L'affaire du CIH continue de défrayer la chronique, tellement le scandale financier qui en a découlé, a éclaboussé tout l'environnement économique, social et politique du pays. Vu la gravité de cette affaire et pour que l'opinion publique puisse être informée, LGM commence, à partir de ce numéro, la publication d'un rapport officiel établi à l'issue des auditions des différents intervenants et des enquêtes les ayant accompagnées. Le CIH a été créé en 1920 sous l'appellation initiale “Caisse des crédits immobiliers du Maroc”. Cette institution devait financer la construction de logements par le biais de crédits avant d'étendre son activité au secteur hôtelier. En 1967, la Caisse de dépôt et de gestion devait participer à son capital à hauteur de 65% faisant ainsi de cette institution une banque spécialisée dans le financement de l'immobilier et du tourisme. Elle s'est ainsi débarrassée du secteur de l'agriculture qui devint une spécialité de la Caisse nationale du crédit agricole. En 1986, cette institution s'est transformée en banque commerciale qui a ouvert ses agences dans toutes les régions du Royaume. Cette nouvelle orientation s'est renforcée en 1993, lorsque le CIH devint sous la tutelle de Bank Al Maghrib. La gestion du CIH est dévolue à un conseil d'administration composé de représentants des actionnaires, des ministères de tutelle (Finances, tourisme, habitat). Le CIH est contrôlé par le ministère des Finances à travers le délégué du gouvernement, par le contrôleur financier et par Bank Al Maghrib. Le Conseil d'administration se réunit en deux sessions chaque année pour examiner les comptes de l'institution et en adopter le rapport. C'est aussi un organe de gestion, de suivi et de contrôle. Parallèlement, il y a une inspection générale qui est chargée d'analyser et d'arrêter les comptes tout en établissant des rapports présentés au Président directeur général. Les formes de crédit qui rentrent dans les prérogatives du CIH sont : les crédits au logement accordés aux promoteurs immobiliers par anticipation ou dans le cadre du financement de projets hôteliers ou d'habitat. Les crédits à l'investissement à moyen terme pour financer la création de PME-PMI, des crédits pour jeunes promoteurs ou des crédits à la consommation et aux engagements bancaires. Procédure d'octroi des crédits Quand un client du CIH, ayant un compte ouvert auprès de l'une des agences, veut obtenir un crédit, il doit en faire la demande écrite adressée au directeur de son agence. Un dossier est alors établi comprenant tous les documents nécessaires. Le directeur de l'agence établit, par la suite, une fiche qui résume toutes les informations par rapport au crédit ou à la ligne de crédit ainsi que toutes les garanties présentées par le client. Ensuite, le dossier est envoyé à la direction centrale qui l'achemine vers la direction d'exploitation bancaire qui l'expédie vers le service concerné. A ce niveau, le responsable de gestion des projets demande l'établissement d'une étude technique, financière et économique sur le terrain à l'issue de laquelle, un rapport est rédigé comprenant les remarques et propositions formulées. Toutes ces remarques sont débattues au sein d'une commission restreinte avant d'être exposées devant une commission spécialisée qui fait état des garanties et souligne les objections. Le dossier est ensuite soumis à la direction des crédits qui l'achemine vers le directeur de l'agence. En cas d'accord, le client présente les documents exigés et le contrat est signé. Ce contrat est soumis pour approbation à la direction générale qui met en place une commission d'inspection sur le site du projet et pour s'assurer des garanties présentées par le client pour le financement de son investissement. Enquête préliminaire L'enquête préliminaire dans l'affaire du CIH est passée par plusieurs étapes qu'il faut résumer comme suit : La commission d'enquête parlementaire a poursuivi ses travaux pendant à peu près six mois (du 7 décembre 2000 à juin 2001) La commission d'inspection du ministère des Finances a établi son rapport en moins d'un an ( juillet 2000 – juin 2001) La commission d'enquête a établi la période incriminée à 15 ans, à partir de 1985. Après examen des documents, l'audition de près de 102 témoins et la visite de terrain de plusieurs projets hôteliers et immobiliers financés par le CIH, un rapport a été établi faisant état de dysfonctionnements financiers et de gestion. Ce rapport a donné quelques exemples de crédits accordés et qui ont contribué grandement à ébranler les équilibres fondamentaux du CIH, tout en désignant les responsables et les défaillances de gestion. Pour sa part, le rapport de l'inspection générale du ministère des Finances a établi que le CIH a connu entre 1990 et 2000 de grands dysfonctionnements et de graves défaillances de gestion qui ont conduit à la crise financière de l'institution et poussé l'Etat, les