Suite à l'épidémie du coronavirus, des mesures fiscales additionnelles ont été prévues dans le projet de loi de finances rectificative de 2020 au Maroc. Selon, l'économiste Driss Effina, malgré leur côté positif, ces mesures manquent d'audace et n'encouragent pas le secteur privé. Pas de grandes surprises sur le volet fiscal, la plupart des changements se sont exprimés par des régularisations fiscales, notamment des reports d'échéances ou encore à l'étalement des charges déductibles du résultat fiscal sur plusieurs exercices pour les entreprises ayant contribué au fond national de lutte contre le coronavirus, « Le grand changement que l'on retrouve dans cette loi de finance rectificative c'est la baise colossale des recettes de l'Etat d'une manière historique. La baisse a été de 44,7 milliards de dirhams sachant que l'Etat compte maintenir à travers cette même loi le niveau de dépenses ayant été déclaré dans la loi de finances de 2020 et compte même l'augmenter légèrement. Donc évidemment cette situation n'est pas facile à gérer, elle sera compensée certainement par la dette interne et externe », indique Driss Effina, professeur d'économie à l'Institut National de statistique et d'économie appliquée (INSEA). Le Maroc qui s'engage dans une baisse des recettes de l'Etat va quand-même garder le même effort en termes d'investissement et « il sera maintenu à 182 milliards de dirhams contre 198 déclarés avant, soit une baisse de 16 milliards de dirhams, ce qui est insignifiant par rapport à la baisse de la recette fiscale », explique à Hespress FR, le président du directoire du Centre d'analyses stratégiques, estimant que cette baisse revient à la chute des investissements des entreprises publiques de presque 30 milliards de dirhams. De ce fait, l'Etat va augmenter ses investissements (imputés au budget général de l'Etat) de 17 milliards de dirhams pour compenser la double baisse des entreprises publiques et des collectivités territoriales (baisse de 4,5 milliards de dirhams de leurs investissements). « Ce que nous constations c'est qu'il n'y a pas d'innovation sur le plan fiscal alors que dans une situation comme celle-ci (pandémie du coronavirus) l'Etat devrait encourager à l'investissement privé au niveau national et territorial et nous n'avons rien vu à ce niveau-là, à part l'augmentation sur les droits d'importation qui a été porté à 40% pour privilégier le produit Made in Morocco », dit-il. Et d'ajouter que cette augmentation des droits d'importations vont faire augmenter les recettes douanières qui ont subi une baisse considérable à cause de la fermeture de frontières et espace aérien depuis 3 mois. A ce titre, Driss Effina estime que l'incitation à l'investissement en ce moment précis devrait être un objectif stratégique et devrait cibler l'industrie de substitution qui, permettrait d'encourager l'émergence de nouvelles niches, et « cela ne peut avoir lieu qu'à travers une double incitation, notamment en augmentant les recette douanière pour permettre au produit nationaux d'être plus compétitifs et à travers un privilège fiscal à donner à certaines niches industrielles au niveau national et au niveau territorial », soutient-il. Réaffirmant l'importance du volet territorial, l'expert explique cela par les opportunités d'investissement dans les régions, les zones industrielles vides causées par un « un problème de prix et de fiscalité ». « Les zones éloignées, note-t-il, ne peuvent pas attirer des investissements sans avantages fiscaux, et si l'Etat arrive à donner à travers la loi de finances ces avantages là et des lots industriels à zéro dirhams, nous allons pouvoir redynamiser l'investissement privé » « Avec cette fiscalité qu'on a gardée intacte aujourd'hui comme s'il n'y avait pas de problèmes, je ne pense pas que nous allons drainer de nouveaux investissements privés alors que c'est recherché, tout ce que nous allons faire c'est protéger le tissu entrepreneurial existant », argue l'économiste. Concernant le volet les mesures spécifiques à l'impôt sur le revenu (IR) et à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), le PLF rectificative a encouragé une fois du plus le paiement mobile en supprimant l'abattement de 25% et en le remplaçant par la non prise en compte du chiffre d'affaire sur les 5 ans dans le calcul de l'IR et TVA. « Tout ce qui a été fait jusqu'à maintenant ne va pas permettre d'éradiquer le paiement physique et le digital va tarder à s'imposer. La transformation doit être décidée par Bank Al Maghrib d'une manière définitive. On doit prendre la décision que les seuls moyens de paiement qui seront utilisés seront soit le paiement par carte soit paiement mobile. Plusieurs pays l'ont fait, la Chine avec ses 1,4 milliard d'habitants. Si le Maroc ne décide pas cela, le paiement mobile ne sera jamais pratiqué et nous n'allons jamais transformer notre économie », déclare Effina. L'expert a toutefois retenu une note positive, celle de la « dynamique » qui a eu lieu durant les premiers mois de l'épidémie du coronavirus qui a réactivé le travail de l'Etat. « L'Etat a montré un visage réactif et dynamique, et ce visage-là, on doit l'utiliser pour réussir les grandes transformations et les grands chantiers de réforme de l'Etat », conclut notre interlocuteur.