Mouna Izddine Ils sont Belges, Espagnols, Français, Hollandais, Anglais, Allemands, ou encore Moyen-Orientaux, généralement âgés, plus rarement jeunes adultes, hétérosexuels, mariés et pères de famille dans leur grande majorité. Des hommes d'apparence ordinaires, seulement d'apparence. Se faisant passer pour des touristes lambda en quête de soleil, de thé à la menthe et de cornes de gazelle, c'est une évasion d'un tout autre genre que ces pédocriminels venus d'ailleurs réclament en réalité. D'autres vendent l'image flatteuse d'Occidentaux tombés amoureux du Maroc des mille et une nuits, de ses paysages merveilleux, de sa chaleur humaine et de son histoire plurielle. A tel point qu'ils décident d'y élire définitivement domicile pour y finir leurs vieux jours, ou d'en faire leur second chez soi, à deux heures d'avion du Vieux Continent et cinq heures de l'Orient. Mais, derrière ces masques rassurants, se cachent des pervers sexuels profondément malades, des monstres abjects et sans scrupules. Venus goûter à de la chair fraîche, innocente, tendre et docile, acculée par la misère à vendre son petit corps moyennant une poignée d'euros ou de dollars. Des enfants exploités par des réseaux mafieux ou, plus souvent, des proxénètes à la petite semaine, avec l'approbation, parfois, de familles démunies, ignorantes ou cupides. Les grandes villes touristiques comme Marrakech, Agadir ou Tanger, regorgent de rabatteurs, proposant des prostitués, fillettes et surtout garçonnets, à 50, 100 ou 500 dirhams l'heure, selon les envies et la bourse du client. Depuis le tsunami de décembre 2004, affirment les militants des droits des enfants, les scandales pédophiles impliquant des étrangers, touristes ou résidents, se sont multipliés en terre chérifienne. Si la prostitution des mineurs, à destination des clients étrangers, existait au Maroc bien avant le raz-de-marée asiatique, il n'en demeure pas que cette catastrophe naturelle a constitué un catalyseur pour le tourisme sexuel, faisant se rabattre les pédocriminels européens et américains, clients habituels des bordels thaïlandais, sur les pays africains. Mais le phénomène est loin de se limiter au Maroc touristique. Dans des cités côtières plus petites, et plus discrètes, comme El Jadida ou Assilah, les canards locaux se font tous les ans l'écho de l'arrestation par la police de pédophiles étrangers, souvent des retraités qui viennent poser leurs valises dans des quartiers populaires ou modestes, où ils sont sûrs de trouver des vivres charnelles pour assouvir leurs vices. La dernière affaire couverte par notre journaliste à Kénitra en est une tragique, vile et douloureuse illustration. Ou comment, pendant 5 ans, moyennant des friandises et jouets pour les garçonnets et les fillettes, et des promesses de mariage pour les adolescentes, un retraité espagnol, irakien d'origine, a abusé ou violé sous la menace des dizaines de mineurs des quartiers périphériques et des douars avoisinants de la capitale du Gharb. Combien d'enfants ont osé parler ? Combien de familles étaient au courant avant la découverte par hasard de la clé USB comportant les photos de leurs enfants abusés? Quelle est leur part de responsabilité dans cette affaire ? Car si les pédophiles doivent être sévèrement sanctionnés pour leurs crimes, tout l'entourage des petites victimes est à blâmer et à responsabiliser. Les parents qui ne donnent aucune éducation sexuelle aux petits Marocains, ou taisent leur viol sous l'alibi éternel de la hchouma et des interdits socio-religieux. L'institution scolaire, publique en particulier, quasi déconnectée de la réalité extérieure à laquelle sont confrontées tous les jours les futures générations d'adultes qu'elle est censée éduquer et conscientiser. La presse nationale, qui prétexte que les couv'» sur la pédophilie ne font plus sensation dans les kiosques, or c'est d'un