actionnaires et le groupement bancaire à intervenir. Après l'établissement des rapports des deux commissions, il était devenu nécessaire de délimiter les responsabilités de ces dysfonctionnements. Ordre a été donné à la Brigade nationale de la police judiciaire d'instruire le dossier. Son action s'est étalée du 30 janvier 2001 au 28 mai 2002. Rapport de la police judiciaire A l'instar des deux commissions précitées, le rapport de la BNPJ a comporté deux volets essentiels : Les dossiers relatifs à la gestion et qui concernent les dépenses d'investissement et d'équipement que ce soit l'octroi de l'immobilier, leur viabilisation et équipement en dehors de la procédure des appels d'offres. Les dossiers relatifs à un grand nombre de crédits accordés à certains clients du CIH, tant des personnes physiques que morales. Ces crédits ont été passés à la loupe à travers toutes les étapes procédurales depuis la demande jusqu'à l'expiration, la cessation de paiement, l'exonération totale ou partielle etc. Chaque étape a révélé des dysfonctionnements procéduraux ou juridiques qui ont conduit à des situations de crise et à des pertes. L'axe du fonctionnement et de la gestion L'enquête, à ce sujet, s'est focalisée sur ce qui est considéré comme dilapidation de deniers publics. Elle a concerné surtout l'investissement non rationnel et des dépenses de fonctionnement non justifiées, notamment l'acquisition de biens immobiliers susceptibles de servir d'agences bancaires, l'acquisition d'équipements informatiques dans des conditions peu transparentes en violation des procédures. Durant l'enquête, il a été établi que le CIH a connu tout au long des années quatre-vingt dix une hausse considérable des charges alors que le rendement était faible. Parallèlement, les règles de prévention des risques n'ont pas été respectées et aucun contrôle n'a été effectué par les organes concernés. Ainsi, l'institution a continué à effectuer des dépenses dans des secteurs qui n'ont aucun lien avec l'activité de la banque. Voici par ailleurs, un résumé du dossier de chacune des douze affaires comprises dans cet axe. L'affaire de la villa Nathalie Il s'agit d'un logement de fonction du Président directeur général du CIH. C'est une villa d'une superficie de 7594 m2 qui a été acquise en 1978 pour la somme de 2.241.963 dirhams. Sa restauration et son équipement ont coûté 12 millions de dirhams. En 1994, après la désignation de Moulay Zine Zahidi à la tête du CIH, celui-ci a décidé d'exploiter cette villa, qui était destinée à un investissement touristique, pour en faire son logement personnel. Pour ce, il a ordonné de dépenser 2.594.959 dirhams pour sa reconstruction et son aménagement. Or, cette opération a connu des dysfonctionnements notamment parce que le PDG a décidé de s'octroyer le logement sans l'aval du Conseil d'administration et exploité une partie du budget général de l'institution dans des opérations de reconstruction et d'équipement ( 12 millions de dirhams) suivant des procédures formelles, notamment pour les travaux de plâtre, de peinture, de verrerie et d'acquisition de pièces antiques qui ont coûté des sommes faramineuses. Toutes ces dépenses ont été effectuées sans aucun justificatif. L'affaire de l'extension du siège du CIH L'opération de la construction d'une annexe dépendante du siège social du CIH a coûté 4.870.000 Dhs et s'est déroulée dans des conditions douteuses. Les transactions de constructions qui ont été réalisées entre le CIH et les sociétés de bâtiment n'ont pas respecté les procédures du moins offrant. L'affaire des acquisitions immobilières Dans le cadre de la diversification de ses métiers, la banque CIH a procédé à l'ouverture de plusieurs agences dans les villes du Royaume. En effet, le président-directeur général Othman Slimani, a constitué une commission des acquisitions dont le travail consistait à étudier les propositions émanant des services techniques de la banque. Et il a été établi dans les PV de la police judiciaire que cette commission n'était que formelle puisque les immeubles qui ont été acquis souffraient de plusieurs lacunes, notamment : L'implantation anarchique des agences ainsi que leur étendue. L'acquisition de certains immeubles des clients même de la banque dans le cadre des opérations de recouvrement de leurs créances. Dissimulation d'une partie des sommes des acquisitions sous prétexte que le propriétaire va aménager le lieu ou pour justifier l'exonération d'une partie des créances des propriétaires envers le CIH, comme c'est le cas pour l'agence Soukrate. L'affaire de l'informatisation Les investissements en matériel informatique consentis par la banque entre 1988 et 1999, ont atteint 80 millions de Dhs. Toutefois, les systèmes acquis par le CIH n'étaient pas adaptés car l'établissement ne dispose pas d'un système d'information capable de développer une stratégie pratique dans le domaine des crédits immobiliers et