À force de jouer à des jeux dangereux, Hicham Mandari s'est brûlé les ailes. Ce Marocain flamboyant qui avait élevé l'art du chantage jusqu'à narguer le roi du Maroc a perdu la partie, sur la Costa del Sol, en Espagne dans la nuit du 3 au 4 août. Jamais lassé de trafics et jolis coups d'escrocs, Mandari troquait les identités. “Je suis le fils de Hassan II”, assurait-il à l'occasion. Il trompait sans cesse son monde. Il a dû pousser le jeu un peu trop loin pour qu'un tueur lui mette une balle dans la tête sur un parking près de Malaga. Il avait 32 ans. Hicham Mandari n'avait rien d'un opposant. L'idéal politique n'était pas son fort. La clé de sa fin tragique se trouve plutôt dans les méandres d'une vie remplie de mystifications. Poursuivi en France pour son implication dans une filière de faux dinars de Bahreïn, arrêté à Paris après avoir fait chanter le président de la Banque marocaine du commerce extérieur, Mandari avait même été incriminé pour port d'armes. Lui qui ne rechignait pas à fréquenter le monde des services secrets ne refusait pas non plus la publicité. En 1999, le Marocain avait même publié dans le Washington Post une adresse à l'attention de Hassan II, menaçant le roi de divulguer le contenu de “dossiers” contenant des “informations dommageables”. Mais avait-il jamais été le conseiller spécial de Hassan II, comme il le prétendait ? Le palais royal de Rabat le dément. S'est-il fourvoyé avec des partenaires véreux et expéditifs ? Question mystère, la mort de Hicham Mandari est à l'aune de sa vie. Christophe Deloire Le Point 19/08/04 N°1666 Page 33 Les services secrets de quatre pays suivaient Mandari Les services secrets de quatre pays, à savoir les Français, les Marocains, les Bahreïnis et les Emiratis, suivaient Mandari “ qui a été assassiné dans la nuit du 4 au 5 août à Mijas, après avoir survécu à trois précédents attentats (un en Colombie et deux en France), selon des sources proches de l'enquête. Par ailleurs, des groupes mafieux albanais et ukrainiens avaient aussi des comptes à régler avec lui après qu'il a mis en circulation 120 millions de faux dinars bahreïnis (350 millions d'euros). Le roi du Bahreïn est en visite au Maroc depuis hier. Hicham Mandari se sentait menacé et avait beaucoup de raison d'avoir peur. En 1999, il a été victime d'une tentative d'assassinat à Bogota en Colombie et en novembre 2002 et avril 2003 il a fait l'objet de deux attentats à Paris. Dès lors, il avait toujours des gardes du corps, mais les enquêteurs de la garde civile ignorent si Mandari était accompagné ou non de ses gardes du corps et si oui, est qu'ils avaient joué un rôle dans son assassinat. Ce qui est clair, que Mandari a reçu un seul coup de feu dans la tête, tiré par derrière et à courte distance. C'est-à-dire, que l'assassin marchait derrière la victime, qu'il avait sa confiance, ou qu'il l'a trouvé dans un lieu de rendez-vous, auquel il y aurait été attiré par une personne de sa confiance. Les agents qui sont arrivés au garage n°5 de la résidence “Molinos de Viento”, située sur la rue Rio Vinuelas, où s'est produit le crime, on a trouvé une seule douille de balle de calibre 9 millimètres, qui a été envoyée au service de la balistique pour essayer de déterminer si l'arme du crime avait déjà servi dans un crime antérieur. Les sources consultées ont assuré que la recherche n'a rien donné pour le moment. Les investigations de “l'unité centrale des opérations” et de la police judiciaire de la garde civile de Malaga essayent de localiser un témoin qui pourrait avoir vu Mandari entrer dans ce garage. Cependant, les témoignages recueillis jusqu'à maintenant ont à peine apporté certaines données. Des sources de la police ont assuré que personne n'a vu Mandari courir la rue, ni seul, ni poursuivi par un autre, en plus personne n'a vu le présumé assassin entré ou sortir du parking. “Nous n'avons aucune déclaration officielle, permettant d'établir que quelqu'un a vu deux personnes entrées en courant dans ce parking cette nuit-là” assurent des sources de police. Mandari