Depuis 2 jours les posts se multiplient sur Facebook, les uns pour encenser et défendre notre trop belle majesté à qui rien ne devrait être reproché, renforçant ainsi sa sacralité et l'impossibilité de lui demander des comptes et des réformes ; les autres pour la vouer aux gémonies et l'offrir en pâture à la vindicte populaire, coupable qu'elle est de bout en bout dans cette affaire de grâce scandaleuse. Je me demande dans quelle mesure les uns et les autres ne nous détournent pas de concert de l'essentiel !? Car enfin qu'y a-t-il à retenir de cette affaire ? 1- un pédophile, reconnu coupable de crime sur 11 mineurs, dont une fillette de 2 ans ( !!!), et condamné à 30 ans de prison, a été gracié par le roi, et cela soulève deux questions : a. la justice qui est due aux victimes du pédophile espagnol a été bafouée et leur mémoire salie. Cela nécessitait le rétablissement de la justice. b. la seconde question concerne le problème plus général de la pédophilie au Maroc et de notre pays, reconnu comme destination de tourisme sexuel privilégié. Cela demande une mobilisation déterminée de la société civile et des autorités d'une part, mais également de la société marocaine qui cache cette réalité et l'entretient depuis des lustres... car les criminels ne sont pas que des touristes étrangers. Et il est temps de le dire haut et fort ! Il est temps d'engager un débat et un grand déballage publics. Il est temps de prendre des mesures concrètes, notamment législatives ! 2- le roi a gracié, et commis en cela, et ce n'était pas la première fois, une faute royale qui soulève le problème de la grâce elle-même, qu'il faut désormais encadrer. La mobilisation de la société civile a non seulement été exemplaire, mais elle a aussi été prompte, et courageuse. Femmes et jeunes se sont levés dans un même élan sur l'ensemble de pays, bravant une répression mécanique, et ont permis par leur détermination un enchainement de victoires, qu'il s'agit désormais de renforcer et de démultiplier. Car le combat n'est pas terminé. Mais quel combat ? En retirant sa grâce, le roi s'est dédit, rien de moins, et en cela c'est un précédent, d'évidence « historique ». Comme le souligne Youssef BELAL dans un article sur Lakome : « La monarchie marocaine a longtemps fonctionné sur ce paradoxe : un roi qui décide de tout mais n'est responsable de rien ». Le précédent que constitue ce retrait de grâce royale est donc historique... en cela qu'il constitue une avancée dans le fonctionnement de nos institutions. Certains posts et articles lus sur Facebook et ailleurs ne sont pas sans me rappeler la mobilisation de la droite qui, en France, avait suivi la démission du ministre Cahuzac. Elle avait donné lieu à une stratégie déterminée de délégitimation du pouvoir, menée par la droite dès sa défaite aux élections présidentielles 1 an plus tôt. Cette politique, dangereuse, n'a pour d'autre résultat que de fragiliser la démocratie et l'autorité de l'Etat. La déliquescence de cette autorité a été patente, confrontée à une suite de manifestations d'une opinion chauffée à blanc par une droite et une extrême droite revanchardes dont l'intérêt n'était pas l'avancée du fonctionnement de la démocratie, mais de seuls intérêts électoralistes. Le renforcement du sentiment du Tous pourris n'a eu d'autre effet qu'une forte progression du Front National aux élections qui ont suivi. Il me semble que notre combat, dans la présente affaire du Daniel Gate en tout cas, ne devrait pas être détournée CONTRE une personne, mais POUR un ensemble d'impératifs et d'urgences au profit de notre pays et de ses citoyens. Et les impératifs dans ce contexte me semblent être au nombre de trois : 1- faire cesser, par une avancée législative limpide dans son texte et dans son application, cette répression idiote, mécanique, criminelle et systématique dès qu'il y a manifestation, rassemblement ou sit-in pacifique de notre jeunesse avide de liberté et de justice ; 2- faire de la lutte contre la pédophilie une cause nationale. Engager un vrai débat sur ce fléau dans notre pays, devenu une direction privilégiée du tourisme sexuel international. Fléau qui rappelons-le n'est pas qu'extérieur, mais qui ronge notre société de son intérieur même ; 3- obtenir un encadrement du droit de grâce afin d'éviter à l'avenir toute bévue du type de celle qui a donné lieu à la libération d'un pareil criminel. J'espère ainsi qu'au rassemblement maintenu de ce soir à Casablanca, à 22h00, Place Mohamed V (Saht Lehmam), et auquel je serai, il y aura le plus grand monde, bien plus qu'à Rabat vendredi dernier. Younes BENKIRANE