sérieux combat social qu'il s'agit de mener, au-delà de toute vision commerciale du sujet. A blâmer également, certains agents d'autorité qui se laissent soudoyer pour fermer les yeux sur ces exactions. Enfin, des pouvoirs publics qui, malgré des efforts louables en matière de législation, ne se montrent pas suffisamment intransigeants dans les peines infligées aux pédophiles, en particulier lorsque ces derniers sont des ressortissants de «pays ami». L'ère des tabous, de l'omerta et de la permissivité est révolue. Place à la «tolérance zéro» envers les pédocriminels, toutes nationalités confondues. Et c'est ce pour quoi doit se battre le Maroc tout entier, faute de quoi notre pays deviendra un nouveau Bangkok. Cinq ans d'horreur et d'omerta Salaheddine Lemaizi Nawal* a 6 ans, elle est la plus jeune des neuf victimes connues jusqu'à maintenant du pédophile espagnol d'origine irakienne, G.B.S., plus connu sous le prénom de Daniel, qui sévissait depuis 2005 dans la ville de Kénitra. De l'antre du diable à la place publique Daniel.G commence à pratiquer des attouchements sur les parties intimes de Nawal, alors que celle-ci est un bébé de 2 ans à peine. La première fois, c'était dans la salle de bain. Alors que Nawal urine, le pédophile filme la scène. S'ensuivront plusieurs séquences de la fillette nue tournées dans sa chambre et dans la douche. Les cheveux châtains, le visage brûlé par le soleil et marqué par des mycoses, Nawal porte un survêtement rouge crasseux et des sandales de plastique. Depuis l'éclatement de l'affaire, la famille de Nawal et des autres victimes se cachent. Elles nous donnent rendez-vous dans un lieu discret, loin des regards curieux ou méprisants. Nawal est avec eux, elle s'est assise à l'extrémité de la salle, elle feuillette un magazine, l'esprit ailleurs. La fillette ne sait pas qu'elle est au centre d'une sordide affaire de pédophilie qui secoue la région du Gharb en entier. Kénitra, qui ne s'est pas encore remise du choc d'un récent crime passionnel, subit un deuxième traumatisme. L'onde de choc provoquée par la mise à nu de ce nouveau scandale s'est propagée dans toute la ville: «L'épicentre se trouve dans la périphérie de Kénitra, d'où provient la majorité des victimes», précise Souad Mlih, coordinatrice régionale de l'association Touche Pas à Mon Enfant (TPME) dans la région du Gharb. «On fait tout pour protéger les victimes, et pour faire connaitre ces faits horrifiants afin de sensibiliser l'opinion publique contre la pédophilie», ajoute-t-elle. L'affaire explose par hasard. M.H., un voisin de l'accusé, cherche à vendre deux clés USB que Daniel a oubliées chez lui. Avant de conclure son petit marché avec un collègue de travail, le voisin vérifie si la clé fonctionne. C'est le cas. Mais ce que découvrent les deux hommes sur l'écran les laisse abasourdis. Des centaines de photos et de vidéos de jeunes filles et d'enfants nus, subissant les sévices sexuels du pédophile. Pris de panique, les deux hommes refilent la patate chaude le 25 novembre 2010 à maître Hamid Krairi, avocat au barreau de Kenitra. Ce dernier transmet le CD qu'il a reçu de M.H. au Procureur général du Roi auprès de la Cour d'appel de la ville. Une chape de plomb saute, l'insoutenable est sur la place publique. La vie (a)normale de Daniel.G «Un monstre», c'est le seul mot que Fatéma*, 20 ans, une des première «proie» de Daniel, trouve pour le décrire. Au bord de la crise de nerfs, la jeune femme s'effondre en larmes. Sa petite sœur Karima (18 ans), et d'autres victimes, Saida (13 ans), Rkia (12 ans) et Souad (10 ans), la regardent. Mais qui est G.B.S.? Daniel.G, 60 ans, est un retraité espagnol sans histoires. Lors de son premier séjour au Maroc en 2003, il tombe sous le charme du pays. Il achète un appartement dans les Résidences Chaâbi, non loin du centre-ville de Kénitra, un quartier de classe moyenne. Depuis