Brillant chef de file du parti de la Choura (PDI) de Mohammed Hassan El Ouazzani puis co-fondateur de l'UNFP, Mohamed Hajji Ammouri était à la fois un résistant convaincu pour l'indépendance doublé d'un militant pour le pluralisme et la démocratie. Il était aussi un journaliste engagé qui finira sa vie au poste de Pacha où il s'était distingué en 197, en refusant de falsifier les élections. Portrait d'un démocrate sincère. J'ai connu feu Mohamed Hajji Ammouri en sa double qualité de journaliste et en tant qu'élu. Président du Conseil provincial de Casablanca dont l'autorité s'étendait à cette époque sur toute la région de la Chaouia et Doukkala, englobant notamment les villes d'El Jadida, Berrechid, Settat et Mohammedia. Parallèlement à cette haute fonction, il était aussi directeur d'une publication de référence : «Al Assas», l'hebdomadaire qui avait également marqué ces années de grandes turbulences entre les premières élections municipales et législatives de 1963, le soulèvement de Casablanca et ses évènements sanglants de 1965, la dissolution du premier parlement et l'instauration de l'Etat d'exception, l'enlèvement de Mehdi Benbarka et j'en passe ! «Al Assas» que Mohamed Hajji Ammouri avait lancé quelques années plutôt, avait aussi été censuré, saisi à plusieurs reprises, ramassé des kiosques et son fondateur poursuivi en justice, notamment lorsque feu le Roi Hassan II avait visité la capitale économique juste au lendemain des événements de Casablanca en mars 1965. Entre fleurs et embûches En sa qualité de président du Conseil provincial de Casablanca, il avait alors pris soin de présenter au défunt Souverain, un dossier complet sur la situation économique et sociale catastrophique que vivait la capitale économique. Ce jour là, Mohamed Hajji Ammouri, eut l'audace de s'adresser à Sa Majesté le Roi en ces termes : « Sire, je regrette de ne pas vous offrir un bouquet de fleurs à l'occasion de votre arrivée dans notre ville. Mais je présenterai plutôt à votre Majesté, un bouquet parsemé d'épines. C'est un dossier qui résume la situation économique et sociale générale de notre ville ». Il prononçait cette phrase devant mes yeux. En le regardant, j'ai senti qu'il était profondément déçu, scandalisé par l'hypocrisie ambiante et dominante à cette époque. Un pur Chouri Il se démarquait largement des autres personnalités politiques de son époque, se distinguant par sa fougue, son enthousiasme et sa confiance en soi. Cette bonne volonté qui lui a permis de militer pour réaliser ce dont rêvaient nombre de résistants marocains et de militants nationalistes sincères. Ceux qui ont engagé la résistance nationale, qui y ont cru et qui se sont sacrifiés corps et âme pour l'indépendance du Maroc et la dignité de leurs compatriotes. Ahmed Hajji Ammouri était d'abord un chouriste convaincu. Catalogué parmi les fondateurs historiques et les chefs de file les plus en vue du Hizb Choura, le fameux Parti Démocratique et de l'indépendance (PDI) et son leader charismatique Mohamed Hassan El Ouazzani. Sous l'étiquette du premier rival historique de l'Istiqlal, il était fier de marquer sa différence et de rester attaché à la doctrine de son parti, victime tout au long des premières années de l'indépendance de toutes les formes d'exactions et de marginalisation et dont plusieurs militants ont été malmenés, tabassés au grand jour, emprisonnés, torturés ou tout simplement assassinés. Ahmed Hajji Ammouri avait été emprisonné dés l'année 1954 par l'administration coloniale à l'apogée de la lutte de libération nationale. Il y restera pratiquement jusqu'au retour d'exil de Sa Majesté le Roi Mohammed V. Parmi ses compagnons de cellule, on comptera toute la direction du PDI, dont notamment l'un des principaux théoriciens de la pensée chouriste : feu Hadj Ahmed Maâninou. Après sa libération il réintègre la vie politique, toujours sous l'étiquette de son parti. Son action se focalisera en premier lieu sur la presse militante à travers les textes qu'il publiait sur les pages d' «Al Rai Al- Am» (L'opinion publique) l'organe officiel du Hizb Choura. Un moyen d'exprimer ses idées sur la démocratie, le pluralisme, le Panarabisme, et de revendiquer l'urgence d'une Constitution démocratique. Co-fondateur de l'UNFP Trois années plus tard, et alors que le PDI commençait à battre de l'aile sous la pression des