Feu Ahmed Réda Guédira, conseiller de feu Hassan II, était un homme politique avisé et hautement expérimenté. Itinéraire de l'un des hommes politiques marocains les plus controversés. Depuis l'indépendance, aucun homme politique marocain n'aura fait l'objet d'autant d'attaques, de critiques acerbes voire d'insultes et de jugements diffamatoires comme ce fut le cas pour de l'ex-conseiller du Roi Hassan II, feu Ahmed Réda Guédira. On peut même aller jusqu'à affirmer que les partis politiques marocains toutes tendances confondues se sont pour une fois accordés pour se prononcer de manière catégorique sévère, agressive et forcément injuste, sur ce personnage qui fut incontestablement le véritable homme fort du règne de Hassan II. L'anti-parti unique Que de calomnies et de ragots ont circulé autour d'Ahmed Réda Guédira tout au long des quarante dernière années et ce pratiquement jusqu'à sa disparition vers la fin du siècle dernier. Dès l'aube de l'Indépendance, on retrouvera l'ex-conseiller de Hassan II au cœur de multiples combats politiques certes pacifiques mais néanmoins animés. Face aux tentations du parti unique que caressaient les ismaïliens tout comme les leaders de la gauche progressiste et totalitaire, Guédira se dressait avec courage pour défendre sa propre conception du pouvoir et de l'action politique, du pluralisme et de la démocratie, de l'action partisane et syndicale. On le retrouvera d'abord à l'aube des années soixante. Un Guédira s'opposant à l'Istiqlal à la fin des années cinquante et qui décide de fonder un nouveau parti, le parti des indépendants autonomes qui ressemblait alors à une sorte de confrérie régionale, puisque l'essentiel de sa direction était sélectionné parmi les personnalités R'baties dont notamment son ami et compagnon Rachid Mouline. Face aux barons de l'Istiqlal que furent les Allal El Fassi et ses disciples Omar Benabdeljalil, M'Hamed Douiri, Abdelkrim Ghallab et autres Abdelhak Tazi, Guédira entendait constituer un bloc face à l'hégémonie des Fassis. Avec Feu Hadj Ahmed Balafrej, l'Istiqlalien, Ahmed Réda Guédira était en effet la seule personnalité R'batie dans les premiers gouvernements de l'après-Indépendance. Il assuma en particulier les portefeuilles du ministère de l'Information et du Tourisme à partir de 1956 tandis que son ami et allié Rachid Mouline était chargé de la Fonction publique puis de l'Education nationale. L'homme le plus proche de Hassan II Pour ses adversaires politiques, Guédira était l'homme à abattre. On lui reprochera toutes les difficultés que le pays allait connaître durant les années cinquante et soixante. On l'accusera d'avoir joué un rôle décisif dans la falsification des différentes consultations électorales, d'avoir sciemment contribué à la création de partis politiques fantômes pour le compte de l'administration. On parlera aussi du Front de Défense des Institutions Constitutionnelles (FDIC) et plus tard de celui du Rassemblement National des Indépendants (RNI) d'Ahmed Osman et surtout de l'Union Constitutionnelle de Feu Maâti Bouabid. On l'accusera surtout d'avoir tout fait pour éliminer les partis issus du mouvement national dont notamment l'Istiqlal, le parti communiste de Ali Yata puis l'UNFP de Ben Barka, plusieurs fois traqué puis interdit à la fin des années soixante. On l'a surtout présenté comme étant l'ami intime, le conseiller avisé, le fidèle des fidèles de feu Hassan II. On avancera aussi qu'il était avant tout le serviteur zélé des intérêts français au Maroc. Mais pour mieux comprendre le personnage, il est important de bien relire son histoire : lorsqu'il était encore jeune avocat à Rabat dans les années quarante et qu'il se porta volontaire en vue de défendre et plaider la cause de dizaines de résistants et de personnalités nationalistes face à la vague d'arrestations et de répression engagée par les autorités coloniales. Ceux qui l'ont approché de près affirment