C'est fou, mais certains persévèrent dans leur ascension au pouvoir. La désaffection des électeurs aux rendez-vous électoraux est de plus en plus manifeste, alors que l'effervescence des candidats est à son apogée. La course aux voix et son corollaire, celle au financement, représentent des enjeux intimement liés. Et c'est la lutte. A quelques jours du démarrage de la campagne électorale, les maires, présidents de communes et autres élus toujours en poste, sortent de leur ornière. S'ils daignent troquer le mutisme, leur deuxième peau, contre une communication tous azimuts, c'est que l'enjeu en vaut la peine. De nouveaux mandats couvrant les six prochaines années sont à pourvoir. Hors de question pour ceux qui se sont habitués aux rouages communaux de quitter les lieux, encore moins de laisser passer une occasion d'expérimenter des dispositifs récemment entrés en vigueur : un nouveau code électoral, une nouvelle charte communale, une nouvelle loi relative à l'organisation des finances des collectivités locales et un nouveau texte sur la fiscalité de ces dernières. Entré en vigueur en novembre 2007, ce dernier ne s'attarde que sur une partie des recettes communales, en l'occurrence celle relative aux taxes directement collectées par les communes. Au nombre de 11 (voir article), ces dernières ne contribuent par ailleurs qu'à petite échelle au financement des budgets des communes. Selon Tariq Kabbage, maire d'Agadir, « elles représentent moins de 20% du budget global ». Un constat partagé par son collègue de Casablanca. « Le poids de la fiscalité locale demeure très minime. Une réforme majeure doit être initiée pour conférer aux communes une réelle autonomie. Cette dernière doit foncièrement être repensée dans sa composante financière et doit permettre à chacun d'imaginer son propre système de recouvrement», déclare Mohamed Sajid. Et d'ajouter, « cette réforme doit permettre aux communes d'encaisser le produit des recettes fiscales foncières et de disposer par ricochet de moyens à la hauteur de leurs ambitions ». Une réflexion, qui, à coup sur, ne laissera pas le ministre des Finances indifférent. « Une telle mesure revient à lui piquer certaines de ses prérogatives. C'est provoquer une grande bataille que de porter une telle proposition sur la scène publique », commente un politique. Des présidents chefs de projet Quoi qu'il en soit, un point est à souligner. La nouvelle loi sur la fiscalité des collectivités locales vient à peine de souffler sa première bougie. Il serait donc inimaginable d'espérer une nouvelle révision dans l'immédiat. D'autant plus que le ministère de l'Intérieur a sa propre vision des choses quand la question du renforcement des moyens mis à disposition des élus est évoquée. Dans le cadre de la stratégie « la commune à l'horizon 2015 », élaborée par le département de Chakib Benmoussa, pour une meilleure gestion de la finance locale, c'est ailleurs que le combat doit se jouer. Le conseil élu doit être capable de cerner les besoins des habitants de la circonscription et de hiérarchiser les priorités en aval. Autrement dit, on demande aux présidents de gagner en rationalité pour pouvoir s'en sortir, essentiellement au sein des communes pauvres. «Nous nous sommes déjà essayés à cet exercice dans une commune située dans la région de Ouarzazate», selon une déclaration de Noureddine Boutayeb, gouverneur directeur général des collectivités locales. Le travail effectué sur le terrain se basait essentiellement sur la formation. Le président, le secrétaire général et le technicien en informatique ont profité d'un cursus de formation selon leur domaine d'intervention. L'objectif était de doter le président des connaissances requises pour prendre le pouls des citoyens et de savoir quels projets méritent de passer devant. En gros, ce sont des présidents chefs de projet que cherche à fabriquer l'Intérieur. Des marketeurs habilités à présenter des projets vendables afin d'obtenir des fonds de la part de leurs partenaires. Mêmes privés. Car, les textes de loi régissant la chose communale n'empêchent pas le président, ni son bureau, d'aller chercher l'argent, là où il se trouve, à partir du moment où le conseil n'émet pas d'opposition. Des conventions doivent êtres