portait une amulette attachée au bras, un ruban en tissu avec des versets coraniques, 170 euros en pièces de monnaies, deux cartes de visites en français et un faux document d'indentité au nom de Hicham Ben El Hassan Al Alaoui. Peu de données ont pu être obtenues sur la scène du crime, qui semble être contaminée à cause du grand nombre de policiers qui sont arrivés sur le lieu. Des sources ont affirmé que le garage, lieu du crime, a été envahi par les agents de la garde civile, du corps de la police nationale, ainsi que la police locale de Mijas et Fuengirola. Tous participaient à un dispositif élaboré pour essayer d'éclaircir une affaire de séquestration d'un citoyen marocain qui se trouvait encore dans cette zone. Pour la police, ils ont d'abord pensé que le corps retrouvé dans le parking était celui du séquestré. Les enquêteurs essayent maintenant de déterminer où logeait Mandari, la voiture qu'il a apparemment utilisée et ses bagages, ainsi que les personnes qu'il a contacté. “Nous ne savons rien pour le moment” selon les sources contactées. La piste suivante était de rechercher sur la liste de ses ennemis. Les sources proches de l'enquête affirment que les services secrets de quatre pays suivaient Mandari. Ce dernier avait accusé publiquement la famille royale marocaine et certains chefs d'Etat africains et du Golfe persique d'être impliqués dans l'affaire du trafic des faux dinars bahreïnis, qui ont été imprimés en Argentine pour une valeur de 407 millions d'euros. Dans cette affaire, il a aussi accusé le roi du Bahreïn, Hamad Ben Issa Al Khalifa, qui se trouve depuis hier à Rabat, où il a été reçu à son arrivée par le Prince Moulay Rachid. Mandari a été incarcéré en France, mais à sa sortie de la prison de la Santé à Paris, les services secrets du Bahreïn, des Emirats Arabes Unis et du Maroc le suivaient, auxquels s'est ajouté l'espionnage français après que Mandari eut menacé l'actuel président français Jacques Chirac. Après avoir été victime du deuxième attentat à Paris, Mandari a été contacté par la mafia ukrainienne à Marseille qui l'avait sommé de payer sa dette probablement liée au trafic des faux dinars bahreïnis. Il avait également des dettes envers des groupes albanais du crime organisé. Les deux mafias ont des “liens” au Costa Del Sol, où les hommes de la pègre ukrainienne réglaient dans le sang certains de leurs comptes. C'est à cause de cette raison que les enquêteurs n'écartent rien. Ils sont convaincus que l'auteur matériel de ce crime serait un délinquant commun, probablement français ou marocain et que ceci n'est pas son premier assassinat. “Celui qui l'a fait, avait été engagé, la question qui se pose c'est par qui ? Mais la liste des ennemis connus de cet individu est très longue”, affirment des sources proches de l'enquête. J.A. Rodriguez R. Mendez El Païs (19 août 2004) Le cinquième commando de tueurs fut le bon Escroc sûrement, affabulateur peut-être, un ancien familier du palais royal, Hicham Mandari, était traqué, depuis juin 1998, par les barbouzes marocaines. Et les services français ne s'en inquiétaient guère. En quelque six ans, le malheureux Hicham Mandari aura essuyé une tentative d'enlèvement à Miami, une fusillade à Bogota, en Colombie (où il sera hospitalisé), deux tentatives d'attentat en France (novembre 2002 et avril 2003), quelques tabassages... Et pour finir, cette exécution, dans la nuit du 3 au 4 août, d'une balle dans la tête, sur un parking de supermarché au nord de Marbella, en Espagne. La vie mouvementée de cet intime de Farida, l'une des concubines préférées d'Hassan II, s'enrichit d'un joli palmarès judiciaire qui l'a vu être mis en accusation dans d'innombrables dossiers. A savoir les “vrais-faux dinars de Bahreïn”-huit tonnes de billets frelatés d'une valeur de 350 milliards d'euros imprimés en Argentine-, une obscure affaire de “chantage” exercé sur le banquier Benjelloun, autre familier du Palais, une “usurpation” d'identité , etc. Si l'on ajoute à ces quelques frasques des liens avérés, d'après les confidences recueillies