qu'il ne se considérait pas comme l'ami de feu Hassan II, mais plutôt comme un serviteur des institutions de son pays. S'il est vrai qu'il était l'homme dont les idées étaient réellement très proches de celles du défunt Souverain, on peut considérer qu'il était aussi le mieux apte à appliquer intégralement les idées et les grandes décisions prises par le Roi. Du FDIC à la reconnaissance de la Mauritanie En 1963, juste après les premières élections législatives dans l'histoire du Maroc, Ahmed Réda Guédira, allié notamment à Mahjoubi Aherdane et Abdelkrim El Khatib, les co-leaders du Mouvement Populaire décide de créer le FDIC. Il le dote d'un organe de presse performant qu'il appela «Manarat» (les Phares). Nombre de personnalités politiques viscéralement opposées à l'hégémonie des Istiqlaliens et des Ittihadis vont alors rejoindre le parti de Guédira. On se rappelle encore des affrontements entre les deux tendances au sein du Parlement marocain qui sera dissout dès 1965, suite aux émeutes de Casablanca. Une phase que d'aucuns considèrent qu'elle avait largement contribué à enrichir le débat et la vie politique pluraliste à laquelle aspirait tout particulièrement feu Guédira. En 1965, il décide d'abandonner le FDIC pour fonder une nouvelle structure : le Parti Socialiste Démocratique( PSD), mais c'était trop tard, le Parlement venait d'être dissout, la vie politique suspendue et l'affaire de l'enlèvement de Mehdi Benbarka à Paris allait faire le reste. Au sein des différents gouvernements qui se sont succédés au Maroc durant les années 60 et 70, on retrouvera Réda Guédira à tous les postes névralgiques : ministère de l'Information, Tourisme, Intérieur, Agriculture, Education nationale, Formation des cadres et enfin celui de directeur du Cabinet Royal et conseiller attitré de feu Hassan II. Bien entendu, un homme de cette dimension ne pouvait entretenir de relations normales avec le commun des hommes politiques en particulier dans l'opposition. C'est ce qui explique le fait qu'on lui reprochera tous les aspects négatifs de l'ère Hassan II sans jamais prendre la peine d'énumérer les aspects positifs de son action. Fidèle à ses idées et convictions pragmatiques, Réda Guédira savait qu'il n'était pas apprécié par la classe politique, mais il préféra rester fidèle à ses principes : serviteur du Roi et défenseur acharné de la monarchie constitutionnelle. Ceux qui l'ont côtoyé affirment qu'il savait garder les secrets d'Etat. Lui, qui était témoin des négociations d'Aix-les-Bains devant mener le Maroc vers l'Indépendance. Il l'était aussi lors de la scission du parti de l'Istiqlal en 1959. Mieux encore : c'est lui qui inspira à feu Mohammed V l'idée du dahir des Libertés publiques de Novembre 1958 mettant fin aux tentations du parti unique et instituant de fait le pluralisme dans la vie politique et syndicale. Il était aussi témoin des complots et des coups d'Etat fomentés par les militaires : les généraux Oufkir, Dlimi et leurs acolytes. Il était enfin l'homme le plus respecté par un certain Driss Basri, le nouvel homme fort du Maroc à partir de 1973. Pourtant il ne s'est jamais impliqué dans un quelconque scandale politique. C'est encore Ahmed Réda Guédira qui inspira à feu Hassan II, en 1969, l'idée de la reconnaissance de la Mauritanie en tant qu'entité souveraine et indépendante et de s'allier à Nouakchott en vue d'engager le processus de libération du Sahara au risque de susciter la désapprobation de personnalités politiques d'origine mauritanienne : les Horma Ould Babana, Dey Ould Sidi Baba… Guédira n'était pas un homme d'autorité, mais plutôt un homme de droit, de pouvoir, de diplomatie et de haute politique. Sans doute, les dernières années de sa vie n'étaient pas aussi brillantes qu'au début de sa carrière. Mais le plus important est qu'il est resté conséquent avec lui même et fidèle à ses idées jusqu'au bout. Traduit de l'arabe par Omar El Anouari