signées, précisant l'objet du partenariat et l'argent alloué doit être investi exactement comme le prévoit l'accord. Toujours est-il qu'en l'absence de ressources extraordinaires, le gros du budget provient du transfert de la TVA. Toutefois, cette dernière n'est pas directement perçue par la commune. Elle atterrit directement dans les caisses de l'Etat. En effet, seulement 30% de la TVA collectée sont reversés aux collectivités locales qui décident par la suite de leur dispatching. Selon des chiffres non officiels, cette manne représente plus du tiers de budget des communes. Plusieurs critères entrent en jeu «officiellement» pour déterminer l'allocation de ces recettes. « Les facteurs géographiques, démographiques ainsi que le potentiel fiscal interviennent dans la détermination du budget», explique Abdessalam Ouhajjou, professeur de droit à l'université de Fès. En effet, le potentiel fiscal est estimé en se basant sur le volume des taxes collectées par la commune durant l'exercice passé. Une approche mise en place pour encourager les communes à redoubler d'efforts en matière de recouvrement. Aussi, d'autres taxes ont été nouvellement placées sur la liste des redevances. Elles sont de natures diverses mais peuvent toutes être considérées comme le prix payé par l'Etat en contrepartie de services rendus par la commune. Dans la foulée, citons les droits d'état civil, les droits d'abattage, les droits perçus sur les marchés et lieux de vente publics, les droits de fourrière, les droits de stationnement des véhicules affectés à un transport public, les redevances sur les ventes dans les marchés de gros et halles au poisson, la redevance d'occupation temporaire du domaine public communal, la redevance d'enseigne, la redevance de dégradation des chaussées et la contribution des riverains aux dépenses d'équipement et d'aménagement. La liste est longue, mais toujours est-il que dans le cas de certaines redevances, les élus peuvent décider, à l'intérieur d'une fourchette, du tarif qui sert les intérêts économiques de leur commune. Cette latitude ne se manifeste pas toujours lorsque ces élus décident de briguer un mandat sous l'œil instigateur d'un Etat pourvoyeur de fonds dans les campagnes électorales. Qui finance les campagnes ? Mais dans cette affaire, l'Etat décide des bourses allouées et met la main à la pâte quand il le faut. Et c'est inscrit noir sur blanc dans les colonnes du bulletin officiel. L'Etat va débourser la somme de 150 millions DH dans le cadre du financement de la campagne du prochain scrutin. Et notez bien que cette somme ne représente qu'une «participation» à cet effort de démocratisation. Par ailleurs, comme dans tout système financier qui se respecte, une procédure d'avance sur «salaire» est prévue, sauf que cette dernière est forfaitaire. C'est ainsi qu'à la demande des partis politiques ou encore des coalitions de partis, elle peut être accordée. Mais ceci à certaines conditions. Deux formules se présentent. Cette avance peut être plafonnée à un montant forfaitaire de 500.000 DH par parti politique. Ou encore, elle peut s'établir selon un certain calcul. Alors, il s'agit d'évaluer le montant qui reviendrait à la partie demanderesse, après avoir effectué une répartition proportionnelle de ce qu'auraient perçu les différentes parties durant les dernières élections communales. Le reliquat de ce montant correspond à 30% du montant de participation de l'Etat au financement de la campagne. « La subvention accordée par l'Etat se réalise sur la base de trois critères. D'une part, intervient le nombre des candidats qui se présentent. Ensuite, il est fait lecture des derniers résultats enregistrés par le parti en question. Et enfin, un bonus est accordé en fonction du nombre de femmes présentées aux élections», souligne à ce propos Mustapha Ibrahimi, candidat usefpéiste dans la circonscription du Maarif à Casablanca. En effet, l'argument féminin prend toute sa dimension avec ce «fonds d'appui pour la promotion de la représentativité des femmes». Encore une coquille vide ? Au regard des dispositions prévues, cela ne semble pas être le cas. Le texte détaillant la question est l'arrêté conjoint de deux ministères, celui de l'Intérieur et l'autre des Finances, daté du