Le mardi 2 avril 2014, le ministre de l'Industrie, du Commerce et de l'Economie numérique, a présenté à Casablanca, devant Sa Majesté le Roi, le plan pour l'accélération industrielle 2014-2020. Détaillé, ce plan prévoit la création à terme de 500.000 emplois, avec une enveloppe de 20 milliards de dirhams. Il décline aussi une vision nouvelle de développement qui complète le Plan Emergence en proposant l'implantation d'écosystèmes. Moulay Hafid Elalamy nous explique les tenants et aboutissants de cette nouvelle vision. Finances News Hebdo : Monsieur le ministre, l'un des événements majeurs que notre pays a vécus cette année est constitué par la présentation que vous avez faite, le 2 avril dernier à Casablanca devant SM le Roi, du Plan pour l'accélération industrielle 2014-2020. Quelle autre portée lui donnez-vous, outre l'objectif final assigné d'augmenter la croissance et de créer des emplois ? Moulay Hafid Elalamy : Favoriser la création d'emploi et stimuler la croissance du secteur industriel sont les objectifs premiers de la nouvelle stratégie industrielle. L'objectif fixé, d'ici 2020, est de créer 500.000 emplois industriels et de porter la part de l'industrie dans le PIB de 14% à 23%. Au-delà de ces objectifs chiffrés, c'est une industrie moderne, forte et compétitive que nous voulons construire. Pour cela, notre effort se focalise sur l'ensemble des filières du secteur. Nous voulons en assurer un développement intégré et harmonisé. Nous nous conformons en cela aux hautes Directives de SM le Roi qui appelle dans le Discours du Trône, du 30 juillet 2013, à «diversifier et élargir notre tissu industriel». Nous nous y employons avec détermination, et l'accompagnement prévu par le Plan pour l'accélération industrielle ne se limite pas à certaines activités au détriment d'autres, mais profite à l'ensemble des filières de l'industrie. Nous avons, à cet effet, conclu lors de la cérémonie de lancement du Plan pour l'accélération industrielle, des conventions avec les fédérations professionnelles. Elles visent à déployer, pour chaque secteur, des actions ciblées et adaptées aux besoins qu'il exprime pour favoriser, in fine, un développement équitable et harmonieux du tissu productif. F.N.H. : On a tout de suite voulu voir en ce Plan industriel à la fois la continuité et la rupture avec Emergence. Cela supposerait-il qu'Emergence n'a pas débouché sur les résultats escomptés qui sont, entre autres, la création d'une industrie nationale compétitive ? M. H. E. : Il ne peut y avoir de rupture avec ce qui a été accompli. La nouvelle stratégie industrielle a été lancée dans le but de renforcer les acquis en place. Des acquis conséquents concrétisés par le déploiement d'une feuille de route ciblée. Emergence a, en effet, permis de franchir des pas importants : 110.000 emplois ont été créés dans l'industrie entre 2008 et 2012, les exportations du secteur se sont accrues de 22%, des leaders industriels mondiaux se sont implantés, accélérant en cela la cadence des investissements directs étrangers qui ont connu une évolution atteignant un taux moyen annuel de 23% depuis 2009... Néanmoins, et il faut l'avouer, certaines lacunes persistent toujours. Elles handicapent encore la pleine expansion du secteur. On les perçoit, particulièrement, au niveau de l'atomisation du secteur industriel, de la fragilité persistante de la compétitivité, au niveau de la qualification des ressources humaines à améliorer, au niveau des infrastructures industrielles non encore exploitées de manière optimale et aussi au niveau du développement disparate de nos régions, dont les potentialités ne sont pas encore pleinement mises à profit. La nouvelle stratégie industrielle vient justement apporter des réponses à ces faiblesses. Elle se veut aussi faire fructifier les succès enregistrés et imprimer un rythme plus soutenu à la croissance du secteur industriel. F.N.H. : Pourriez-vous expliquer pour nos lecteurs le choix des écosystèmes et nous décliner votre vision sur leur déploiement ? M. H. E. : L'objectif du Plan pour l'accélération industrielle est de réussir l'accélération de l'industrialisation par un développement axé sur les écosystèmes. Ce concept, qui constitue la pierre angulaire de la stratégie, est un outil de modernisation et d'intégration des secteurs. C'est un procédé qui a donné de bons résultats dans plusieurs pays. Il n'y a donc pas de raison que cette nouvelle conception du développement ne fonctionne pas chez nous. Le principe de l'écosystème consiste à favoriser l'établissement d'alliances