hôteliers et des activités bancaires d'une manière générale en ce qui concerne le recouvrement des échéances impayées et leur suivi. Les transactions ont été conclues avec la société Forum et Gapset dans des conditions qui ont causé plusieurs problèmes à la trésorerie de la banque. L'affaire de la Société civile immobilière Atlas Selon la décision émanant de la commission directoriale du CIH en date du 4/4/1991, la société Socopsun a bénéficié d'un crédit de 69,69 millions de Dhs pour le financement de ses projets en contrepartie d'un nantissement sur le fonds de commerce et une caution personnelle des emprunteurs. En 1993, et après accumulation des dettes sur la société, le CIH a pu, sur la base d'un jugement, opérer une saisie conservatoire des biens de la société. Après fixation de la vente des biens de ladite société et des prix acheteurs, le CIH est intervenu, parmi les acheteurs potentiels, sous le couvert de Socopsun et a remporté le marché (jugement du 22/9/1994 ). La création et la gestion de la société Socopsun ont été entachées de plusieurs anomalies : Le CIH en tant que SA n'a pas le droit (selon le dahir du 23 avril 1975) d'acquérir des terrains agricoles. Pour pouvoir se porter candidate pour l'acquisition de Socopsun, Othmane Slimani a créé le 20 /9/1994 la société Atlas avec un capital de 10 000 Dhs. Sur instructions du président directeur général, Othmane Slimani, le directeur général, Abdelhak Benkirane, a conclu un contrat de gestion de la société Atlas avec Bouhlal Mohamed Dahbi, en contrepartie d'un salaire mensuel de l'ordre de 20 000 Dhs et il a limité le budget de fonctionnement à 42,7 millions de Dhs. Une décision avalisée par la commission exécutive du 9/1/1996. Toutefois, la gestion de la société par Bouhlal Mohamed Dahbi a été catastrophique avec un cumul de pertes. Après la nomination de Abdelouahed Souhaïl à la tête du CIH, le contrat qui liait la banque avec le dénommé Tarik Kebbaj a été suspendu sans la mise en place d'une politique de gestion et de contrôle efficient. Les bons de participation et les bons d'emprunt Le CIH a procédé en 1993 au placement des valeurs mobilières et à la nomination à la tête de ce département de Ahmed Hajji secondé par Mohamed Andaloussi. Cette opération a été entachée de plusieurs dysfonctionnements puisqu'il a été démontré ( entre 1993 et 1997 ) que ces opérations ne reposaient pas sur des bases légales et sur une étude pour garantir les droits des clients et de la banque. Les deux responsables dudit département ont exploité cette situation pour réaliser des opérations pour leur propres comptes sous couvert de noms fictifs qui leur ont procuré d'importants bénéfices jusqu'à ce qu'intervienne l'inspection générale relevant du CIH en 1997 qui a découvert plusieurs opérations illégales au profit de Mohamed Andaloussi qui a terni l'image de la banque ainsi que ses intérêts, notamment : - La non-domiciliation des ordres d'achat de valeurs mobilières à partir de son compte personnel. - Le détournement des bénéfices dégagés lors de la session des valeurs mobilières. - Le recours à des noms fictifs lors des opérations susnommées. - Opérations illicites qui lui ont permis, selon l'inspection générale du CIH, de générer 2 millions de Dhs de bénéfices. Ressources humaines En date du 15/12/2000, l'inspection générale du CIH a établi un rapport sur les soldes des comptes gérés par le département des indemnités, ainsi que sur les démarches entreprises pour l'indemnisation du personnel et des cadres ayant quitté la banque et elle a relevé les anomalies suivantes : - La découverte des sommes d'argent déposées chez l'agence Libad destinées au personnel licencié et démissionnaire n'ayant pas honoré ses engagements vis-à-vis du CIH. - La non-perception des cotisations dues à la CMIM du personnel ayant quitté l'établissement. - L'enquête de la Brigade nationale de la police judiciaire a révélé que le département des indemnités auquel revient la charge du paiement des salaires et autres indemnisations a outrepassé ses prérogatives en se chargeant de tous les comptes des employés de la DRH. L'audit du 20/9/1990 de l'inspection générale du CIH a révélé également des irrégularités au niveau des prêts sociaux accordés au personnel de la banque : - Retard et non imputation des données concernant les prêts dans le système informatique. - Arrêt provisoire des prélèvements des cotisations. Non-respect des procédures en vigueur quant à la délivrance des mainlevées relative aux prêts. Quant au rapport de l'inspection générale du 23 /12 /1998, il a traité trois chapitres ayant connu des irrégularités portant sur les prêts habitats au profit du personnel. Les agents ayant quitté la banque parmi lesquels 13 avaient bénéficié d'un taux d'intérêt bonifié, ce qui est contraire aux dispositions en vigueur. Ce qui a engendré un manque à gagner d'une valeur de 670 millions de Dhs. (Suite la semaine prochaine)