mois de mars dernier. Il porte sur les conditions, les modalités et le mode de versement de ce fonds de soutien durant les élections communales. Le plafond du coût total des projets qui vont dans ce sens est fixé à 200.000 DH pour chaque projet présenté par la commission réunie à cet effet. Toutefois, la contribution du fonds ne peut dépasser 70% du coût global du projet. Ce montant est soumis à une certaine procédure. D'abord, une première tranche de 50% du montant peut faire l'objet d'une avance. La deuxième partie de la somme n'est versée qu'après la réalisation du projet, sanctionnée par « une attestation du service de fait », à laquelle sont annexées des pièces justificatives. Des subventions courtisées Le financement de la campagne est réellement l'enjeu de ces communales. Certains observateurs issus de l'opposition soutiennent que la contribution de l'Etat est très importante et que par conséquent, autant de moyens n'iront pas sans dégâts. Car, en effet, l'achat des voix constitue le souci principal. Alors pour ces derniers, ce sont des sommes avant tout destinées à ces pratiques frauduleuses. Et comme dans tout champ politique, les avis peuvent également diverger. Qu'en pense l'un des vieux routiers des scrutins ? Les subventions allouées par l'Etat dépassent-elles réellement les dépenses résultant des campagnes ? « C'est au parti de se débrouiller généralement pour trouver d'autres fonds, car ceux alloués par l'Etat sont insuffisants quant aux exigences de la campagne, ne serait-ce qu'au niveau de l'impression », ajoute-t-il (voir encadré). Alors comment les choses se passent-elles ? Il est notoirement admis que la manne financière est en grande partie alimentée par le cercle des mécènes, des donateurs et par l'ensemble des sympathisants du parti. Toutefois, comme ne manque pas de le souligner notre habitué des courses aux voix, Me Ibrahimi : « Il ne faut pas que cela dépasse le seuil fixé par la loi ». Et bien oui, des garde-fous, il en existe. Aussi, revenons au texte réglementaire. Le décret du 30 décembre 2008 fixe le plafonnement des dépenses des candidats à l'occasion des campagnes électorales menées au titre des élections communales. C'est un montant de 50.000 DH qui est institué comme plafond pour chaque candidat. Le législateur ne s'est pas limité à cet aspect des choses. Il va encore plus loin et dresse une liste des éléments que la rubrique «dépenses» peut intégrer. Il s'agit en substance de la couverture des frais d'impression des affiches et des documents électoraux. De même que les frais portant sur leur affichage et leur distribution. Par ailleurs, il est également prévu l'aspect événementiel. Les dépenses relatives à la tenue des réunions électorales et la rémunération des prestataires de services, avec tout ce que cela comporte comme achat de fournitures et frais de déplacement, sont également assujetties à ce plafond budgétaire. 2008, le rapport qui tue Sans oublier les frais d'acquisition des supports de propagande destinés à la campagne. Et les pouvoirs publics ne badinent pas avec ces impératifs. Puisque, toujours de même source, il est expressément stipulé que chaque candidat est tenu d'établir une liste des dépenses engagées. Et assurément, accompagnée des pièces justificatives et d'un état détaillé des sources de financement de sa campagne électorale. Et c'est à la Cour des comptes que reviendra le contrôle de toute cette paperasse. Nos maires sont pointés du doigt, non pas par des rivaux politiques, comme il est de coutume, mais par la suprême institution, qui, en dehors des contribuables, doit rendre des comptes. Ahmed El Midaoui n'a pas fait dans la dentelle. Et inexorablement, c'est au sujet du mal qui touche le pays, tant dans le privé que dans le public, celui des marchés publics, que les irrégularités sont relevées. Manquement auquel aucune ville n'a échappé. Toutefois, c'est la ville de Marrakech qui semble avoir battu tous les records. Des travaux auraient été lancés avant même avoir reçu l'approbation de la Tutelle. Même topo, du côté de Fès, où les comptes passés au crible attestent de dettes dépassant tout entendement. Un montant de 600 millions de DH, auquel il faut ajouter 100 millions de DH d'arrêts judiciaires et 200 