l'éclatement de l'affaire, personne n'ose se rappeler de lui, ses anciens voisins préférant le silence comme seule réponse à nos questions. Pourtant, la moitié des victimes habite ce quartier. Daniel voit le jour en 1950 à Bassorah, en Irak, dans une famille turkmène. Il est professeur de biologie maritime dans son pays natal, puis en Espagne, où il émigre en 1984. En 2004, il quitte la ville de Murcie (Andalousie, Sud) pour s'installer au Maroc. «Il n'a jamais demandé de permis de séjour. Chaque trois mois il quittait le territoire», se rappelle Karima. «Il faisait croire aux gens du quartier qu'il n'aimait que les hommes», tient à préciser la petite sœur de Fatéma. Pourtant, Daniel ramène régulièrement des prostituées chez lui. L'accusé a en outre deux enfants de son premier mariage contracté en 1977 en Espagne avec une Hispano-canadienne. Il se marie de nouveau en 1984, avant de rompre cette seconde union en 1990. À sa naissance, G.B.S était Mandéen (religion présente en Irak et qui considère Adam comme le seul vrai messager de Dieu). En 1967, il se convertit à l'Islam, mais sans le pratiquer. «Chaque Ramadan, il insistait pour qu'on ne jeûne pas, mais on refusait. Tout au long de ce mois, il ne faisait que boire et nous provoquer», se remémore Fatéma, la mine dégoûtée. Un monstre dans les filets de la PJ Si dans son entourage extérieur, il inspire confiance, chez lui, Daniel.G fait régner la terreur. Un personnage rusé qui a su maitriser rapidement les rouages de la société marocaine, ses points faibles et ses points forts. Son apprentissage rapide de la darija, le dialecte marocain, l'aide dans sa criminelle entreprise. Résultat des courses : six ans d'impunité, avant que tout ne bascule ce 27 novembre 2010. Ce jour là, une équipe de la Police judiciaire (PJ) débarque à la résidence «Sabah Biladi». Elle arrête l'accusé en compagnie de H. K., une prostituée originaire de Khénifra. La PJ saisit son matériel informatique, une caméra numérique, un appareil photo, un PC portable, 4 CD, 12 DVD, et un godemiché de bois couvert de cire rouge. L'affaire du «pédophile espagnol» ne fait que commencer. Les enfants qui apparaissent dans les vidéos sont identifiés, «mais il n'a pas été facile de convaincre les familles de déposer plainte contre l'accusé. Elles avaient peur et surtout honte», confie la coordinatrice régionale de TPME. Au moins 15 personnes seront entendues par la police pour témoigner dans cette affaire. La dureté des images n'a d'égale que l'atrocité des faits. Deux proies pour le prix d'une En 2005, Fatéma, 15 ans, originaire d'un douar périphérique de Kénitra, travaille dans le même quartier où vient de s'installer Daniel, pour un salaire mensuel de 500 DH. G.B.S. lui offre le triple de ce qu'elle gagne chez ses anciens employeurs, elle accepte. «Dès la première nuit, il a essayé de me violer. Après, j'ai compris qu'il n'habitait pas avec sa femme et ses enfants. Pour éviter ses harcèlements, j'ai demandé à ma petite sœur Karima de venir habiter avec moi», se souvient la jeune fille qui n'est jamais allée à l'école, comme sa cadette. Début 2006, Fatéma subit son premier viol, «un matin, je me suis réveillée dans son lit, toute nue, je souffrais de douleurs vaginales et anales». Un soir d'été de la même année, «Daniel était ivre, il est entré dans notre chambre et il a essayé de nous violer, toutes les deux. Nous avons résisté, puis nous nous sommes enfuies avec l'aide d'une voisine», poursuit Fatéma. Les deux jeunes sœurs déposent une plainte, qu'elles retirent quelque temps après suite à des promesses faites par G.B.S à leurs parents. Après ce clash, Daniel s'engage ainsi à épouser l'ainée. Les parents de Fatéma obtiennent l'autorisation de mariage de mineure du tribunal. «Il nous a fait croire que ce document vaut un acte de mariage. Il m'a flouée», reconnait Fatéma. Durant cette