stratégiques entre grandes entreprises et PME, chacun d'eux devant tirer bénéfice de cette collaboration. Cette collaboration d'un nouveau genre au Maroc permettra de démultiplier l'investissement et de monter en valeur dans les filières. L'idée est de fédérer des groupes d'entreprises autour de locomotives porteuses de projets d'écosystèmes. Ces entreprises locomotives peuvent être des leaders nationaux industriels, des groupements professionnels ou encore des investisseurs étrangers. Des objectifs précis seront fixés, dans le cadre de contrats de performance conclus entre les porteurs de projets d'écosystèmes et l'Etat, en termes, notamment de création d'emplois, de valeur ajoutée et de capacités d'exportation. En contrepartie, l'Etat s'engage à apporter des soutiens appropriés et spécifiques à chaque activité en termes, notamment, de mobilisation de foncier, de formation des ressources ou encore d'apports de financements. F.N.H. : Vous avez confirmé également que le premier cluster sera constitué par le groupe OCP qui en sera le pionnier dans la région de Benguérir et Jorf Lasfar. Comment cette opération se réalisera-t-elle et fera-t-elle des émules ? Un écosystème du secteur textile sera-t-il mis en place ? M. H. E. : Trois écosystèmes seront créés autour de l'OCP. Le premier sera composé de PME spécialisées dans les équipements miniers qui devraient évoluer autour du groupe dans la région de Khouribga et sera dédié aux activités d'ingénierie, de fabrication, d'assemblage et de services. A terme, ce hub constituerait une plateforme d'exportation, notamment vers les pays d'Afrique. Le 2ème écosystème intégré créé par l'OCP sera développé à Jorf Lasfar et concernera le secteur de la chimie, et plus particulièrement les activités de valorisation de produits associés et des phosphates de niches. Cet écosystème visera également la consolidation des activités de construction et de maintenance. Enfin, un 3ème écosystème du savoir, de l'innovation et de l'entreprenariat sera développé dans la région de Benguerir regroupant l'université, des centres R&D et des incubateurs et portant également sur les activités IT et les énergies renouvelables. La restructuration du secteur du textile en écosystème est également en cours. Cette réorganisation se fera autour de marques marocaines et concernera 70 locomotives nationales, avec à la clé, la création de 100.000 emplois à horizon 2020. F.N.H. : Comment pensez-vous résoudre le problème de ce «serpent de mer» qui s'appelle le foncier et qui, apparemment, freine à tort ou à raison les initiatives d'opérateurs industriels, existants ou potentiels ? M. H. E. : Un levier important activé par le Plan pour l'accélération industrielle 2014-2020 est celui de la mobilisation du foncier industriel. Le diagnostic mené par mon département conclut, en effet, à une insuffisance d'exploitation des parcs industriels, avec une forte demande qui s'exprime. La stratégie prévoit, pour pallier cette carence, de mobiliser 1.000 ha pour la mise en place de parcs industriels locatifs intégrés (PILI). C'est une nouvelle offre de parcs industriels plus accessible et plus compétitive, destinée à contrecarrer la spéculation sur les terrains et à atteindre des taux de valorisation élevés, tout en soulageant la trésorerie des entreprises. Cette offre vient s'ajouter à celle des zones industrielles existantes qui seront réhabilitées. Chaque nouveau parc intégrera un guichet unique pour l'obtention des autorisations administratives, à l'instar de TFZ, un bassin d'emplois de proximité, des services ad hoc et un dispositif de formation. Les PILI seront créés sur des terrains collectifs ou domaniaux, disponibles et mobilisables, à proximité des villes et présentant une bonne connectivité aux différents types de réseaux en vue de réduire le coût de l'hors site. Ils seront réalisés dans le cadre de partenariat avec des aménageurs/développeurs qui en assureront l'aménagement, le développement, la promotion, la commercialisation et la gestion. Parallèlement à ces parcs industriels locatifs, les acteurs locaux seront accompagnés dans la création des zones d'activité économique pour assurer un développement équilibré au niveau régional. F.N.H. : Dans votre intervention à la Chambre française d'industrie et de commerce de Casablanca, vous avez fait un plaidoyer «pro domo» du modèle de développement de la Chine, en avance dans différents domaines et que vous prenez comme exemple. Quel sentiment le plan industriel chinois vous inspire-t-il ? M. H. E. : La Chine a pu réaliser, grâce