auprès de ses proches, avec les services secrets algériens et espagnols, des contacts réguliers avec le Front Polisario, la création d'un improbable Conseil national des Marocains libres basé à Londres, cela commence à bien faire. Suivaient les menaces de livrer à la presse les secrets de fabrication des bonnes relations entre le royaume chérifien et la classe politique française (notamment Chirac et sa fille Claude), et l'on comprendra que la fin tragique de cet ancien courtisan du roi Hassan II suscite de légitimes interrogations. Cet aventurier en rupture de ban a-t-il laissé derrière lui quelques bombes à retardement contre le régime qui l'a pourchassé depuis 1998 ? Ou cet homme obèse, vieilli avant l'âge et avançant péniblement, aidé d'une canne, derrière deux ou trois gardes du corps, n'aura-t-il été qu'un simple fugitif tentant de dérisoires chantages ? Premier mystère, Mandari possédait deux dates de naissance le 22 octobre 1965 et le 22 octobre 1972. Une de trop. Deuxième surprise, il a toujours prétendu être le fils qu'aurait eu Hassan II avec l'une de ses favorites, Farida Cherkaoui, alors que les flics français ont clairement établi son ascendance, à savoir un couple d'hôteliers ayant fait fortune aux Emirats Arabes Unis. Enfin, le jeune Mandari fera croire à ses parents qu'il poursuivait ses études à Boston, alors qu'il menait une vie dissolue au “Jefferson”, une boîte huppée de Rabat. A l'époque, il semble disposer de moyens considérables, note un rapport de la PJ française : voitures de luxe, gardes du corps, pourboires généreux, nombreux voyages en Europe et dans le Golfe. Toujours d'après la PJ, certains l'accusent de contrôler un réseau de call-girls qu'il aurait “exportés”, selon l'élégante formule employée par ces flics, vers la France, mais aussi vers les hôtels tenus à Dubaï par son père Mohammed. Au palais de Rabat, dans les années 90, on lui confie quelques missions discrètes auprès de chefs d'Etat amis, comme l'a raconté récemment le journal marocain “L'Hebdo”, avant qu'il ne se livre au hold-up le plus rocambolesque de l'histoire marocaine. Avec plusieurs complices dont sa protectrice Farida, Mandari dérobe, quelques mois avant la mort d'Hassan II, ses chéquiers personnels dissimulés dans un coffre. Puis il se réfugie à l'étranger, où il aurait encaissé un chèque de 118 millions de dollars. Chez Hassan II, c'est la consternation. Pour peu que son nom apparaisse -comme ce jour où dans le “Washington-Post” il menace le roi de révélations compromettantes- pareil affolement peut se comprendre. Le conseiller financier du Palais, André Azoulay, téléphone alors aux rédactions amies en France, et le ministre de l'Intérieur d'alors, Driss Basri, est dépêché à Paris. Testament menaçant Avec l'arrivée au pouvoir du jeune Mohammed VI, le nouvel homme fort des services marocains, le général Laânigri, n'hésite pas à appeler au secours ses collègues français. “Laissez tomber l'histoire Mandari, cet homme est un escroc”, conseillait ainsi, voilà quelques années, l'un des principaux patrons de la DGSE à un journaliste français. Et la DST faisait refouler un ami de Mandari hors de l'Hexagone. “C'est un combat à mort entre moi et eux”, confiait volontiers Mandari. Ces dernières semaines, cet homme traqué multipliait les interventions auprès des journalistes pour leur annoncer que l'heure était venue pour lui de passer aux révélations fracassantes. Les dossiers qu'il avait sortis sur les vraies circonstances de la mort du général Dlimi, l'ancien patron de l'armée, ou sur la fortune immobilière de certains conseillers d'Hassan II, donnaient un peu de crédibilité à ces menaces. “Mes dossiers constituent pour moi”, a-t-il laissé entendre un jour au “Canard”, “une assurance-vie”. Apparemment, il se montrait bien optimiste. Trop de ses ennemis souhaitaient le faire taire, et trop de ses amis supposés avaient intérêt à ce que ses secrets soient enfin divulgués. “La question qui se pose à propos de cet homme que je connaissais très bien, qui m'a beaucoup parlé, a pu