La Libye s'est embourbée dans une crise politique majeure après la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. Entre affrontements armés et divisions Est-Ouest, le conflit inter-libyen semblait s'éterniser, avant qu'un début de sortie de crise ne commence à se dessiner. Après plusieurs rounds de négociations, notamment au Maroc à Skhirat et Bouznika, un nouveau scénario a émergé, un gouvernement a été mis en place, et une date pour les élections présidentielle et parlementaire, a été arrêtée pour le 24 décembre. Des divergences ont de nouveau éclaté sur fond de désaccords entre un pouvoir à l'Est incarné par le Parlement et le maréchal Khalifa Haftar, et un autre à l'Ouest autour du gouvernement Dbeibah et du Haut Conseil d'Etat. Un report de l'élection s'est finalement imposé, synonyme de retour à la case départ. Estimant en effet que l'actuel gouvernement intérimaire est en fin de mandat, le Parlement siégeant à Tobrouk a organisé un vote et désigné l'ex-ministre de l'Intérieur, Fathi Bachagha comme nouveau chef de gouvernement, en remplacement de Abdelhamid Dbeibah. Ce dernier ne l'entendant pas de cette oreille, a affirmé depuis son QG à Tripoli qu'il «ne céderait le pouvoir qu'à un gouvernement sorti des urnes». « Je n'accepterais aucune nouvelle phase de transition ou autorité parallèle », a-t-il averti dans un discours télévisé, affirmant que son gouvernement intérimaire ne remettrait le pouvoir qu'à « un gouvernement élu ». Faisant fi de toutes ces déclarations, le nouvel « homme fort », ancien pilote de chasse, a fait part à son arrivée à Tripoli en provenance de Tobrouk, de son intention « d'ouvrir un nouveau chapitre », en « tendant la main à tous ». Il a même « remercié M. Dbeibah pour le travail accompli pendant cette période difficile ». Bachagha, fort du soutien de l'armée de Haftar, dispose de douze jours pour soumettre un gouvernement au Parlement. Résultat des courses, la Libye se retrouve depuis jeudi dernier avec un exécutif bicéphale. Chaque camp campe sur ses positions, reproduisant ainsi le schéma de la période 2014/2016 en pleine guerre civile, et hypothéquant, ce faisant, des années de pourparlers et d'efforts pour mettre un terme à l'interminable transition post-Kadhafi. Partie prenante à la gestion de ce conflit, l'ONU a vite fait de prendre position, en réitérant son soutien à Abdelhamid Dbeibah comme Premier ministre. Interrogé sur la question, le porte-parole de l'Organisation, Stéphane Dujarric, a eu cette brève réponse : « Oui, pour faire court, oui ». Décryptage de l'expert Tajeddine El Husseini, expert en relations internationales, nous livre sa lecture de ce nouveau rebondissement dans le dossier libyen. «Jusqu'ici, il n'y a pas eu de réaction officielle marocaine, mais elle ne saurait déroger à la ligne que le Royaume a toujours adoptée dans cette question», commence par nous expliquer l'universitaire, rappelant que «dès le début, le Maroc avait la même position, à savoir que les problèmes des Libyens doivent être discutés et résolus par les Libyens eux-mêmes, sans ingérence étrangère aucune». «Le Royaume n'a pas changé sa position en fonction de l'évolution de la situation sur le terrain. Il n'a d'agenda que celui de la Libye, ni d'intérêt que pour la Libye, ni de proposition hors de ce qui a été consenti par les Libyens», n'a en effet cessé de d'affirmer le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita. Concernant la situation actuelle, Tajeddine El Husseini souligne qu'«aujourd'hui ce que l'on peut relever, c'est que pour la première fois un consensus a pu être trouvé entre le parlement et le haut conseil d'Etat, et cela en soi est une bonne chose». Sauf que, poursuit-il, «la communauté internationale n'a pas l'air d'apprécier, et affirme, à l'instar de l'ONU, qu'elle continuera de traiter avec le gouvernement en place, celui de Abdelhamid Dbeibah». A mon sens, estime l'expert, «l'organisation des Nations Unies se devait de prendre en considération les consensus inter-libyens, rares et difficiles à arracher, et de préserver sa neutralité dans ce conflit, sans appuyer une partie aux dépens de l'autre». Interrogé si cette situation peut perdurer, l'expert soutient qu'«un gouvernement bicéphale en Libye qui s'inscrirait dans la durée, demeure le scénario le plus pessimiste. Mais à mon avis, les Libyens ont maintenant atteint un certain niveau de sagesse dans la gestion de leurs affaires, et savent pertinemment que tout retour à la politique des clans, des axes d'influence, ou encore la soumission aux directives étrangères, n'engendrera que des affrontements et des désaccords au niveau interne». «Maintenant que le parlement et le Conseil de l'Etat adoptent la même position, chose qui était très difficile à réaliser, les choses pouvaient aller de l'avant. Mais il s'agit à ce stade de convaincre la communauté internationale, notamment l'ONU, de cette position», estime-t-il. Toutefois, fait valoir Tajeddine El Husseini, «un autre acteur demeure clé dans cette histoire, à savoir Abdelhamid Dbeibah, qui se doit de prendre conscience de l'équilibre des forces sur la scène libyenne, et sur lequel il n'a aucune emprise et qu'il n'a pas les moyens d'ébranler». Pour conclure : «In fine les parties libyennes sont dans l'obligation de trouver une issue, et de s'accorder sur la question des élections, qui peut être résolue dans le dialogue, la concertation et la concession, et qui constitue en fait la principale pomme de discorde». L'ONU s'active Justement c'est sur cette question des élections qu'a insisté Stephanie Williams, Conseillère spéciale pour la Libye, lors de ses rencontres ce dimanche 13 février avec les deux protagonistes, qu'elle a tenté de convaincre de tout faire pour préserver l'unité et la stabilité de la Libye. «Aujourd'hui, j'ai rendu visite au Premier ministre du GNU, M. Abdulhameed Dbeiba, pour discuter des développements récents et des votes de la Chambre des représentants pour adopter un amendement constitutionnel et désigner un nouveau Premier ministre. Nous avons passé en revue le processus en cours et j'ai réitéré l'importance pour tous les acteurs et institutions de travailler dans le cadre politique et, surtout, de préserver le calme sur le terrain dans l'intérêt de l'unité et de la stabilité de la Libye. L'ONU reste déterminée à faire entendre la voix des 2,8 millions de Libyens qui se sont inscrits pour voter», a-t-elle indiqué. «J'ai également rencontré aujourd'hui le Premier Ministre désigné, M. Fathi Bashagha. J'ai souligné la nécessité d'aller de l'avant de manière inclusive, transparente et consensuelle, et de maintenir la stabilité à Tripoli et dans tout le pays», a encore tweeté Williams.