Les grandes lignes du projet de loi de finances rectificative ont été présentées au conseil des ministres et sont actuellement en cours d'examen au conseil du gouvernement. En attendant les détails du projet, première lecture des économistes. Mounia Kabiri Kettani Les orientations générales du projet de loi de finances rectificative 2020 reposent sur trois piliers : l'accompagnement de la reprise progressive de l'activité économique, la préservation de l'emploi et l'accélération de la mise en œuvre des réformes de l'administration. «L'ancienne version est plus riche en termes d'orientations. Là, il y a un recentrage vers trois principales dont l'une est annoncée au niveau du premier projet (poursuite de la réforme de l'administration) et les deux autres visent à aider l'économie à se relancer durant les six prochains mois en mettant les moyens nécessaires pour accompagner le secteur formel, informel et le secteur public », commente l'économiste Driss Effina. Et il ajoute «le gouvernement veut utiliser un certain nombre d'instruments notamment le fonds spécial pour la gestion de la pandémie qui va continuer à être alimenté par les ressources nécessaires et va jouer son rôle jusqu'à la fin de l'année en terme d'accompagnement sur les plans, social et économique, des secteurs qui feront face à des difficultés même après la levée du confinement. Le projet de loi rectificative prévoit aussi la promotion de l'investissement public afin d'accélérer la redynamisation de l'économie nationale. Sur ce point Effina déclare que la question se pose au niveau des montants qui seront engagés. Autrement, est ce que le gouvernement va garder le même effort que celui annoncé dans l'ancienne version ou va procéder à une réduction, sachant que ce projet ne couvre que les six prochains mois. Coût social Un autre point phare du projet, l'activation de l'accompagnement spécifique des différents secteurs, dans un cadre contractuel, avec les acteurs économiques concernés, en conditionnant l'appui à la reprise économique, à la préservation de plus de 80% des salariés déclarés à la Caisse nationale de Sécurité sociale (CNSS) et à la régularisation rapide de la situation des employés non déclarés. Cette annonce, inquiète particulièrement l'économiste Mesbahi Kamal qui met l'accent le coût social. «Cela veut dire les entreprises ne doivent s'engager que pour garder 80% de leurs salariés et qu'on est prêt à sacrifier les 20%. Le coût social sera donc cher », prévient t-il. Et il ajoute «En 10 jours entre le 20 mars et 30 mars, le nombre de chômeurs est passé de 1,1 à 1,9 millions. Le taux de chômage a donc augmenté de 74%. Je pense que cette fragilité sociale devrait être à la base de ce projet de loi de finance rectificative ». Cette fragilité liée au covid-19, s'ajoute en effet à celle en relation avec la troisième année de sécheresse vécue par le Maroc en 5 ans. Risques: « certains entreprises vont mourir, le taux de risques va augmenter mais l'Etat doit réfléchir au coût social », insiste Mesbahi. Le rôle des banques Pour la relance, le projet prévoit également l'allocation de fonds nécessaires pour couvrir les risques des prêts garantis au profit de tous les segments d'entreprises, y compris les entreprises publiques. Des Conditions avantageuses seront appliquées à travers un taux d'intérêt maximum ne dépassant pas 3,5%, et un délai de remboursement de 7 ans, avec deux ans de grâce et une garantie de l'Etat variant entre 80% et 90% et pouvant atteindre 95% pour les très petites entreprises. «Ceci nous permet d'avoir une plus grande visibilité sur la garantie de l'Etat d'une part. D'autre part, le gouvernement veut que les banques jouent aussi un rôle dans cette relance à travers le financement bancaire. Donc, il faut s'attendre certainement à la production de plus de crédits pour l'accompagnement des entreprises publiques et privées », analyse Effina. Des hypothèses optimistes Les hypothèses du projet de la loi de Finances rectificative 2020, prévoit un recul de 5% du PIB et un déficit budgétaire de 7,5%. Pour l'économiste Mohamed Soloh ces prévisions sont plutôt optimistes par rapport à la réalité. «On part sur un taux de croissance largement supérieur par rapport à celui annoncé par divers organismes nationaux et internationaux. A mon avis, ces hypothèses risquent de ne pas se confirmer.», juge t-il avant d'ajouter que le déconfinement ne veut pas dire reprise économique et le coût risque d'être plus cher que celui du confinement. Et pour argumenter ses propos, il avance que l'effet sécheresse conjugué au covid,avec la difficulté de tous les secteurs locomotives de l'économie laissent présager un taux de décroissance encore plus important et un déficit plus fatal. Quid des attentes Pour les différents intervenants, les orientations annoncées sont louables certes, mais le recours à des mesures concrètes de relance seraient encore plus intéressant. Si pour Effina, la forme actuelle manque d'innovation, surtout que nous sommes dans un contexte particulier où les anciennes théories économiques et règles sont dépassées et n'ont aucune valeur, il insiste par ailleurs sur le volet fiscal, et des instruments efficaces à mobiliser qui peuvent inciter par exemple les différents acteurs à investir l'argent « dormant » dans le circuit économique. Il faudra aussi mettre en place des mesures exceptionnelles, comme le précise Mohamed Soloh, pour asseoir un climat de confiance. Il propose par exemple de recourir à une prescription anticipée pour encourager l'investissement, l'achat de biens, la mobilisation de l'épargne hors bancaire... De son côté, l'économiste Soloh est catégorique : « La mise en quarantaine de la ville de Safi, est un signe d'incertitude. Au-delà de l'effet économique, il y a un manque de visibilité sur la mobilité. Et cela pèse non seulement sur les ménages mais aussi sur les acteurs économiques ». Faut –il s'attendre à de fortes mesures fiscales pour la relance ? « Non », rétorque le fiscaliste Mehdi Fakir. «La loi de finances rectificative est là pour rectifier le tir. C'est sur la base des nouvelles hypothèses qu'on va maitriser le budget de l'année sinon on va être à l'écart. Donc, il ne faut pas s'attendre à des réformes fiscales. Mais on pourra envisager des mesures temporaires telles qu'une baisse de la TVA, des droits d'enregistrement, de la TPI. Pour le cas e l'IS et l'IR c'est très compliqué vu l'impact que cela aura sur les résultats des entreprises à moins qu'on imagine des décotes et des dégrèvements », conclut Fakir.