L'Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC) a pris position sur les déclarations du ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, qui a menacé les associations marocaines, y compris celles engagées dans la défense des deniers publics, d'un contrôle approfondi pour « connaître l'origine des villas et des voitures de luxe détenues par certaines organisations de la société civile ». L'Instance a estimé que « si le ministère dispose de données sérieuses sur des cas de corruption dans les finances des associations, il peut les soumettre à l'autorité judiciaire compétente ». Le président de l'INPPLC, Mohamed Bachir Rachdi, a exprimé cette position dans une déclaration accordée à Hespress, insistant sur le fait que « les associations sont un élément fondamental de la société et doivent être traitées sur un pied d'égalité ». Il a souligné l'existence « d'associations intègres qui soutiennent la lutte contre la corruption, ainsi que d'organisations crédibles œuvrant dans divers domaines, tout en reconnaissant la possibilité de l'existence d'autres associations en dehors de ce cadre ». Et de préciser : « Nous avons au Maroc plus de 150.000 associations, et il est naturel qu'il y ait des différences dans leurs modes de fonctionnement ». Lors d'une réunion en commission parlementaire, le ministre de la Justice avait estimé « qu'il est impératif de connaître les sources de financement des associations possédant des villas et des voitures de luxe, et d'appliquer à leur encontre le principe de l'enrichissement illicite ». En réponse, sans pour autant s'adresser directement au ministre, Rachdi a affirmé que « l'enrichissement illicite ne peut pas s'appliquer uniquement aux associations, mais à toute personne exploitant des fonds publics à des fins personnelles et illégales ». Il a ajouté que « le ministre de la Justice dispose des prérogatives nécessaires pour agir sur les dossiers qui présentent des irrégularités ». Le président de l'Instance nationale de la probité a insisté sur la nécessité d'adopter une approche globale dans la lutte contre la corruption, sans cibler une catégorie spécifique. « La lutte contre la corruption exige une vision d'ensemble et ne peut se limiter à un groupe particulier, qu'il s'agisse des associations ou de toute autre entité institutionnelle ou sociale », a-t-il affirmé. Il a également rappelé que « tout dossier comportant de sérieux soupçons doit être pris en charge par le gouvernement ou toute autre instance compétente, conformément à ses responsabilités ». Dans ce cadre, l'INPPLC a proposé « une nouvelle approche structurante capable d'endiguer la corruption et d'aboutir à des résultats concrets ». Rachdi a également mis en avant « les orientations et recommandations de l'institution, qui visent à infléchir la courbe de la corruption à court terme », insistant sur le fait que « le diagnostic de la corruption repose sur plusieurs approches conformes aux normes internationales ». Il a par ailleurs souligné la nécessité de distinguer entre l'investigation sur la corruption et l'analyse économétrique de son impact, expliquant que « le mélange des deux est une erreur méthodologique ». Et d'ajouter : « Il est essentiel d'ouvrir un débat au niveau gouvernemental sur l'enrichissement illicite ». Mercredi, le ministre de la Justice a défendu sa position contre la criminalisation de l'enrichissement illicite, expliquant qu'« il y a une différence entre combattre la corruption avec une mentalité stalinienne et communiste, et le faire selon une approche démocratique et légale ». Il a poursuivi : « Nous devons choisir la méthode que nous voulons adopter. Voulons-nous une approche qui place tout le monde dans le box des accusés avant de chercher les innocents parmi eux ? Je pense que la démarche inverse est plus judicieuse : il faut rassurer le citoyen et lui garantir une protection ». Ouahbi a également dénoncé ce qu'il a appelé « le chaos des plaintes », estimant que « tout le monde dépose aujourd'hui des plaintes, ce qui pose un problème : qui acceptera désormais de présider une municipalité ou un conseil communal ? Seuls un fou ou un suicidaire s'y risqueraient, car dès qu'ils commencent leur mission, ils sont perçus comme des criminels. Où allons-nous ainsi ? », s'est-il interrogé, avant de conclure : « Voulons-nous transformer le Maroc en une cité idéale ? ». Enfin, en réponse au rapport de l'INPPLC estimant le coût de la corruption à environ 50 milliards de dirhams, Ouahbi a rétorqué : « Je ne suis pas concerné par le mode de calcul français adopté pour cette estimation. Indiquez-moi précisément l'origine de la corruption, et j'interviendrai pour y remédier (...) Je suis intransigeant lorsqu'il s'agit de protéger le citoyen, et je le sais bien ». Une déclaration que Rachdi a qualifiée dans son entretien avec Hespress de « confusion méthodologique ».