période, Daniel construit dans le douar une maison pour la famille, gagne leur confiance et celle «de l'ensemble des représentants de l'autorité dans notre douar, spécialement le moukadem», avance Driss, un habitant dont la fille a été victime elle aussi des actes du pédophile. Fatéma attend un mois, il lui fait croire qu'elle est sa femme, «mais je ne voyais rien venir concernant l'acte de mariage. Au final, il m'a expulsée de chez lui». Fatéma part travailler à Rabat sans rien à dire à sa famille. Elle laisse Karima, sa petite sœur, entre les mains du «monstre». Fatéma ne revient au village qu'en 2009 pour tout dévoiler à sa famille. Entre 2006 et 2009, Daniel.G a eu le temps d'assouvir toutes ses viles pulsions… L'ogre passe à table Avec la même ruse, le pédophile fait miroiter cette fois-ci l'adoption pour Karima. D'ailleurs, lors de la descente de police, un document a été saisi indiquant qu'une demande a été déposée auprès des autorités dans ce sens. Violée à 14 ans par Daniel, Karima comble les perversions de son nouveau «père», «il m'obligeait à boire de l'alcool et à répondre à ses sollicitations sexuelles. Si un soir je refusais, il menaçait de tuer toute ma famille», explique-t-elle. À cette période, des membres de la famille de Karima venaient passer de temps à autre quelques jours avec elle. Une aubaine inespérée pour le pédocriminel. Du côté de la famille de Fatéma et Karima, les actes pédophiles du retraité espagnol ont touché Nawal (6 ans), âgée de 2 ans au moment des faits. Mais aussi Rkia (12 ans), qui avait 8 ans lorsqu'elle s'est fait violer, tandis que Saidia (13 ans) a subi les assauts de G.B.S l'an dernier. Dans le quartier, les autres victimes avérées sont Souad (10 ans), 6 ans au moment du premier viol, comme Aziza. Daniel a également abusé d'Omar (19 ans), 14 ans au moment des faits. Un tableau de chasse qui risque de s'étoffer dans les prochaines semaines. Le modus operandi de Daniel était semblable à celui de nombreux pédophiles, à savoir établir un lien de confiance avec son entourage, pour pouvoir abuser à son gré de ses petites victimes. Dans le quartier, il organisait des fêtes pour les enfants de son immeuble, distribuait des bonbons et quelques vêtements. Il faisait également des sorties à la plage de Mehdia avec les enfants. «A notre retour, il prenait une douche tout nu avec nous, nous touchait et nous prenait en photos», témoigne Karima. «Une fois, il m'a offert de la lingerie, et m'a demandé avec insistance de les essayer devant lui, mais j'ai refusé», se rappelle Amal, 10 ans. Pour Intissar, 10 ans aussi, Daniel a proposé des cours d'anglais comme «monnaie d'échange», mais la fillette refusera à son tour. Après le départ de Fatéma en 2007, Karima quitte à son tour la maison de Daniel en 2009 et retourne au douar. Sa tante Hanane continue de se rendre chez Daniel avec ses deux filles Rkia et Nawal. «Je n'ai rien remarqué d'étrange dans son comportement. Il était aimable avec moi, je lui confiais mes enfants au moment de faire le ménage», se rappelle cette maman, désarçonnée face à l'enfer qu'ont enduré ses filles. «On n'a jamais connu ça. C'est une honte», ajoute-t-elle. Les enfants de Hanane n'ont rien dit à leur mère, à l'image de tous les enfants violés dans cette affaire. L'Hchouma, l'omerta complice du douar Depuis le 28 novembre 2010, le douar vit sous le rythme des convocations de la PJ. Pour les besoins de l'enquête, les victimes sont à chaque fois récupérées de chez elles à des heures tardives afin de compléter le puzzle de cette sordide affaire. «Les interrogatoires sont longs, et il faut à chaque fois redire toute cette horrible histoire des dizaines de fois devant différentes personnes», se plaint Karima. La vie du douar n'est plus la même. Pour les hommes du douar, une seule fille est responsable de cette «honte»: Fatéma. «Ils l'accusent d'avoir ramené