à sa politique volontariste, un taux de croissance à deux chiffres sur plusieurs années. Sa contribution dans le commerce mondial a connu une évolution remarquable. Tout ceci est une conséquence logique d'une forte compétitivité des entreprises chinoises. Cette compétitivité provient de l'existence d'une forte base industrielle, une orientation vers les technologies et les secteurs à forte valeur ajoutée et l'existence d'une infrastructure industrielle de qualité. Outre le faible coût du travail qui évolue cependant à la hausse, le développement industriel chinois se fonde sur l'investissement, qui est le moteur majeur de la croissance chinoise. Parmi les principales actions menées par le gouvernement pour promouvoir l'IDE en Chine : la création des zones économiques spécifiques; le développement d'une infrastructure de qualité et la réduction du coût de la logistique ; l'investissement dans le capital humain (éducation et formation) ainsi que la recherche et développement ; le développement d'une base industrielle diversifiée, forte et intégrée. L'accumulation de tous ces éléments favorise l'émergence d'une économie forte et compétitive qui est en mesure de gagner plus de part de marché à l'exportation. Faut-il rappeler encore que le modèle économique chinois ne se résume pas en un modèle orienté vers l'exportation. Il est, de surcroît, une résultante d'une forte demande interne. Au Maroc, nous nous sommes engagés à élargir la base industrielle de notre pays, dans le cadre d'une politique volontariste, en faisant passer l'industrie à l'étape supérieure en créant des écosystèmes performants. La réponse stratégique de l'Etat consiste à stimuler la capacité des opérateurs marocains à fort potentiel de croissance, afin de positionner le Royaume comme une destination industrielle de choix au niveau régional et international, et à accompagner l'expansion de ces opérateurs sur des marchés émergents, comme le marché africain. F.N.H. : Vous avez reçu il y a quelques semaines de hauts responsables chinois, industriels entre autres, qui ont clairement manifesté leur vif intérêt pour le Maroc et ses potentialités. Quelle suite pourrait être donnée à ces rencontres ? M. H. E. : J'ai effectivement reçu, récemment, des responsables institutionnels ainsi que des industriels chinois qui ont confirmé que la Chine prévoit des délocalisations de productions industrielles à l'étranger. Le Maroc, compte tenu de son positionnement stratégique et de ses multiples avantages comparatifs, est sérieusement lorgné par les investisseurs chinois. A cet égard, et depuis l'annonce du Plan pour l'accélération industrielle 2014-2020, un travail structuré est mené pour concrétiser l'ambition du Maroc d'attirer une partie de ces délocalisations. Nous nous sommes ainsi attelés à encourager les entreprises chinoises à considérer la place Maroc dans leurs projets d'investissements, tout en mettant en exergue les atouts du Maroc, en tant que Hub régional technologique, financier, de production et d'exportation. Des secteurs tels que l'automobile, le textile, l'électroménager et l'aéronautique, peuvent constituer des opportunités indéniables pour l'établissement de partenariats fructueux et mutuellement avantageux. F.N.H. : Le montant d'investissement pour l'accélération du plan industriel a été arrondi à 20 milliards de dirhams. Comment se répartissent les différentes contributions ? Et pensez-vous qu'à l'horizon 2020 un tel montant suffirait à mettre en place une industrie nationale compétitive aux plan régional et mondial ? M. H. E. : Il convient de rappeler, de prime abord, que la mobilisation d'un budget aussi conséquent est une première dans l'histoire de l'industrie marocaine. Le Fonds de développement industriel provient du budget de l'Etat. Il sera créé dans le cadre de la Loi de Finances 2015 et bénéficiera de ressources annuelles se chiffrant à 3 milliards de DH sur la période 2014-2020. Ce Fonds est destiné au financement de l'ensemble des actions de la stratégie. Il constitue une opportunité unique pour concrétiser nos ambitions de construire une industrie forte, compétitive, capable de créer de la richesse et des emplois. Notre objectif est de développer des écosystèmes performants par secteur et d'accompagner les acteurs dans leur effort de restructuration compétitive et dans leur quête d'internationalisation. Notre ambition est que ce montant soit écoulé entièrement dans la concrétisation de ces objectifs. Bien évidemment, si ce budget s'avère insuffisant, nous nous emploierons à le renforcer.