Cerné de toutes part, ses militants paralysés par des procès à répétition, Yassine a vite trouvé la parade. L'utilisation du web pour communiquer avec ses ouailles et l'«infiltration» des fédérations et autres associations islamiques d'Europe. Même s'il reste difficile de savoir combien pèse la Jamaâ à l'étranger. Onze cadres de la jeunesse d'Al Adl Wal Ihsane (Justice et Spiritualité) ont été présentés au juge du tribunal de première instance de Mohammedia le lundi 6 octobre 2008. Dans le lot figurent Hassan Bennajah, Secrétaire général de la section de la jeunesse de la jamaâ, membre du Secrétariat Général du Cercle Politique et directeur du bureau du porte parole officiel du Mouvement Al Adl Wal Ihsane, et Monsieur Miloud Rahali, secrétaire national de la section estudiantine, poursuivis pour « réunion non autorisée ».Quelques centaines de militants de la jamaâ ont squatté l'entrée du tribunal dans une démonstration de force silencieuse mais néanmoins impressionnante, avant de se disperser dans le calme. Ça, c'est le style Yassine, «wait and see». Les forces de l'ordre désormais bien rôdées n'ont pas levé le petit doigt, se contentant d'observer de loin tout ce manège. A Nador, le tribunal de première instance vient de reporter au 24 février 2009 l'examen du dossier de Mohamed Abbadi, membre du conseil d'orientation et de 70 autres membres d'Al Adl Wal Ihsane. Ils ont été arrêtés alors qu'ils participaient à une réunion d'Aannassiha au domicile de Houcine Marjani, dans la ville d'Al Aroui, le 17 février 2007. A Beni Mellal, ce sont 32 femmes membres de la jamaâ qui ont comparu devant la première instance le 9 octobre 2008. Le procès de ces femmes poursuivies pour la tenue d'une réunion publique sans autorisation, a été reporté au 4 décembre 2008. Il y a même une juridiction, le tribunal de première instance d'Essaouira qui a acquitté, Abdelhadi Belkhailiya, membre du conseil d'orientation d'Al Adl Wal Ihsane et cinq autres membres de la Jamaâ poursuivis pour la tenue d'un « rassemblement public » sans autorisation. Et la liste reste ouverte, tant est, qu'aucune juridiction du pays n'a été exempte de procès contre les militants du cheikh. Dans ce jeu au chat et à la souris, le cheikh impose à ses troupes de faire le dos rond. Paralysie de la mouvance ? Rien n'est moins sûr, non seulement les cercles politiques continuent à tenir leur réunion comme la dernière rencontre du cercle politique de la région sud qui s'est tenue dans la banlieue d'Agadir, mais le vieux briscard de la politique qui a plus d'un tour dans son sac, a vite compris le parti qu'il pouvait tirer de l'essor des nouvelles technologies. On veut empêcher les disciples du cheikh de se réunir à visage découvert ? Qu'à cela ne tienne, les ingénieurs de la jamaâ ont développé un système de communication par le web que ne désavouerait pas la CIA, tant les précautions prises pour bloquer toute infiltration sont grandes. Les militants peuvent ainsi assister à une vision conférence du cheikh chaque dimanche, de 11h à midi, papoter avec sa fille chaque dernier mardi du mois à partir de 14h30, écouter les conseils avisés de Mounir Regragui, le patron du conseil d'orientation chaque vendredi à 21h quand ils ne sont pas en train d'user du chat pour se raconter les derniers songes en vogue. « A quelque chose malheur est bon, la répression tous azimuts nous a permis de réfléchir à des moyens plus efficients pour maintenir le contact, essentiel pour nous autres adlistes », commente un militant de Mohammedia. Si l'avantage du web a permis au vieil opposant de continuer à tenir d'une main de fer ses disciples, il permet également d'étendre la communication avec la galaxie islamiste partout dans le monde, comme c'est le cas en Espagne où la jamaâ compte de plus en plus d'adeptes. L'association est cernée de toutes part au Maroc, ses disciples interdits de prêche, ses militants contraints d'oublier le charity bizness? Pas de problème, Yassine a trouvé chaussure à son pied à l'étranger. Désormais, l'activisme des associations sociales et religieuses du Cheikh dispose aujourd'hui d'un large rayon d'action avec une présence significative dans les grandes villes, structuré autour de quelque 700 associations qui couvrent des domaines aussi variés que les soins de santé, l'éducation, les activités sportives, culturelles ou politiques. Combattre les discours extrémistes Les autorités de plusieurs pays européens elles-mêmes s'inquiètent sérieusement de la main mise d'Al Adl sur la communauté musulmane, et pas forcément marocaine. Des structures affiliées à la jamaâ comme l'AFD (Alliance pour la liberté et la dignité), basée à Bruxelles occupent le terrain dans plusieurs pays européens avec une forte présence en Espagne. L'AFD avait d'ailleurs organisé à Barcelone les 8, 9 et 10 Mai dernier, un Congrès international sur « les droits de l'homme et des perspectives de changement dans le monde arabe». Le cas Yassine et ses relations avec le pouvoir en place a été au cœur des débats. Quelques mois après, au début de l'été dernier, l'association de Abdessalam Yassine est au cœur de l'actualité ibérique avec l'organisation de « sessions de formation » au profit d'une centaine d'imams des mosquées de Murcie en Espagne, car la région de Murcie fait désormais partie de la chasse gardée de Yassine. Au menu : officiellement, il s'agit de combattre les discours extrémistes s'abreuvant de jihad. Il s'agit entre autre de rectifier l'image qu'ont les gens de l'islam, d'expliquer le message coranique, de diffuser un message de paix dans un monde violent, mais en réalité, il s'agit clairement de l'encadrement des 50.000 Marocains de la région, dont une bonne partie a déjà cédé au discours mielleux mais néanmoins reposant du cheikh. Dans cette région, on peut noter l'activisme remarquable et remarqué de la Fédération islamique de Murcie, tenue d'une main de fer par Saïd Mendi, imam à Carthagène et qui est le propre gendre de Ali Abbadi, le numéro deux de la Jamaâ, qui tient l'Oriental. Lequel n'a pas hésité à faire le déplacement en Espagne à la même période. Autre officine au bras long, l'Association Onda, présidée par Mohamed Boutarbuch. Cette association basée à Madrid et qui a des bureaux à Barcelone, Carthagène, Grenade et Majorque. Son quartier général est situé à la mosquée «Al Falah Al Istakama» de Getafe. La présence croissante d'immigrants marocains en Espagne est du pain bénit pour le cheikh qui est en train de devenir un acteur majeur de la mouvance islamiste dans ces pays. «La jamaâ a élargi au cours des dernières années, sa présence parmi la communauté immigrée marocaine en Espagne, en profitant notamment des lacunes d'un processus d'institutionnalisation de l'islam en Espagne, qui n'a pas su encadrer bon nombre de communautés musulmanes, dont bien entendue, celle d'origine marocaine», rappelle Tarajal, un journaliste espagnol. A la décharge des autorités espagnoles, il faut reconnaître que les militants de Yassine qui fréquentent assidûment la communauté marocaine en Espagne travaillent néanmoins dans une grande discrétion pour éviter l'infiltration des services de sécurité marocains, qui s'inquiètent à juste titre de la présence croissante de ce mouvement et de son activisme au sein de la communauté marocaine en Espagne. ■