Daniel au douar, alors que ce sont eux qui sont complices par leur silence», accuse Souad Mlih de Touche pas à Mon Enfant. La tête de Fatéma est mise à prix. Agressée violemment par un jeune homme du douar, elle s'en est sortie avec treize points de suture à la cuisse. «C'est injuste, j'ai été la seule à dénoncer les agissements de Daniel. J'ai deux fois déposé plainte chez la police, mais ni ma tante ni les hommes du douar ne voulaient m'entendre», se défend Fatéma. «Le ciel vient de me tomber sur la tête, mon fils veut me tuer», confie quant à elle, catastrophée, Hanane, la maman de Nawal. Jusqu'à l'éclatement du scandale, tous les habitants du douar affirment ne pas s'être doutés un seul instant des crimes qui se déroulaient toutes ces années durant sous le toit du pédophile... Parents pauvres, ignorants ou démissionnaires ? Il faut dire que les liens étroits que G.B.S a établis dans cette région pauvre lui ont permis d'être pour ainsi dire «maître au village». Après avoir soudoyé la famille de Karima et Fatéma, Daniel choisit en 2010 de changer de subterfuge. Il lance à leur encontre une procédure judiciaire d'expulsion de la maison qu'il a construite sur le terrain même de la famille. La décision est exécutée le jeudi 25 novembre 2010. L'Espagnol n'aura pas le temps de fêter cette victoire judiciaire sur ces paysans auxquels il a volé terres et honneur. Deux jours après, le pédophile est arrêté par la police. Au début, il nie tout, mais lorsque lui sont montrées les photos et les vidéos, G.B.S passe aux aveux. «La pauvreté et l'ignorance expliquent en bonne partie le drame de ces familles», explique la militante associative. Qui se dit elle aussi dépassée par l'ampleur de l'horreur. Concernant les victimes qui résident dans l'immeuble de l'accusé, c'est plus «un excès de confiance lié à la culture de la société marocaine», estime une source proche de l'affaire. En concomitance avec le début du procès, un suivi psychologique des victimes devrait commencer: «Nous sommes devant des personnes qui ont perdu leurs repères, Fatéma est-elle une fille de la ville ou bien de la campagne ?», se demande S. Mlih. Selon nos sources, le juge d'instruction veut en finir avec ce dossier le plus rapidement possible. Le procès devrait commencer bientôt. Daniel risque au maximum 30 ans de prison. Mais rien ne pourra compenser le mal causé aux victimes et leurs familles. «Nous refusons catégoriquement que notre pays devienne une destination pour pédocriminels» Najat Anwar Présidente de l'association «Touche pas à mon enfant». propos reccueillis par mouna izddine L'Observateur du Maroc Que prévoit le code pénal marocain comme sanctions contre l'auteur d'un acte pédophile, marocain ou étranger? Najat Anwar. La justice marocaine a clairement pris conscience de l'ampleur du phénomène pédophile, et heureusement applique les lois avec plus de vigueur. Mais nous devons encore renforcer notre arsenal juridique pour une plus grande protection des enfants. Les textes de loi doivent être encore plus incisifs face à la pédocriminalité, et le message envoyé aux pédocriminels, qu'ils soient marocains ou étrangers, doit être sans appel. En attendant, actuellement, selon le code pénal marocain, en vertu de l'article 484, est puni de l'emprisonnement de deux à cinq ans, tout attentat à la pudeur consommé ou tenté sans violences sur la personne d'un mineur de moins de dix-huit ans, d'un handicapé ou d'une personne connue pour ses capacités mentales faibles, de l'un ou de l'autre sexe. En cas de violences (article 485), la réclusion varie de 10 à 20 ans. En outre, l'article 486, qui définit le viol comme l'acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une personne contre son gré, punit cet acte par une incarcération de cinq à dix années. Facteur aggravant, si le viol a été commis sur la personne d'un mineur de moins de