Abdeslam Seddiki, ministre de l'Emploi et des Affaires sociales, fait un bilan plutôt positif des réalisa-tions durant les deux dernières années et annonce d'importantes réformes à venir. Finances News Hebdo : Vous êtes depuis quelques mois à la tête d'un ministère hautement sensible à forte connotation socioéconomique. Quelles sont les grandes lignes de votre stratégie de travail ainsi que vos priorités pour l'année en cours ? Abdeslam Seddiki : Le département de l'Emploi et des Affaires sociales est au coeur des préoccupations d'un grand nombre de citoyens (demandeurs d'emploi, salariés, retraités, syndicalistes, employeurs). Compte tenu de cette réalité, le ministère de par la nature de ses missions, a éla-boré un plan d'action stratégique inspiré des principes de la Constitution et du programme gouvernemental 2012-2016. Les grandes lignes de ce plan stratégique sont articulées autour de l'amélioration de l'environnement du travail et du renforcement du contrôle de l'application du droit social. Parallèlement à cela, le ministère a inscrit le renforcement des capacités d'observation et d'analyse du marché du travail parmi les actions prioritaires de son plan d'action sectoriel en matière d'emploi à l'horizon 2016. Ainsi, la création de l'observatoire de l'emploi devra contribuer à l'amélioration de la connaissance du marché du travail à tra-vers la réalisation d'un programme analytique de ce marché à moyen et long terme, incluant des études prospectives et des analyses thématiques selon une approche holistique et plurisectorielle du marché de l'emploi. Afin d'assurer une articulation entre la politique de l'emploi et les stratégies macroéconomiques et sectorielles, le ministère a engagé un processus de concertation avec les partenaires écono-miques et sociaux en vue d'élaborer une vision globale, inté-grée et cohérente, de la prise en charge de la problématique de l'emploi dans le cadre d'une véritable stratégie nationale de l'emploi ( SNE). Nous sommes maintenant dans une phase avancée dans ce processus, celle du diagnostic a été achevée et une note d'orientation a été établie mettant l'accent sur les principaux noeuds mis en évidence par l'étude du diagnostic, ainsi que les pistes prioritaires de l'action publique. La suite du processus de formulation de cette SNE fournira l'opportunité de traduire ces pistes en un plan d'actions détaillées pour la lutte contre le chômage. Par ailleurs et en ce qui concerne la protection sociale, le ministère a inscrit des objectifs stratégiques, à savoir le développement de la sécurité sociale, la réforme de la mutualité, la poursuite du processus de réforme du système de retraite, la continuité des actions visant l'amélioration et la généralisation de la couverture médicale de base et la mise en place d'une stratégie nationale de protection sociale. F.N.H. : La Fête du travail est aussi l'heure du bilan en termes de réalisations. Quelles sont les actions-phares entreprises durant les trois der-nières années ? A. S. : Eu égard à l'importance capitale que revêt la protec-tion sociale des travailleurs tant au niveau socioéconomique que politique, surtout en période de crise, et de l'ampleur des défis auxquels le pays est confronté, plusieurs actions ont été menées ces trois dernières années. Ainsi, les actions-phares entreprises peuvent être résumées comme suit : l'augmentation de la pension minimale de base à 1.000 DH par mois ; l'adoption d'un projet permet-tant aux assurés de la CNSS âgés de 60 ans et qui n'ont pas cumulé 3.240 jours de cotisations de se faire rembour-ser leurs cotisations majorées des intérêts de leur dépôt à la CDG ; l'adoption du projet de l'indemnité pour perte d'emploi par le Conseil d'administration de la CNSS qui est de formation tripartite : syndicat, patronat et administration et par le Conseil de gouvernement ; l'adoption du projet relatif à l'extension du panier de soins de santé aux soins dentaires et l'extension du régime de sécurité sociale aux canotiers et aux professionnels du transport porteurs de la carte