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Constantes et évolution de la notion de contrôle sur les élus
Publié dans La Gazette du Maroc le 21 - 04 - 2003


Décentralisation et pourvoir central
A la veille des élections communales pour le renouvellement des conseils communaux et municipaux, le professeur Michel Rousset s'élève contre “ les idées simplistes qui dénoncent l'intervention du pouvoir central sans en connaître ni les justifications théoriques et pratiques, ni les techniques et les modalités de leur mise en œuvre… ”. Une attitude qui, selon lui, ne serait “ qu'un alibi destiné à masquer les défaillances des élus locaux ”. Démonstration.
La publication en octobre dernier des textes relatifs à la charte communale et l'organisation préfectorale et provinciale marque incontestablement une nouvelle étape dans les relations des collectivités locales et du pouvoir central, comme cela avait d'ailleurs été le cas avec la promulgation en 1997 de la loi relative à la région.
Sans doute ces textes ne bouleversent-ils pas ces relations, mais si les avancées qu'ils réalisent peuvent paraître modestes, c'est aussi qu'elles sont représentatives des progrès qui ont été enregistrés dans le fonctionnement concret des institutions locales, dans la pratique de leurs organes, c'est-à-dire des élus qui les composent.
Il ne faut pas perdre de vue que les collectivités locales reflètent la société globale et qu'elles ne progressent pas plus rapidement que cette dernière, et je pense qu'il faut rappeler ici les chiffres de l'analphabétisme qui marque encore une grande partie de l'électorat et qui ne peut pas ne pas avoir d'incidence sur la réalité locale. Cela est si vrai que le législateur a posé comme condition à l'accès à certaines fonctions locales, notamment la fonction de président, de posséder un niveau d'instruction qui est certes modeste, mais qui est désormais impératif, ce qui n'était pas le cas dans la législation antérieure.
Les relations des collectivités locales et de leurs organes avec l'Etat, et plus précisément le pouvoir central, sont organisées selon trois axes par les textes qui constituent la charte des diverses collectivités locales : régions, préfectures et provinces, communes.
L'autonomie de ces collectivités se conjugue en effet avec une intervention du pouvoir central qui peut être plus ou moins intense, selon les époques (1960, 1976, 2002 pour la commune, 1963, 2002 pour les préfectures et provinces, 1971, 1997 pour la région) et selon les collectivités. Il est clair que le pouvoir central est plus présent dans le fonctionnement des institutions préfectorales et provinciales et des institutions régionales que dans celui des institutions communales.
Ces trois axes qui structurent les relations des collectivités locales et du pouvoir central sont le conseil, la coopération et le contrôle, et ce sont les constantes de ces relations.
Mais, lorsque l'on connaît l'histoire de la décentralisation depuis 1960, on constate une profonde évolution très largement positive, même si elle n'a pas suivi le rythme que certains auraient souhaité lui voir suivre. Et cette évolution ne peut que se poursuivre, non seulement grâce à l'amélioration des textes, des techniques juridiques mais aussi et peut-être surtout, grâce à la transformation des mentalités, des pratiques des uns et des autres, je veux dire des représentants de l'Etat, de l'ensemble des administrations de l'Etat et des élus, de tous les élus.
C'est sur cette toile de fond que je peux maintenant développer en quelques mots, ce que je mets sous ces trois axes : conseil, coopération et contrôle.
Les rôles de conseil et de coopération
Le rôle de conseil sur lequel on n'insiste pas suffisamment, est particulièrement important pour toutes les collectivités, mais il l'est tout particulièrement pour les communes rurales dont les élus sont fréquemment peu au fait des conditions juridiques et techniques dont le respect est essentiel pour un exercice correct de leurs attributions.
Mais il est tout aussi important pour les élus des autres collectivités ; d'abord parce que les élus n'ont pas toujours le niveau de compétence que requièrent les attributions de la collectivité ; mais aussi parce que la complexité des affaires à gérer croît souvent avec la nature de la collectivité. Et pour s'en persuader, il suffit de lire la liste de ces attributions développées, par exemple pour la commune, par les articles 35 à 44 de la charte communale du 3 octobre 2002.