confier son avocat William Bourdon au “Monde”, c'est de savoir quelle partition de sa vie il voulait jouer après sa mort”. Pas sûr qu'il en ait décidé seul... Nicolas Beau 18 août 2004 Mandari a été aperçu, avant son assassinat, en compagnie de trois individus d'aspect arabe La garde civile explore la piste relative à un chantage lié à un réseau de prostitution de luxe La garde civile essaie d'identifier trois individus, d'apparence arabe, qui ont été aperçus avec Hicham Mandari, quelques instants avant qu'il ne fût assassiné dans un parking de Mijas à Malaga. Les quatre personnes ont été remarquées par quelques témoins, qui ont affirmé qu'ils discutaient d'une façon très excitée. Selon des sources informées, l'autre piste que la police suit est celle de la munition utilisée dans ce crime, pour essayer de déterminer son origine, qui permettra de faire avancer l'enquête et éclaircir les faits. Les assassins ont tiré un seul coup de feu. Hicham n'a pas pu être identifié que depuis trois jours, grâce aux empreintes digitales fournies par la police française. La garde civile explore aussi la piste relative à l'implication de Mandari dans le monde de la prostitution de luxe, et s'il avait tenté de faire chanter des personnalités déterminées, spécialement du Maroc, qui auraient utilisé ses “services”. Des femmes originaires du Soudan feraient partie de ce réseau de prostitution. En plus de la justice espagnole, la justice française enquête aussi sur cette mort, puisque dans ce pays les autorités suivent de près cette affaire, après avoir été inculpé, plusieurs fois, pour transport, mise en circulation et possession de billets de banque falsifiés, estimés à plus de 350 millions d'euros, rapporte Des points d'interrogation sur une mort mystérieuse 1- Le 2 août il était à Paris. Il est sorti le 3 août dans une voiture et a pris la route en direction de Marbella. A son arrivée, il n'a pris contact avec aucune de ses connaissances. L'ont-ils suivi ? Pourquoi ne l'ont-ils pas tué en France et ont attendu qu'il soit en Espagne ? Est-ce que cette action était planifiée ? 2- Mandari portait souvent un pistolet caché dans la chaussette droite. Pourquoi n'y a-t-il pas eu de fusillade intermittente ? Ce jour l'a-t-il laissé dans la boîte à gants de sa voiture ? Pourquoi ? 3- Il était obsédé par sa sécurité personnelle. En France et en Espagne un groupe de gardes du corps le surveillait jour et nuit. Ou était-il ? 4- Ses collègues l'attendaient à Marbella. N'a-t-il pas parlé au téléphone après qu'il est arrivé ? 5- Ils ont trouvé un permis de conduire italien au nom de Hicham Ben Hassan El Alaoui. Les autorités ont-ils informé le consulat marocain comme il est de rigueur ? Pourquoi à Algésiras le consul argue qu'il n'a entendu la nouvelle de la mort de Mandari que le vendredi 13 août ? 6- Les autorités judiciaires françaises ont informé certains organes de presse du meurtre de Mandari le jeudi 12 août. Le savaient-ils d'avance ? Qui les a informés ? Pourquoi les autorités marocaines ont-elle été informées seulement le 13 août ? 7- Mandari négociait un contrat avec une chaîne de télévision arabe qui émet depuis l'Angleterre pour initier, à partir du 1er août, un programme depuis Marbella vers le Maroc. Pourquoi le silence de cette télévision après la disparition et le meurtre de son client ? 8- Vu les bonnes relations entre l'Espagne et le Maroc, quelqu'un avait-il intérêt de les troubler avec un meurtre politique dans une ville espagnole ? 9- La presse marocaine a écrit depuis déjà deux mois qu' ”il y a un processus de réconciliation entre le Palais Royal et Mandari “. Quelqu'un essayait-il d'empêcher une solution pacifique avec l'opposition ?0 10- Mandari a menacé “de hautes personnalités françaises “ de révéler des affaires troubles et de corruption. Quelqu'un a-t-il voulu étouffer cette affaire ? 11- Qui héritera de sa fortune, de 140 millions de dollars ? Sa femme et sa fille qui sont au Maroc après la séparation du couple ? La famille de sa mère biologique ? “Europe Press”. Le 15 août 2004