dix-huit ans, d'une personne handicapée ou connue pour ses facultés mentales faibles, ou d'une femme enceinte, la peine de prison est de dix ans et peut aller jusqu'à vingt ans. La justice est-elle plus sévère en cas de lien de parenté de l'agresseur avec la victime ? En effet, l'article 487 du code pénal est très clair là-dessus. Ainsi, si les coupables sont les ascendants (parents, grands-parents, arrières-grands parents , etc) de la personne sur laquelle a été commis l'acte en question, s'ils sont ses tuteurs ou ses serviteurs à gages (domestiques par exemple), s'ils sont fonctionnaires ou ministres d'un culte, ou encore si le coupable a été aidé par une ou plusieurs personnes, l'emprisonnement peut atteindre trente ans. Tout dépend s'il y a eu violences ou non. Ceci dit, dans les cas prévus aux articles 484 à 487 précités, si la victime a été déflorée pendant l'attentat à la pudeur ou le viol, l'accusé est passible d'une peine d'emprisonnement de cinq à trente ans, selon la gravité des faits qui lui sont reprochés et son lien avec la victime. Je tiens à ajouter une précision importante, qui a tout son poids dans la donne actuelle : en 2003, trois nouvelles infractions ont été introduites dans le Code pénal par la loi n° 24-03. En l'occurrence la vente et l'achat d'enfant, le travail forcé et la pornographie mettant en scène des mineurs. Votre association s'est déjà portée partie civile dans des procès contre des pédophiles étrangers. Quelles sont les affaires que vous avez remportées et quelle est selon vous l'ampleur du tourisme sexuel impliquant des mineurs et de la pédophilie au Maroc? Depuis le début de l'année 2006, nous avons eu, entre autres, trois Allemands et un Belge jugés et condamnés à Agadir, et un Hollandais et un Français jugés et condamnés à Marrakech. Avec une augmentation du tourisme à destination du Maroc de 20 % par an, nous avons remarqué une augmentation parallèle du tourisme sexuel dans notre pays, et malheureusement du tourisme sexuel impliquant des enfants. Les pédophiles peuvent d'autant plus aisément s'adonner à leurs crimes que la facilité de trouver des enfants de rue, ou en situation de pauvreté ou de précarité, est grande. Mais nous refusons catégoriquement que notre pays devienne une destination de touristes pédocriminels, et c'est exactement l'un des combats fondamentaux de notre association. Aussi, nous aspirons à ce que le Maroc attire les voyageurs par ses multiples richesses culturelles et géographiques, et non pas par ses enfants mal protégés. Ceci dit, pour répondre à la seconde partie de votre question, les crimes de pédophilie étant souvent protégés par le tabou et la peur du qu'en dira-t-on, il nous est difficile d'énoncer des statistiques significatives sur l'ampleur de ce phénomène monstrueux, même si nous sommes convaincus que son étendue est beaucoup plus importante qu'il n'y paraît. Néanmoins, constat positif, de plus en plus de gens commencent à sortir de leur mutisme en nous contactant et en dénonçant ces actes criminels auprès de «Touche pas à mon enfant». Notre association essaie d'offrir un encadrement aux familles et aux victimes des agresseurs. Nous nous portons partie civile pour la plupart des plaignants, et leur offrons une assistance juridique et, si besoin est, psychologique, dans la mesure du possible. Par cet appui, les victimes sont encouragées à porter plainte, la loi de la «hchoum» (pudeur, honte) régnant encore dans plusieurs régions du Maroc. Où en êtes-vous dans votre lutte contre la pédophilie en général? A nos yeux, l'un des nerfs de la guerre contre ce fléau est la communication. Il s'agit de briser le silence et le tabou qui entourent la pédophilie dans la société marocaine. Nous organisons régulièrement dans ce sens des tournées dans les écoles, et menons des campagnes de sensibilisation et de prévention auprès des enfants, des