millions de DH d'arriérés de factures d'électricité. Les accusations sont encore plus lourdes, puisque le conseil de la ville aurait procédé à l'attribution de marché public avant même l'ouverture des plis. A cela, c'est sans vergogne que le maire de la ville, Hamid Chabat réplique : «c'est un coup monté de la part les magistrats terroristes». Qui prépare le budget ? Son élaboration n'est pas une mince affaire. Car, il ne suffit pas de scribouiller un projet sur une feuille pour qu'il soit valable aux yeux de tous. A commencer par les membres du conseil qui, sans son approbation, ne peuvent pas transmettre le budget à l'autorité de tutelle pour validation. « L'Intérieur n'intervient pas dans le fond du budget, mais essaie de vérifier la compatibilité avec les dispositions de la loi et s'il respecte l'équilibre entre recettes et dépenses prévisionnelles », précise Noureddine Boutayeb. En effet, quand on parle de budget, ce n'est pas d'un seul qu'il s'agit, mais bel et bien de deux budgets distincts. Car le bureau doit d'abord préparer un budget de fonctionnement, qui couvre les salaires, les frais d'électricité, d'assainissement… Et ce n'est qu'une fois qu'un excédent est dégagé qu'il peut prétendre à l'élaboration d'un budget d'investissement. Généralement, les deux premières années qui suivent l'élection permettent à peine d'élaborer le budget. Ce n'est qu'après que sa mise en application peut démarrer. Autonomie : l'éternelle pomme de discorde Les promesses quant à une plus grande autonomie des communes vis-à-vis de leur tutelle ont ravivé les envies. Une autonomie tant administrative que financière. N'était-ce pas le point de discorde qui opposait depuis toujours le corps élu à l'administration centrale pour son ingérence dans les affaires pourtant purement locales? Mais dans les faits, ce ne seront que des promesses tant qu'un article comme le 139 de la nouvelle charte communale existera. Il reconnaît explicitement au ministre de l'Intérieur le droit de prendre toutes les mesures nécessaires au bon fonctionnement des services publics communaux. Certes, il précise que les attributions dévolues aux conseils communaux et à leurs présidents doivent être respectées, mais ledit article reconnaît au ministre de l'Intérieur le droit d'intervenir par exemple dans la tarification des prestations de services publics communaux. Aussi, le wali, autorité locale représentant l'Intérieur, peut exercer une partie de ces compétences. La problématique d'indépendance des communes n'est donc pas résolue dans les nouveaux textes. L'enchevêtrement des compétences tellement décrié par les élus continue donc de faire de la résistance. Les imprimeries : un marché juteux Un phénomène récurrent. C'est carrément la réquisition pour certaines imprimeries. D'après les bruits du marché, certaines d'entre elles, à l'instar de l'imprimerie Idéal, auraient avancé le calendrier d'impression de certains magazines en raison de l'intense activité qui pointe son nez. Il faut dire que pour ces élections, l'appel d'offres a pu être à la portée de pas mal d'unités. Qu'elles soient grandes ou petites, chacune pourra bénéficier du budget alloué à l'impression par le ministère de l'Intérieur. D'autant plus que contrairement aux contraintes techniques d'impression concernant les dernières législatives, dont les bulletins de vote étaient quadra chromiques, pour ces communales, l'impression se fait à une couleur. Aussi, même les imprimeries les moins loties en matériel sophistiqué peuvent intervenir. Le ministère de tutelle n'a pas lésiné sur les moyens. Il faut dire que le marché des bulletins de vote à lui seul est estimé à près de 10 millions de DH. Les opérateurs de toutes les régions sont concernés. Il se trouve que l'équation repose sur la mobilisation d'une imprimerie par région. Décentralisation oblige. Par ailleurs, une seule imprimerie peut travailler à la fourniture en bulletins de vote pour plusieurs régions. Par ailleurs, pour ce qui relève de l'impression des cartes d'électeurs, la procédure mise en place par l'Intérieur est verrouillée. Il a été demandé aux adjudicataires de ramener leurs équipements dans les locaux même du ministère et d'y procéder aux opérations d'impression. L'enjeu est de taille.