Interview Après "Taïf Nizar", le réalisateur marocain Kamal Kamal a presque terminé son nouvel opus, "La Symphonie marocaine". C'est un scénario fort, une histoire poignante, un futur électrochoc qui s'inscrit dans la lignée des films révisionnistes à message. C'est l'occasion de revenir sur cette histoire, le choix du sujet et les motivations de son réalisateur. faisais le Speech de ton nouveau film ? - Kamal Kamal : c'est l'histoire d'un groupe de marginaux qui vivent dans une ferraille de trains, une espèce de cimetière de trains. Ils découvrent après la mort d'un vieux clochard, un de leurs amis proches, que s'ils ne réagissaient pas très vite, ils finiront tous comme lui. C'est là qu'ils décident de réaliser un grand rêve qui les unirait tous. Ce rêve est la symphonie marocaine. Au-delà de et aspect, il y a l'histoire parallèle d'un personnage nommé Hamid qui, jeune, part au Liban pour combattre aux côtés des militants palestiniens. C'est là qu'une bombe explose et que de nombreux Arabes et Israéliens périssent dans la déflagration. Rescapé, il cherche au milieu des débris humains, les corps de ses amis. C'est là qu'il découvre que les morts se ressemblent tous. Que les hommes cessent d'être différents quand ils cessent de penser. Que les idéologies font la différence entre les hommes. La guerre lui a appris ce qu'est la douleur. Il décide alors de donner du plaisir à travers la symphonie marocaine. Hamid fait lui aussi partie des marginaux qui font donner corps à leur rêve. Mais comment est née l'idée de ce scénario ? - Ma fille aime lire la poésie. Pour la suite de ses études, elle voulait faire une carrière littéraire. Un soir en regardant la télévision, elle vient me voir pour me dire qu'elle avait changé d'avis. Elle voulait faire des études en mathématiques. Un choix surprenant. Quand je lui ai demandé pourquoi ce revirement, elle m'a répondu qu'elle voulait inventer quelque chose pour en finir avec les injustices d'Israël envers les Arabes. J'ai eu peur de cette réflexion. Voir que ma fille pouvait avoir ce type de pensée m'a ébranlé profondément. Voir comment la haine s'installe dans les cœurs des jeunes pour les prochaines décennies, ce qui rend très dur la résolution du conflit arabo-israélien. J'ai voulu répondre à cette montée de colère et de haine, par le pardon qui est aussi une trame de cette histoire. Hamid, tout au long du film cherche le pardon car il a osé appuyer un jour sur la gâchette et tuer des gens. Il faut que quelqu'un pardonne, autrement, cela ne s'arrêtera pas. Pourquoi ce choix des marginaux ? - Il faudra parler de l'espace où se déroule le film. Un cimetière de trains avec toute la connotation du train, le wagon de la vie. Mais là, nous sommes devant des trains rouillés qui ne roulent plus, des trains morts. Des vestiges d'un passé. Tout comme la civilisation marocaine dont on n'a gardé que des vestiges. Mais quelle est la symbolique de ces trains pour les marginaux ? - Ce sont des vestiges dont on va se servir pour construire un théâtre qui va servir à donner la représentation de la symphonie marocaine. Est-ce un appel au réveil, à l'éveil de tout un peuple, cette volonté de donner la vie à la mort ? - Leur rêve était d'aller jouer cette symphonie à Londres, mais ils n'y parviennent pas. Alors ils décident de faire avec ce qu'ils ont. Et c'est là qu'ils construisent leur théâtre avec des restes de carcasses de trains morts. C'est finalement cela le message pour nous autres qui sommes aujourd'hui rejetés par l'autre, nous n'avons qu'à faire l'effort de nous confirmer nous-mêmes sans l'autre en proposant du bonheur à cet autre qui nous rejette. Tu ne penses pas que c'est naïf de répondre au rejet par le plaisir ? - Non, je trouve que c'est noble. Au lieu d'en garder rancœur ou de te venger, tu crées de l'art. Pourquoi ce titre : "La symphonie marocaine ?" - Simplement parce que le rêve profond de tout Marocain, c'est de servir l'humanité en lui donnant du plaisir à travers sa culture, c'est-à-dire la cuisine, le décor, le costume, tout ce que développent les Marocains. Cette symphonie est une réelle volonté de partir de ce que nous avons et de ce que nous sommes pour nous développer, donner le meilleur de nous-mêmes, servir l'autre, ouvrir ce pont entre nous et les autres. Cela fait de notre culture une belle variante de la culture humaine. C'est une symphonie donnée par des hommes qui ont souffert… Non, des hommes qui ont compris. Compris quoi ? - Qu'au lieu du mal, il faut offrir du plaisir. Mais quel message veux-tu véhiculer à travers ce film? C'est le message de Hamid. On cesse tous d'être différents quand on cesse de penser. Ne penses-tu pas que la différence est importante dans ce monde où l'on vit ? Plutôt la variété et non la différence. Pour moi, la variété enrichit le monde. Alors que les différences mènent aux conflits et ceux-là aux catastrophes et aux désastres que nous vivons aujourd'hui. Pourquoi les gens font la guerre, c'est parce qu'ils pensent différemment et chacun croit avoir raison et l'histoire nous montre plus tard, après les drames que les deux parties antagonistes pouvaient s'entendre ou alors étaient complètement dans le tort. C'est un film à portée politisée ? - Non, je ne prends aucune position et je ne veux être contre personne. Quand on parle de politique, on parle de l'art du possible. Mais les grands hommes de l'histoire humaine sont ceux qui ont tenté l'impossible. Je voudrais voir un jour l'humanisme primer sur le nationalisme. Je ne voudrais plus que l'on me dise à la télévision : Israël a perdu trois hommes, l'Irak a perdu dix civils, je veux que l'on parle en termes d'humanité qui se décime. Ton film s'inscrit aussi dans cette vision de l'impossible… - Oui, dans un certain sens prendre des marginaux qui vont tenter de réaliser une symphonie, c'est courir derrière l'impossible. Qu'est-ce que ce film t'a apporté de plus dans ton expérience cinématographique ? - Vous savez, tout réalisateur ayant perçu une aide nationale pour faire son film, a l'obligation de pousser le cinéma marocain vers l'avant d'au moins un pas. C'est l'argent du contribuable qui nous est confié, on doit le lui rendre en beauté et en art, dans le respect de l'intelligence collective.