professionnelle. F.N.H. : Dans sa note d'information sur la situa-tion du marché du travail au premier trimestre de 2014, le HCP vient de révéler un accroissement de 0,8 point du taux de chômage passant de 9,4% à 10,2%. A quoi est due cette hausse ? A. S. : Le fléau du chômage est considéré parmi les problé-matiques sociales et économiques dont souffre notre pays. Il est lié à plusieurs facteurs d'ordre démographiques, écono-miques et sociaux. Le facteur démographique est reflété par le taux élevé de la croissance démographique qu'a connue le Maroc au cours des années soixante-dix du siècle dernier qui a conduit à un doublement de la population en âge de travailler (15-59 ans), passant de 10,5 millions en 1982 à 20,8 millions en 2012. Cette hausse de la population poten-tiellement active a engendré une pression accrue sur le marché du travail. Le facteur économique est lié au rythme d'évolution et au contenu en emplois de la croissance éco-nomique. La réduction du chômage reste tributaire d'une croissance économique soutenue et riche en emplois de qualité et en quantité suffisante pour absorber les flux de chômeurs, notamment les primo-demandeurs d'emploi. En outre, l'inadéquation entre les profils des lauréats du système d'éducation et de formation et les besoins des employeurs en compétences est considérée comme l'une des principales causes du chômage dans notre pays, en particulier parmi les diplômés du niveau supérieur. Néanmoins, le taux de chômage a connu une baisse signifi-cative depuis la fin des années quatre-vingt-dix, passant de 13,4 % en 2000 à 9,2% en 2013, mais il reste relativement élevé dans les villes et touche notamment les jeunes et les diplômés. Selon les derniers chiffres publiés par le Haut commissariat au plan, la population en chômage est estimée à 1.191.000 chômeurs au premier trimestre de 2014, soit 114.000 chô-meurs supplémentaires (74.000 dans les villes et 40.000 dans les zones rurales). Ce volume correspond à un taux de chômage de 10,2%, contre 9,4% une année auparavant. Il est généralement plus élevé durant cette période de l'année par rapport aux autres trimestres de l'année (évolution tendancielle). La hausse du taux de chômage s'explique par la conjugai-son de plusieurs facteurs conjoncturels, notamment par la croissance du volume de la population active (1,8%) due à l'entrée au marché du travail de nouvelles personnes d'âge actif, la perte conséquente de l'emploi dans le secteur du BTP (-12.000 emplois) pour la troisième année, en raison du ralentissement enregistré des activités du secteur et d'une perte importante de l'emploi dans les industries (-45.000 emplois y compris l'artisanat) en raison notamment des pertes de compétitivité des entreprises marocaines. En dépit de la conjoncture défavorable de l'économie natio-nale, certains secteurs ont pu néanmoins créer des emplois, notamment les services et l'agriculture, le domaine forestier et la pêche avec respectivement 93.000 et 53.000 postes d'emploi. F.N.H. : Les centrales syndicales dénoncent l'absence de volonté politique visant à accélérer le dialogue social. Comment comptez-vous réta-blir le climat de confiance avec les partenaires sociaux ? Les négociations qui ont repris en avril ont-elles donné des résultats ? A. S. : Depuis la constitution du gouvernement dans le cadre de la nouvelle Constitution, il y a eu des concerta-tions sociales avec les organisations professionnelles des employeurs et des travailleurs en 2012. Le dialogue social n'a jamais été suspendu entre le gouver-nement et les partenaires socioéconomiques. L'année 2013 a été marquée par la dynamisation des conseils nationaux tripartites prévus par le Code du travail. A cet effet, le conseil de la négociation collective, le conseil de la médecine du travail et de prévention des risques professionnels, la commission nationale tripartite de suivi de l'emploi temporaire, la commission nationale d'enquête et de conciliation, ont tenu leurs réunions au cours de cette période pour traiter des questions qui relèvent de leurs attributions. Le dialogue