Le représentant du pouvoir central, l'autorité administrative locale compétente, selon la terminologie des textes d'octobre 2002, peut apporter aux élus les informations qui leur font défaut ; il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui ces agents dits d'autorité, ont tous reçu une formation que l'on peut qualifier de haut niveau : je le dis d'autant plus que j'ai participé en différents lieux à cette formation ; il est clair qu'à la faveur des relations qui se nouent entre ces agents et les élus des progrès peuvent être réalisés dans la qualité et l'efficacité de la gestion des affaires locales ;naturellement cela suppose de part et d'autre une bonne compréhension de la nature des fonctions que l'on exerce : pour l'agent d'autorité, il faut comprendre que conseiller ce n'est pas commander et que la relation avec les élus n'est pas une relation hiérarchique ; quant aux élus ils doivent être persuadés que l'autonomie locale ce n'est pas l'autarcie, et qu'elle peut parfaitement se conjuguer avec l'intervention du représentant de l'Etat dès lors qu'il s'agit de profiter de sont expérience et de sa connaissance des affaires locales et des affaires qui relèvent de la compétence de l'Etat et des autres collectivités locales mais qui ont une implantation territoriale sur l'espace communal.
Et c'est d'ailleurs ce qu'explicite pour la première fois la charte communale dans son article 68 qui précise les finalités du contrôle de tutelle : “ les pouvoirs de tutelle conférés à l'autorité administrative par la présente loi ont pour but de veiller à l'application par le conseil communal et son exécutif des lois et règlements en vigueur, de garantir la protection de l'intérêt général et d'assurer l'assistance et le concours de l'Administration ”. Et c'est effectivement ce dont beaucoup d'élus peuvent avoir besoin.
Un deuxième rôle que peut jouer le représentant de l'Etat est un rôle de coopération. Ce rôle a été tout particulièrement mis en lumière lors du colloque national des collectivités locales qui s'est tenu à Tétouan en 1994 et qui a été principalement orienté sur la formation des personnels des collectivités locales et sur celle des élus.
A cet égard je dois souligner le fait que le rapport de l'audit réalisé sous la responsabilité de KPMG en 1995-1996 et qui portait sur plus de 150 collectivités dont une grande majorité de communes à la fois urbaines et rurales, a mis en lumière la responsabilité de l'insuffisante formation des élus et des personnels administratifs et techniques dans les dysfonctionnements de la décentralisation.
Le problème de la formation des élus
Cela me conduit à mettre l'accent sur le rôle très important de la Direction de la formation du ministère de l'Intérieur qui, depuis plus de vingt ans, organise des stages de perfectionnement pour toutes les catégories de personnels, du secrétaire général aux agents techniques en passant par ceux qui ont la responsabilité des services financiers.
Mais le besoin de formation concerne tout autant les élus, même ceux qui ont déjà une bonne expérience car la complexité de la gestion des affaires locales ne cesse de croître notamment en milieu urbain : que l'on songe aux problèmes d'urbanisme, aux questions liées à l'assainissement, à la circulation, et plus largement les grands services publics dont le fonctionnement régulier conditionne la vie quotidienne des citoyens.
Il reste que la formation des élus pose des problèmes spécifiques qui sont d'ordre pratique : la disponibilité, ou d'ordre psychologique : les intéressés ne sont pas toujours conscients de la nécessité de cette formation, et enfin des problèmes financiers, car toutes ces formations ont un coût.
Il reste qu'aucune de ces difficultés n'est insurmontable et qu'il faut investir dans ce domaine si l'on veut que l'élu puisse tenir son rang face au représentant de l'Etat et engager avec lui des relations de coopération sur un pied d'égalité. Ici on rencontre une autre question qui est celle de la déconcentration.
Tout le monde sait depuis longtemps que l'Etat doit donner à ses représentants locaux les moyens d'agir sur le terrain, dans le cadre territorial de leur commandement ; cela suppose qu'ils disposent des moyens pour ce faire : moyens juridiques, moyens humains et moyens financiers dont ils ont été trop longtemps entièrement dépourvus ! Le caractère impératif de la déconcentration découle aussi du fait que les actions de l'Etat sont très souvent complémentaires des actions des collectivités locales : les unes et les autres doivent s'épauler en quelque sorte ; ceci est particulièrement évident en ce qui concerne les compétences qui peuvent être transférées, ou bien encore les compétences consultatives ; il est donc essentiel que le représentant du pouvoir central puisse être un véritable partenaire des élus et tout spécialement des présidents de commune et de leurs collaborateurs.
