Même les plus sceptiques ont été surpris. La célérité et la véhémence avec lesquelles le Mouvement de l'unification et de la réforme a répliqué à Nadia Yassine n'ont laissé aucune embrouille. Dans un communiqué publié au cours de la semaine dernière, le MUR "a réitéré son attachement à la monarchie, basée sur la Commanderie des croyants ". Une petite phrase, qui vaut son pesant en histoire. Mais qui, dans la relation entre les islamistes du PJD et ceux d'Al Adl Wal Ihsane, marque une ligne de démarcation. D'habitude, tous les barbus se ressemblent. Ce qui, à maintes reprises, mène à la confusion : beaucoup de Marocains, gotha politique et citoyen lambda y compris, confondent les tendances. D'Al Adl au MUR, c'est du pareil au même. Or, outre le référentiel doctrinal, soufi dans un cas, fondamentaliste dans l'autre, l'intégrisme des uns, n'est pas forcément, et toujours, similaire à celui des autres. Une différence de taille : si le MUR s'est convaincu d'intégrer le champ politique national, Al Adl pour sa part, y renonce. Et pour cause : la jamaâ de Yassine ne "reconnaît" pas la Commanderie des croyants. A tout le moins, le Cheikh appelle à une reconsidération du statut religieux du Monarque. Ce n'est pas un secret, et il paraît qu'on s'y habitue depuis toujours. Sur ce point, la position de Nadia Yassine ne fait que se rabattre sur du "déjà-vu". Le MUR, également, rappelle une différence qui n'a jamais cessé d'exister. Comme quoi, on peut avoir la même "qibla", sans pour autant emprunter les mêmes chemins. Ce n'est pas uniquement dans les principes généraux que l'option des MUR se définit comme le contraire du choix (naturel ?) d'Al Adl Wal Ihsane. Au moment où Ahmed Raissoune était président, le MUR avait réagi, non sans fermeté, au fameux mémorandum d'Abdeslam Yassine adressé à "qui de droit". L'universitaire qui avait d'abord attiré l'attention par sa causerie religieuse devant S.M le Roi un certain Ramadan, avait également trouvé, dans une interview accordée à MHI, le "mémorandum très dur à l'adresse de S.M Mohamed VI". Sur la forme en premier lieu : "le style par certains côtés peut être choquant et attentatoire à la personnalité du Roi défunt et plus gênant pour S.M le Roi" explique-t-il. Et d'ajouter : " que le monde d'interpellation est discourtois ". Ou encore : " il est difficile d'envoyer un mémorandum au Souverain dans le même style de la lettre de Yassine à Feu Hassan II en 1974 ". En cette année, faut-il le rappeler, le Cheikh de la Jamaâ avait adressé un mémorandum intitulé " l'Islam ou le déluge ". On y retient surtout l'appel de Yassine, le père, à une autocratie déclarée " ou il n'y a pas de place pour les partis ". La suite est désormais dans les annales de l'histoire contemporaine de l'Islamisme politique : asile psychiatrique, assignation à résidence à l'encontre du Cheikh. Ahmed Raissouni qui a lui-même pêché par une certaine outrance à l'égard de la Commanderie des croyants jugeait dans la même interview "que Yassine a tort sur la forme". Et le fond ? du côté du bilan désastreux, sur le plan socio-économique, l'ex-chef du MUR semble partager ce point de vue de Yassine. De là à remettre en cause la monarchie, il y a un pas que Raissouni hésitait à franchir. Il ajoute même que “ les Marocains connaissent Si Abdeslam (…), il lui arrive de sacrifier la forme au fond ". Sans se cantonner sur l'appréciation conjoncturelle, et même formaliste, l'idéologue du MUR et non moins membre influent du PJD (l'alter égo du MUR), trouvait qu' " Al Adl Wal Ihsane est un mouvement pacifiste qui ne saurait entrer en conflit avec le pouvoir...” On ne peut en aucun cas dire que si Al Adl Wal Ihsane jouissait de la liberté suffisante, elle en profiterait pour menacer la sécurité et la stabilité de l'Etat. Moins politique, l'ex-chef du MUR puise même dans la vulgate de Yassine. " J'espère que dans un proche avenir, on pourra parler d'un roi qui dépassera la notion du Roi d'Al Adl (la justice) pour un Roi d'Al Ihsane (le bien) et j'en suis convaincu ". Reste à savoir si le MUR garde le même état d'esprit jusqu'à nos jours. En clair, le Cheikh demeure-t-il aussi inoffensif que le laisse entendre Raissouni. Une chose est sûre : dans l'interview incriminée de Nadia Yassine, le PJD, l'aile politique du MUR en a eu pour son grade. Selon la fille du Guide suprême d'Al Adl, eux-mêmes ont trempé dans le jeu "crasseux" (sic) de la politique. Conséquence d'une complaisance délibérée, sinon suspicieuse, leur choix les met "à la solde du makhzen". La déclaration, humiliante au demeurant, ne passe pas inaperçue. Plus : c'est là une "cessez-le-feu unilatéral", croit savoir un membre du PJD. Attajdid, l'organe du MUR et donc officieusement porte-parole du parti de Saâdeddine Othmani n'y va pas de main morte. " Les déclarations de Nadia Yassine –sur la monarchie- ne font même pas sourire. Car, fini le temps où seuls les téméraires et les plus audacieux osaient les proférer. Fini le temps où tels propos conduisaient à la prison et aux calvaires ". L'Ironie, à peine voilée, traduit, au fond, une appréciation politique : Nadia est déphasée ! Publiant le communiqué du MUR, Attajdid a par la suite reproduit, intégralement, l'entretien accordé par le nouveau chef du MUR, Mohamed Hamdaoui, à notre confrère ALM. Le mode de présentation est révélateur : "nous sommes et nous serons attachés à nos institutions monarchiques.” Le jour d'après, le quotidien revient à la charge. Cette fois c'est une députée, très en vue, qui réplique. " Bassima Hakkaoui débat avec Nadia Yassine " lit-on sur la une. Plus : "la virginité d'un parti virtuel". En terme de réplique, la députée ne fait pas dans la dentelle : confusion, diffusion, et le besoin de réussite… sont autant de griefs que Hakkaoui reproche à Yassine. Des dards plus venimeux sont décochés également à l'encontre de la voilée d'en face : " qui veut garder sa virginité ne peut s'ouvrir, ni s'attacher ni régner en politique comme au mariage". Seule issue : " C'est qu'il doit cesser d'émettre des fatwas : il ne faut pas prendre toutes les mouches qui volent pour des idées." Plus prosaïquement, Attajdid enfonce le clou et déclare "le régime républicain est étranger aux Marocains”. Idem pour celui qui fait du Califat " son choix stratégique” ! Et pour finir : " la politique abhorre les fantômes, et le vide politique dévoile les divagations et les inepties ". Venant d'une islamiste, ces petites phrases assassines en disent long sur les choix du PJD, face à ceux d'Al Adl.