multiples actes de persécution qu'il avait subis, Mohamed Hajji Ammouri décide en 1959 de rejoindre l'Union Nationale des Forces Populaires (UNFP), le nouveau parti qui venait d'être créé sous l'impulsion de Mehdi Benbarka, Fquih Basri, Abderrahim Bouabid, Abdallah Ibrahim et leurs compagnons qui venaient de sceller la scission de l'Istiqlal. Il ne sera pas seul puisque pas moins de quatre ténors du Hizb Choura vont le rejoindre : Thami El Ouazzani, Ahmed Bensouda, et Abdelhadi Boutaleb qui présidait alors le Conseil municipal de Casablanca. Au bout de quelques années, il s'apercevra que son nouveau parti était loin de réaliser ses rêves. Il choisit alors de s'exprimer de façon autonome. Il fonde le journal «Al Assas» (le fondement) sur lequel il s'appuyait pour défendre ses idées. Une tribune pour s'adresser à une opinion publique encore plus large que le cercle réduit des Chouri ou Ittihadi. Son journal sera plusieurs fois saisi et interdit juqu' en 1967, au lendemain de la guerre arabo –israélienne où il sera définitivement interdit. Les idées développées dans «Al Assas», sa démarche politique au service du Panarabisme et du monde musulman ne pouvaient que gêner la nomenclatura de l'époque et son chef le général Oufkir promu ministre de l'Intérieur. Retour en prison Après l'interdiction d' «Al- Assas», Mohamed Hajji Ammouri sera tout simplement démis de ses fonctions de Président du Conseil provincial de Casablanca. Celui qui avait été emprisonné par les français en 1954, sera de nouveau incarcéré durant de longues semaines, alors que tous les journalistes qui avaient collaboré avec lui ont été soigneusement convoqués et interrogés. J'étais parmi eux, puisque après avoir été détenu pendant quelques jours à Dar El Mokri, ceux qui m'avaient interrogé avaient pris soin d'axer leurs questions sur mes relations personnelles avec Mohamed Hajji Ammouri, visiblement dans le but de recueillir des preuves pouvant justifier son inculpation à une lourde peine. J'ai refusé de me prêter à ce jeu malgré les conditions difficiles, inhumaines même de mon emprisonnement. J'ai refusé de dire tout ce qui était de nature à lui porter tort. Enfin, je lui dois beaucoup pour toute l'action militante qu'il avait entrepris pour me libérer juste après sa sortie de prison. Je me rappelle encore de son témoignage en ma faveur devant le juge d'instruction, lorsqu'il avait dit textuellement qu'il s'élevait contre toutes les accusations d'atteinte au système et à la monarchie en place. Après de longues années d'isolement, Mohamed Hajji Ammouri a pu surmonter tous les obstacles pour se faire une place dans le Maroc des années 70. Sur ordre de feu le Roi Hassan II, il sera nommé à la tête d'un nouveau quotidien national en l'occurence «Jaridatouk» (Ton Journal) relevant du ministère de l'Information,. Il sera désigné plus tard à la tête de l'Imprimerie «Al Anbaa» relevant du même département. A la fin de sa carrière, il sera nommé au poste de Pacha, juste après la mort du général Oufkir. Pacha de Ouezzane, il gardera sa fibre nationaliste, notamment à travers son attachement au parachèvement de l'intégrité territoriale au nord et au sud du Royaume en particulier, la question du Sahara, au moment où s'amplifiaient les manœuvres espagnoles et algériennes destinées à perpétuer la présence coloniale dans les provinces du Sud. Ses amis les plus proches n'oublieront jamais l'amitié qu'il vouait à un authentique résistant et journaliste, en l'occurrence, feu Mohamed Bassir. Ne serait – ce que parce qu'il avait été l'un des principaux rédacteurs et collaborateurs de sa célèbre publication «Al Assas». A la fin de cette brillante carrière et alors qu'il exerçait la fonction de Pacha, il a dû subir une ultime épreuve. C'était lors des élections de 1977. Juste après la glorieuse Marche verte, ces élections devaient sceller ce qu'on appelait la phase de l'ouverture démocratique du Maroc. Son malheur était d'avoir refusé catégoriquement de s'adonner au jeu des falsifications des élections. Il subira toutes les formes de pressions et d'intimidations. Mais il ne cédera pas. Hélas, ces épreuves de force finiront par provoquer sa chute physique et morale. Il mourût quelques jours après son hospitalisation dans le regret général. Jusqu à son dernier soupire, il répétait : «Non, non, je ne falsifierai jamais les élections ?»