Cela signifie qu'au niveau provincial ou préfectoral, pour s'en tenir à ce niveau qui concerne de nombreuses collectivités, le wali ou le gouverneur soit en mesure d'exercer au sens plein du terme, la fonction de coordination et d'animation des services extérieurs des administrations centrales qui peuvent alors être mis en relations avec les élus.
Et ici je peux donner l'exemple du comité technique provincial de Fès qui, il y a quelques années réunissait sous la direction du wali, gouverneur de Fès Dar Dbibagh, dans le cadre informel d'une journée “portes ouvertes ”, l'ensemble des responsables administratifs de la wilaya et les représentants de la population, parlementaires et présidents des conseils communaux, de façon à permettre l'exposé des réalisations, des problèmes rencontrés, des projets, etc. et l'engagement d'une discussion entre les élus et les représentants de l'Etat.
La mise en place des Centres régionaux des investissements à la suite de la
lettre royale du 9 janvier 2002 va naturellement dans le bon sens.
Mais la déconcentration doit s'étendre au-delà de l'investissement à l'ensemble des prérogatives des administrations centrales qui ne peuvent et donc ne doivent être exercées qu'au plus près du terrain.
Dans la mesure où ce résultat sera atteint, les collectivités locales pourront engager leur propre politique de développement économique, social et culturel sur la base d'un plan intégrant une vision prospective à moyen terme, conformément aux prescriptions des diverses chartes locales et notamment de la charte communale alors que, il faut le noter, peu de communes ont été en mesure de le faire jusqu'alors.
C'est, je pense, une bonne manière de faire pour se rapprocher de l'objectif que se propose le Roi lorsqu'il affirme sa conviction “que les collectivités locales doivent devenir un acteur majeur du développement économique et social durable du territoire ”.
La justification du contrôle sur les élus
Le contrôle constitue le troisième axe qui caractérise les relations des autorités élues et des représentants du pouvoir central. Le terme de contrôle peut être préféré à celui de tutelle qui a mauvaise réputation ; mais cela relève du nominalisme car le changement de terme ne fait pas disparaître les contraintes qui résultent des réalités juridiques et des réalités de la pratique de la décentralisation telles qu'on peut en constater l'existence dans le fonctionnement des diverses collectivités.
Les collectivités locales font partie d'un ensemble : la collectivité nationale, c'est l'Etat qui définit leur organisation, leurs attributions et qui a naturellement pour mission de faire respecter cette réglementation, telle la justification du contrôle.
A cet égard les critiques que l'on voit exposer parfois dénotent au mieux une ignorance des réalités juridiques et au pire une totale ignorance de ce qui se passe en fait dans la gestion décentralisée des affaires locales.
Les rapports d'audits réalisés il y a quelques années (1995-1996) ont montré que de très grands progrès avaient été réalisés dans cette gestion dans les différents domaines soumis aux auditeurs : gestion financière, gestion des personnels, patrimoine, marchés.
Mais il est apparu tout aussi clairement que dans de nombreuses collectivités spécialement communales, les dysfonctionnements relevés justifient amplement le contrôle de tutelle.
On doit ici observer que la lettre
royale procède d'une même analyse
lorsque Sa Majesté le Roi relève que “ les responsables de ces collectivités doiventexercer leurs responsabilités dans le strict respect de la loi et des règlements. En particulier est nécessaire de rappeler que les présidents de conseils communaux sont tenus non seulement d'exécuter les décisions des conseils, mais également
d'appliquer les lois qu'ils exécutent en
qualité d'autorité administrative locale que nous investissons deleurs fonctions par dahir ”. Et la lettre se poursuit par un rappel adressé aux gouverneurs qui doivent exercer leur pouvoir de contrôle, y compris leur pouvoir de substitution en cas de carence des autorités locales compétentes. Toutefois, deux précisions importantes doivent ici être apportées.
1 - D'une part il est certain que le contrôle doit être assoupli ; c'est d'ailleurs ce que les textes d'octobre 2002 ont réalisé pour les préfectures et les provinces et les communes suivant en cela une ligne qui avait déjà été tracée en 1997 avec le statut des régions.