jeunes et des familles via les différents salons, festivals, et autres événements d'importance. Nous participons en outre à différentes émissions radiophoniques et télévisées, et donnons des interviews dans la presse écrite afin de diffuser notre message auprès du plus grand pourcentage possible de Marocains. Par ailleurs, «Touche pas à mon enfant», qui travaille en partenariat étroit avec les différentes associations ayant des objectifs similaires, conçoit en continu des projets originaux pour maintenir en éveil tous les acteurs concernés, et mieux former et informer le grand public. Enfin, nous aspirons dans un futur proche à ouvrir des centres d'écoute dans les villes du Maroc les plus touchées par la pédophilie et les abus sexuels sur les enfants. Pédocriminels, ces monstres venus d'ailleurs Mouna Izddine Misère et ignorance, lits du viol infantile Depuis 2005, les arrestations de pédophiles étrangers, souvent pris en flagrant délit de viol sur des enfants, se font de plus en plus nombreuses. Multiplication des titres de presse, liberté d'expression, resserrement de l'étau gouvernemental contre le tourisme sexuel et dynamisme de la société civile aidant, ces captures sont également de plus en plus médiatisées. Les chroniques judicaires retiendront ainsi en mars 2005 l'affaire «Hervé Désiré Le Gloannec», du nom de cet agent immobilier français chez qui la police marrakchie a découvert 17.000 photos et 140.000 vidéos pornographiques mettant en scène des enfants asiatiques et africains... dont une cinquantaine de petits Marocains, «chassé» par Mustapha Balsami, maquereau notoire de 23 ans à peine. Autant d'images que le pédocriminel français postait sur des sites pédophiles. Arrêté en flagrant délit d'abus sur un garçon de 14 ans dans son appartement à Daoudiyate, Le Gloannec est condamné à 4 ans de prison, peine ramenée à 2 ans en appel, la justice ayant estimé qu'il n'existait pas de réseau de proxénétisme organisé dans cette affaire. Mustapha Balsami, lui, condamné à 2 ans de prison en première instance, est libéré en appel, le 27 juin 2005. Consternation, incompréhension et colère des militants anti-pédophiles. Ceux-ci n'en sont pas au bout de leur surprise. Eté 2006. Jean-Pierre Rollier, touriste belge de 47 ans surpris en plein acte sexuel avec un mineur dans son domicile à Agadir, durant l'été 2006, fera pareillement parler de lui. Il sera condamné à 6 mois de prison ferme et 3000 dirhams d'amende, contre 2 mois fermes et 3000 dirhams pour son rabatteur. Une peine dérisoire quand on sait que dans son pays d'origine, comme dans toute l'Union Européenne, l'accusé principal aurait écopé de 3 à 7 ans d'emprisonnement. Toujours à Agadir, le 16 mars de la même année, un ressortissant germanique de 67 ans est appréhendé en compagnie d'un adolescent dans son mobile home. La police découvrira que le pédophile, «amoureux» d'Agadir depuis 20 ans, proposait 50 dirhams aux enfants et adolescents indigents de la ville en échange de rapports sexuels et de prise de photos suggestives. Soumère, pédophile ou… Mais dans ce lot d'histoires malpropres, une en particulier, révélée au printemps 2006, aura longuement marqué les esprits. Jamais une affaire de pédophilie impliquant un ressortissant étranger au Maroc n'avait eu pareil retentissement à l'international. Bouleversant l'opinion publique marocaine, traversant la Méditerranée pour s'en aller agiter le monde pailleté du show-bizz parisien Non sans raison. Le protagoniste principal, Jack-Henri Soumère, ex-directeur du Théâtre Mogador de Paris et de l'opéra de Massy, Chevalier de l'Ordre national de la légion d'honneur, est un grand nom du spectacle dans l'Hexagone. C'est aussi un féru de la ville ocre depuis plus de 30 ans. Le 24 avril 2006, alors qu'il se trouve en compagnie de deux jeunes « autochtones », Sabri H., 16 ans, et un adulte du nom de Mustapha