différences notables entre les partis politiques, leur réponse va dans le sens de l'offre royale en esprit et à la lettre. Certes, leur point de vue ne pèse pas lourd dans la politique interne et pourrait facilement être ignoré. Mais leur appui fournit un cachet que les puissances occidentales utilisent, à leur tour pour expliquer pourquoi un régime autocratique au Maroc mérite un traitement différent. Les élites marocaines économiques sont tout aussi faibles quand il s'agit d'influencer un changement politique significatif. Elles sont trop dépendantes et fragmentées. Elles ne veulent une gouvernance décente et un état de droit que lorsque cela sert leurs intérêts. Mais leur attitude positive sur le marché national et leur alignement avec la monarchie servent à rassurer les investisseurs étrangers, et projettent un sentiment de normalité. Quant aux Forces Armées Royales, cela fait des décennies maintenant que la politique d'assurance de la monarchie qui consiste à acheter la loyauté en échange d'avantages et de privilèges fonctionne à merveille. L'attitude complaisante de l'élite nationale pourvoit donc un confort psychologique et une justification de la résistance au changement démocratique. Un autre atout important à la disposition du roi est la vulnérabilité sociale des classes moyennes. Traiter la vague de protestations comme étant essentiellement un problème social permet à la monarchie de minimiser les revendications de réformes démocratiques. Le Maroc représente un terrain fertile pour ce type de tactiques en raison de la pauvreté sociale et l'existence d'institutions corporatistes. Au cours des semaines et mois à venir, le discours officiel rappellera des thèmes oubliés tels que le dialogue social, le contrat social, les syndicats, les retraites et les salaires. Le renouveau des questions sociales classiques sert deux objectifs importants. Il ramène sur scène les acteurs sociaux traditionnels. Maintenant, le régime se rend compte qu'il est plus facile de composer avec les exigences limitées des syndicats qu'avec de jeunes acteurs inconnus pressant pour de vastes réformes démocratiques. L'autre objectif est de couper le mouvement du 20 Février de secteurs sociaux larges et sensibles tels que la classe ouvrière et les employés du secteur public. Malgré ces atouts, la monarchie pourrait se retrouver dans une situation inextricable. En ce qui concerne le soutien extérieur, bien que les réformes constitutionnelles proposées semblent aujourd'hui satisfaire les gouvernements Français et Américain , l'appui de l'Occident n'est nullement garanti si les manifestations dans la rue venaient à persister, gagner en puissance, ou mener à la mort de civils. Les gouvernements occidentaux ne s'engageront pas inconditionnellement à soutenir un régime autocratique sévèrement contesté, surtout si les revendications des manifestants restent focalisées sur des concepts d'émancipation politique universellement partagés. En ce qui concerne le soutien des élites politiques et économiques, le consensus actuel peut être bon pour la consommation extérieure, mais ne pourrait arrêter un mouvement de masse pour le changement démocratique. D'une part, les partis politiques et leurs dirigeants discrédités incarnent tout ce qui ne va pas avec le système politique marocain. Et nous voyons déjà les tensions entre les chefs de parti et les rangs concernant l'attitude à adopter. Les élites économiques, d'autre part, sont coupées de tout réseau significatif de mobilisation et sont peu susceptibles de déplacer les dynamiques du pouvoir en faveur du statu quo. De tous les facteurs internes, l'attitude de l'armée reste la grande inconnue. Les modèles que nous avons vu en Tunisie et en Egypte suggèrent qu'une force militaire cohérente et professionnelle renâclerait à tirer sur des civils, même sous l'ordre d'un dirigeant autocratique. Cela soulève la question de savoir si l'armée marocaine prendra parti pour la monarchie dans tous les cas de figure. Des dissensions internes pourraient facilement apparaître si les officiers subalternes refusent de tuer des civils pour défendre les intérêts des élites et familles urbaines privilégiées. Enfin, les stratégies corporatistes ont une grande limitation dans le cas du Maroc. Même si le gouvernement réussit à soustraire les secteurs sociaux organisés les plus importants à toute influence politique, le secteur informel et les jeunes chômeurs pourraient à eux seuls fournir suffisamment de militants pour organiser des manifestations de masse. Le Maroc ne vit peut-être pas un moment pré-révolutionnaire comme cela a été le cas pour l'Egypte et la Tunisie, mais des réformes fragmentaires n'arrêteront pas la vague du changement. Peut-être une bonne analogie historique serait le mouvement « Kifaya" en Egypte de 2005. Lors du référendum constitutionnel de 2005 et des campagnes électorales présidentielles en Egypte, le mouvement Kifaya a émergé pour s'opposer à la présidence de Housni Moubarak et la possibilité d'un transfert de pouvoir à son fils Gamal. Confortées par leur soutien politique à l'Extérieur, la subordination des élites nationales, et l'incapacité de Kifaya à mobiliser les pauvres des zones urbaines, les forces pro-Moubarak triomphèrent . Le mouvement populaire pour le changement perdit ainsi son essor, mais avec lui s'évanouissait la possibilité de réformes pacifiques. Par Abdeslam Maghraoui (Traduction : Oumelgheït Jamaï)