A cet égard, il faut noter que le législateur a su utiliser la souplesse de la formule nouvelle de l'article 101-2° introduite dans la Constitution lors de
la révision constitutionnelle de 1996. Cet article dispose que “dans les préfectures, les provinces et les régions, le gouverneur exécute les délibérations des assemblées préfectorales, provinciales et régionales dans les conditions déterminées par la loi”. C'est ainsi que sur cette base, les textes de 1997et 2002 ont pu assortir la compétence exécutive des walis et gouverneurs des conditions qui permettent désormais aux présidents d'être associés à la fonction exécutive de la collectivité.
Naturellement il faudra que, dans la pratique de ces textes, les intéressés soient animés de l'esprit de collaboration sans lequel les textes seront plutôt une entrave au bon fonctionnement des institutions, qu'un mécanisme de nature à l'améliorer.
Il faut souligner que l'on assiste depuis les réflexions engagées à la suite du colloque de 1998 à une sorte de normalisation des techniques du contrôle qui traduit incontestablement une volonté de libéralisation. En voici les principales manifestations :
- Généralisation de l'approbation tacite ;
- Motivation de toutes les décisions de refus d'approbation ou d'exercice du pouvoir de substitution ;
- Saisine des juridictions en cas de conflit que ce soit le Tribunal administratif (régions, préfectures ou provinces) ou la Cour régionale des comptes en ce qui concerne les refus d'approbation des comptes administratifs pour toutes les collectivités ;
- Droit de regard du président sur les actes d'exécution des délibérations du wali ou du gouverneur, droit de regard tout à fait impératif en ce qui concerne le président de la région puisque ce droit n'est pas un simple avis comme pour le président de la préfecture ou de la province, mais doit se traduire par un contreseing ;
- Coopération entre le président et le représentant du pouvoir central pour la préparation de l'ordre du jour des sessions ;
- Obligation d'informer les organes élus des conditions d'exécution des délibérations ;
- Obligation de répondre aux questions des élus au cours des sessions des conseils, obligation qui dans certains cas peut aboutir au tribunal administratif (art.60 du texte sur la région, et 47 du texte sur les préfectures et les provinces).
2 – Il faut aussi que la notion même de contrôle évolue ; il conviendrait qu'à l'avenir il soit orienté vers l'évaluation de la gestion des affaires locales tout autant que vers la vérification de la légalité des décisions des autorités élues ; si tel était le cas on pourrait
alors voir se développer d'une façon beaucoup plus vigoureuse qu'aujourd'hui, la coopération, le partenariat entre les administrations de l'Etat et les administrations locales et cela pour le plus grand bénéfice des citoyens.
Telle me semble être la philosophie qui devrait, dans les années à venir, présider aux relations des collectivités locales et du pouvoir central dans le cadre des nouveaux textes d'octobre 2002. Et cela mérite d'être tout particulièrement médité à la veille des élections qui dans quelques mois vont permettre le renouvellement des conseils.
Je pense qu'il est essentiel que ces idées soient au centre des débats qui ne vont pas manquer de se développer de façon à lutter contre les idées simplistes trop souvent exposées, qui dénoncent l'intervention du pouvoir central sans en connaître ni les justifications théoriques et pratiques, ni les techniques et les modalités de leur mise en œuvre, et encore moins ce qu'elle représentent quantitativement, c'est-à-dire statistiquement, et qui ne sont le plus souvent qu'un alibi destiné à masquer les défaillances des élus locaux.
S'il est vrai, comme l'affirme l'article 3 de la Constitution, que “les partis politiques, les organisations syndicales, etc…” concourent à l'organisation et à la représentation des citoyens, ces organisations doivent se mobiliser pour expliquer aux électeurs ce qu'est la réalité de la décentralisation : ceci est essentiel pour mobiliser les électeurs et faire en sorte que l'importance de la participation soit à la mesure de l'importance de l'enjeu que représente la gestion des affaires locales.
(Les inter-titres
sont de la rédaction)
Les critiques que l'on voit exposer parfois dénotent au mieux
une ignorance des réalités juridiques
et au pire une totale ignorance
de ce qui se passe en fait
dans la gestion décentralisée
des affaires locales.


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