Dahali, Soumère est arrêté dans sa villa à Guéliz, au centre-ville de Marrakech, par les autorités policières marocaines. Dans son domicile, les policiers confisquent notamment des vidéos de films X et du «matériel pornographique». Sabri.H, lycéen de 16 ans, affirmera alors avoir rencontré «son clien» sur le site gay «cyberman.com», et que Mustapha Dahali, rabatteur de son état, lui aurait proposé de 300 à 400 dirhams en échange d'une prestation sexuelle pour Jack-Henri. Acte auquel le jeune garçon se préparait «au moment où la police est entrée». Mustapha confirme les aveux de Sabri, expliquant qu'il a ramené l'adolescent sur demande du sexagénaire. L'ex-patron du Théâtre Mogador nie catégoriquement cette version des faits, prétendant qu'il était en train de regarder la soirée des Molières à la télévision lorsque le jeune Sabri, qu'il pensait âgé de 21 ans, est venu à son riad pour un entretien de recrutement. Accusé d'«homosexualité, d'incitation d'un mineur de moins de 18 ans à la prostitution, de détention et consommation de résine de cannabis, d'aménagement d'une résidence pour la prostitution et détention d'objets et d'images pornographiques», Jack-Henri Soumère est placé 22 jours durant en détention préventive et se voit confisquer son passeport. Bouc-émissaire homosexuel ? C'est alors une impressionnante levée de boucliers qui s'organise depuis la capitale française pour dénoncer «une machination obscure, un sombre complot». Outre le puissant lobby gay, des pontes du show-bizz et du monde politique français se mobilisent en masse pour défendre Soumère, clamer son innocence et revendiquer sa libération. Entre autres : Dave, Nicoletta, Marc-Olivier Dupin, Olivier Desbordes, Jacqueline Assouline ou encore Jean Pierre Dravel. Pour ne citer qu'eux. Accusé de « chasse aux homosexuels» (l'homosexualité, considérée comme un délit, est passible de prison au Maroc), le Royaume est malmené par les défenseurs du directeur de l'opéra de Massy, qui omettent étrangement l'inculpation d'abus sexuel sur mineur, témoignages à l'appui, pesant sur Soumère. Ce dernier continue pour sa part à clamer partout: «Oui, je suis homosexuel. Non, je ne suis pas un pédophile. Je n'aime pas les enfants. J'ai toujours fait la guerre contre ça». La fin d'une histoire, le début d'une longue bataille Mais les ONG marocaines, parmi lesquelles l'Association «Touche pas à mon enfan» et l'Association Marocaine des Droits Humains (AMDH), déterminées à ne pas laisser le Maroc devenir une nouvelle Thaïlande pour pédophiles étrangers argentés, profitent de la large médiatisation de ce scandale pour appeler à une législation sévère et spécifique contre le tourisme sexuel et la prostitution enfantine, tout en rappelant que leur combat concerne les abus sexuels envers les mineurs, et non les rapports homosexuels entre adultes consentants. Peine perdue. Le tribunal déclare les deux ONG, qui se sont constituées partie civile, «incompétentes» à se présenter comme tel. Jack-Henri Soumère est condamné en première instance le 27 juin 2006 à 4 mois de prison avec sursis, assortis de 5000 dirhams d'amende, pour «homosexualité et détention de cannabis». Mais il est disculpé, « faute de preuves », de l'accusation d' incitation d'un mineur à la prostitution». Tandis que Mustapha Dahali, le chef du « casting de jeunots » pour le patron de théâtre français, écope de 4 mois de prison ferme et 5000 dirhams d'amende. Soumère fait appel et rentre aussitôt en France. Depuis, on n'entendra plus parler de lui au Maroc, et dans son blog, les fans de ce « spécialiste de projets culturels et divertissements » continuent d'affluer. Si le scandale « Jack-Henri Soumère » n'a pas livré à ce jour toutes ses zones d'ombre, il aura néanmoins, avec l'affaire Gloannec, signé la naissance d'une ère de bataille sans merci contre la pédocriminalité sous les cieux marocains.