Le Forum organisé par l'IMRI, en partenariat avec la fondation Hanns Seidel, sur « L'Afrique : quels enjeux pour le Maroc» s'est soldé par un certain nombre de recommandations. Jawad Kerdoudi, président de l'IMRI, nous éclaire sur comment garantir le succès d'un partenariat entre le Maroc et l'Afrique. Finances News Hebdo : Comme signalé par les différents intervenants lors du Forum sur l'Afrique organisé récemment par l'IMRI, le continent africain occupe une place de choix dans la stratégie de développement du Maroc. Brièvement, quels sont les principaux enjeux économiques et géostratégiques pour notre économie ? Jawad Kerdoudi : Le Maroc a deux raisons principales de s'intéresser économiquement à l'Afrique subsaharienne. La première est que cette région en pleine croissance constitue un relais de développement, notamment pour les grands groupes marocains. La seconde est la stagnation de l'économie européenne depuis la crise de 2008, d'où la nécessité de diversifier nos débouchés. Sur le plan géostratégique, il est important que le Maroc renforce sa présence en Afrique subsaharienne, du fait de sa sortie de l'Union africaine en 1984, et pour défendre la cause du Sahara marocain. F.N.H. : En dépit des efforts déployés par les autorités marocaines, la part du Maroc dans les échanges commerciaux du continent africain reste minime par rapport à d'autres pays. Pourquoi à votre avis ? J. K. : Le Maroc ne s'est intéressé sérieusement à l'Afrique subsaharienne que depuis une dizaine d'années. Il faut beaucoup de temps pour développer les échanges commerciaux et les investissements. D'autre part, l'offre exportable du Maroc est limitée et ses moyens financiers également. F.N.H. : Le continent africain souffre de plusieurs maux qui vont des conflits armés, au terrorisme, à la pauvreté... jusqu'à l'instabilité politique. Quelles sont les raisons sous-jacentes à ces différents problèmes ? J. K. : Les causes des fléaux que vous mentionnez sont dues aux frontières artificielles issues de la colonisation, à la mauvaise gouvernance et à la corruption, aux rivalités ethniques et religieuses qui créent une grande instabilité politique. Il faut ajouter à cela le déficit des infrastructures qui fait perdre à l'Afrique 2 points de croissance, selon l'ONU. F.N.H. : Quelles sont les recommandations issues du séminaire pour parer à ces différents problèmes et garantir un partenariat gagnant-gagnant entre le Maroc et l'Afrique ? J. K. : Les recommandations du forum concernent en premier lieu les problèmes intérieurs de l'Afrique subsaharienne. Il s'agit tout d'abord d'instaurer la stabilité politique, par une démocratisation progressive des régimes politiques, la promotion de l'Etat de droit, le respect des droits de l'Homme notamment la stricte égalité entre hommes et femmes, et la condamnation de tout coup d'Etat, qu'il soit civil ou militaire. Les gouvernements africains doivent donner la priorité aux défis sociaux, en premier lieu l'éducation mais également la santé et le logement social. Ils doivent porter tous leurs efforts sur le développement économique pour éradiquer la pauvreté qui frappe encore une large partie de la population. Ce développement doit être inclusif et durable, et éviter la surexploitation des matières premières. Ils doivent améliorer la gouvernance aussi bien des institutions de l'Etat que du secteur privé, et encourager l'entreprenariat et le partenariat public-privé. Sur le plan extérieur, le forum souligne la nécessité de coopération active entre Etats africains pour lutter efficacement contre le terrorisme et les trafics en tous genres, notamment des armes et des drogues. Il encourage l'édification d'unions régionales en Afrique, et déplore l'échec de l'intégration maghrébine qu'il faut remettre constamment à l'ordre du jour, notamment par des initiatives de la société civile et des milieux économiques. Les participants au forum soulignent la nécessité de la coopération et de la solidarité interafricaine, en privilégiant la voie du co-développement et du transfert des technologies. Ils appellent les pays développés et les organisations économiques internationales à intensifier les efforts vis-à-vis de l'Afrique qui occupera dans le futur une grande place dans l'avenir du monde. Le Forum recommande la mise en oeuvre d'une nouvelle politique d'immigration en vue du respect des droits des immigrés et de l'intégration harmonieuse des immigrés dans le pays d'accueil. Le forum souligne également la nécessité d'unifier le droit des affaires en Afrique, par l'extension du droit OHADA qui est en vigueur actuellement dans dix-sept pays africains. Pour ce qui est du Maroc, le forum salue l'accélération de la politique africaine du Maroc initiée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI grâce à ses multiples voyages en Afrique, chaque fois accompagné d'une importante task-force marocaine. Le forum s'est dit fier de l'importance des réalisations des entreprises marocaines en Afrique, notamment au niveau des investissements, et du dynamisme reconnu de Maroc Export dans cette région. Les investissements du Maroc en Afrique doivent se faire dans un esprit de codéveloppement gagnant-gagnant, et dans le respect des coutumes et usages locaux. Aussi, le Maroc doit-il veiller à la formation des cadres africains sur le plan général par l'accueil des étudiants pour pourvoir aux besoins des entreprises marocaines en Afrique. Le Forum recommande de concentrer les efforts du Royaume sur l'Afrique de l'Ouest et du Centre, quitte à étudier au fur et à mesure les opportunités dans les autres pays africains, notamment anglophones. Chaque fois que cela est possible, le Maroc doit investir par ses propres moyens, mais cela ne l'empêchera pas de profiter de l'expertise des pays étrangers dans le cadre de joint-venture. Le forum recommande l'utilisation plus rationnelle des Résidents marocains en Afrique (RMA) pour profiter de leurs relations et de leur expérience des réalités locales. Enfin, le forum propose la création d'un Comité de réflexion de la société civile maroco-africaine pour étudier la relance de l'Union maghrébine, notamment la réouverture de la frontière terrestre algéro-marocaine, et pour le retour du Maroc au sein de l'Union africaine dont il est l'un des principaux fondateurs. F.N.H. : Le continent suscite aujourd'hui la convoitise d'autres Etats plus puissants que le Maroc. La stratégie telle qu'adoptée par notre pays, rythmée par la récente visite du Souverain, est-elle à même de lui permettre d'aller de l'avant dans son partenariat avec l'Afrique ? J. K. : Le Maroc a des atouts que n'ont pas les autres pays étrangers : la proximité géographique et spirituelle, son appartenance à l'Afrique, et l'expertise reconnue dans certains domaines. C'est pourquoi je suis confiant dans le développement des relations économiques entre le Maroc et l'Afrique.