social est pour nous une préoccupation per-manente, un vécu quotidien de notre département. Nos délégués régionaux sont tous les jours en interaction avec les partenaires sociaux au niveau des unités de production : médiation, conciliation pour la sensibilisation et la résolution des conflits de travail. Il faut souligner que la plupart des engagements contenus dans l'Accord social tripartite du 26 avril 2011 ont été hono-rés. Le reste est en cours d'adoption, et comme vous dites, les négociations ont repris en avril 2014. Le gouvernement a relancé le dialogue social sur la base des mémorandums et des revendications présentées par le bloc syndical UMT, CDT et FDT, de l'UGTM et de l'UNTM. Certaines ont été satisfaites, le dialogue sera poursuivi en vue d'examiner le reste des revendications. Nous espérons que cette démarche qui est à mon avis efficace et prometteuse, réussisse. F.N.H. : Qu'en est-il de la liberté syndicale qui, mal-gré le renforcement de l'arsenal juridique, continue d'être bafouée ? A. S. : Dans notre pays, le statut de la liberté syndicale a connu un grand renforcement dans le cadre du Code du travail. La discrimination syndicale, l'entrave à l'exercice du droit syndical, le licenciement pour raisons syndicales sont incriminés et sont sévèrement sanctionnés. Toutefois, il y a des divergences entre les employeurs et les syndicats sur l'exercice de la liberté syndicale. Divergences qui peuvent être dépassées par le dialogue social. F.N.H. : Le gouvernement, et particulièrement votre ministère, est attendu sur plusieurs sujets urgents, à savoir le projet de loi sur la grève qui peine à voir le jour, la mise en oeuvre de l'indemnité pour perte d'emploi ainsi que la généralisation de la protection sociale. Où en êtes-vous actuellement ? A. S. : S'agissant du projet de loi sur la grève, il convient de rappeler qu'il fait partie du plan législatif du gouvernement et il doit être adopté dans le cadre de la législation actuelle. Ce projet comprend les principaux éléments qu'une régle-mentation de l'exercice du droit de grève devrait contenir dont notamment la définition de la grève, la décision du recours à la grève, le préavis, les droits et les obligations des parties au moment de la grève, le service minimum à prendre en considération et l'interdiction de la grève dans les services essentiels. En ce qui concerne la mise en oeuvre de l'indemnité pour perte d'emploi (IPE), après l'adoption du projet par le Conseil d'administration de la CNSS, un projet de loi relatif à l'intégration de l'IPE au régime de sécurité sociale a été adopté par le Conseil de gouvernement le 17 avril 2014. Actuellement, il est soumis à la Chambre des conseillers pour examen et approbation. S'agissant de la généralisation de la protection sociale, il convient de préciser que le gouvernement se penche actuellement sur l'examen d'un ensemble de projets visant l'extension de la protection sociale par l'ouverture d'importants chantiers de réforme des régimes de couverture sociale, portant notamment sur l'institution de régimes de couverture médicale au profit des étudiants de l'enseignement supérieur (public et privé) et des indépendants et sur la réforme des régimes de retraite, de la mutualité et de la législation relative à la réparation des accidents du travail. Ces chantiers importants s'inscrivent dans le cadre d'une stratégie nationale de protection sociale à moyen et long terme, en vue d'apporter les réponses adé-quates et surmonter les difficultés liées à l'amélioration de l'efficacité, à l'accroissement et l'élargissement des champs de couverture sociale et à la viabilité financière et la pérenni-sation des systèmes de protection sociale. Plusieurs autres projets sont en cours visant l'extension et la généralisation de la protection sociale. Enfin, il est envisagé d'élaborer une stratégie nationale de la protection sociale à moyen et à long terme, en vue d'apporter une réponse globale à toute la problématique de l'élargissement des champs de couverture personnelle et matérielle de la protection sociale.