(Ph. Akil Macao) la capacité des jeunes à développer leur qualification Face aux défis lancés par les mutations du contexte social, technique et économique, en lien notamment avec la mondialisation et l'évolution démographique, un consensus s'est établi sur la nécessité de renforcer la capacité des jeunes diplômés à développer leur qualification. Même si le taux de chômage s'est stabilisé aux alentours de 9%, il faut bien admettre que l'inadéquation formation/emploi complique un peu la donne. Cela dit, l'employabilité des jeunes semble retrouver une certaine vigueur, notamment dans les nouveaux secteurs dits «métiers mondiaux du Maroc». Dans l'entretien qui suit, le ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle fait un large tour d'horizon du marché du travail au Maroc et tente d'en expliquer les contraintes et les enjeux à long terme. De nombreuses mesures de régulation sont envisagées pour impulser l'employabilité, limiter l'ampleur du chômage. Pas seulement, le ministre explique le comment et le pourquoi du projet d'indemnité pour perte d'emploi; détaille les nombreux aspects liés au dialogue social, et rappelle les scénarios envisagés pour la réforme des retraites. Al Bayane : Ce 1er mai, le monde entier fête la journée du travail. Quel bilan faites-vous de la question de l'emploi au Maroc ? Abdelouahed Souhaïl : D'abord, il faut rappeler que l'enquête nationale sur l'emploi réalisée par le Haut Commissariat au Plan a révélé une bonne tenue du marché du travail en termes de créations d'emploi et de baisse du chômage durant la décennie 2000. En effet, le taux de chômage a connu une tendance baissière historique, passant de 13,4% en 2000 à 9% en 2012. Cette baisse a bénéficié à l'ensemble des actifs et plus particulièrement aux titulaires d'un diplôme, dont le taux de chômage est passé de 27,4% en 2000 à 16,4% en 2012. Malgré cette baisse, l'évolution du taux de chômage au niveau national, cache des disparités selon le genre, le milieu de résidence et le niveau de diplôme. La baisse du chômage constatée durant cette période a été accompagnée d'une évolution positive des créations nettes d'emplois. Ainsi, le volume global de l'emploi, mesuré par la population active occupée âgée de 15 ans et plus, est passé de 8,8 millions en 2000 à 10,5 millions en 2012, dont 26,1% sont des femmes, soit une création nette de 139.000 emplois en moyenne par an au cours de cette période. Le rythme de création d'emplois relativement important durant les dernières années est imputé en grande partie au soutien de la croissance économique, aux grands chantiers lancés dans le cadre des plans sectoriels et aux programmes de promotion de l'emploi, en particulier le programme « Idmaj » qui a contribué à plus de 350.000 insertions, et le programme «Taehil» qui a permis d'améliorer l'employabilité de près de 90.000 demandeurs d'emploi diplômés de la formation professionnelle et de l'enseignement supérieur. En 2012, malgré une conjoncture économique nationale défavorable en raison notamment des effets de la crise économique mondiale, le taux de chômage a quasiment stagné autour de 9 % et les créations d'emploi rémunéré ont atteint 127.000 emplois principalement dans le secteur tertiaire (près de 111.000 emplois). En revanche, l'emploi non rémunéré a enregistré une baisse de 126.000 emplois en particulier dans le secteur primaire (quelque 108.000 emplois). Depuis longtemps, le chômage des jeunes au Maroc, notamment les diplômés, constitue un défi majeur. Quelles sont les pistes envisagées pour ramener le taux de chômage des jeunes à des proportions acceptables ? Il faut savoir que le problème des chômeurs diplômés réside essentiellement dans l'inadéquation de la formation avec les besoins du marché du travail et dans le fait qu'ils restent cantonnés dans leur formation initiale, raisonnent en terme de diplôme et non de métier, négligent l'importance d'une première expérience, ne disposent que rarement d'un projet professionnel et, par conséquent, dirigent leur recherche d'emploi vers le secteur public. Les études prospectives menées par l'ANAPEC dans les différentes régions du Royaume révèlent un besoin en compétences évalué à plus de 131.750 emplois à fin 2014, dans des secteurs porteurs comme l'Offshoring, les nouvelles technologies, le Tourisme, l'Hôtellerie, le BTP, l'Industrie, les Services, l'Aéronautique et l'Automobile. Dans le cadre des efforts déployés en matière de promotion de l'emploi, le programme «Taehil» contribue au rapprochement de l'offre de formation aux besoins du marché du travail. Il vise, notamment, à améliorer l'employabilité des demandeurs d'emploi par l'acquisition des compétences professionnelles permettant aux chercheurs d'emploi, à profil peu adapté, d'acquérir les compétences requises pour occuper des emplois identifiés (Formation Contractualisée pour l'Emploi), et facilitant l'insertion des jeunes diplômés, en difficulté d'insertion, par l'adaptation de leurs profils aux besoins du marché de l'emploi (Formation qualifiante ou de reconversion). Les orientations gouvernementales et les objectifs arrêtés dans le cadre du plan sectoriel 2012-2016, stipulent que les principales pistes nécessaire pour ramener le taux de chômage des jeunes à des proportions acceptables ne doivent pas seulement reposer sur le soutien de la croissance économique et de l'investissement, mais aussi sur : (1) la poursuite des programmes de promotion de l'emploi actuels en les consolidant sur la base des résultats de leur évaluation, (2) l'élaboration de nouvelles mesures (3) l'amélioration de la gouvernance du marché du travail ainsi que (4) le renforcement du cadre institutionnel de la politique de promotion d'emploi. Par ailleurs, pour faire face à la problématique de l'inadéquation de la formation à l'emploi, les efforts doivent, désormais, être déployés dans le sens de recherche de plus de qualité que de quantité en : - Améliorant la pertinence des formations des nouveaux entrants sur le marché du travail par la révision des modules d'enseignement et de formation, des programmes et des méthodes pédagogiques en concertation avec les professionnels et les opérateurs économiques. Ces programmes devront, être basés sur, aussi bien, le développement des compétences que la transmission des connaissances ; - Promouvant l'esprit d'analyse, le sens de la responsabilité et l'esprit d'entreprenariat depuis le bas âge ; - Etablissant un système performant d'adaptation des formations aux besoins du marché, privilégiant des filières et des secteurs de pointe et optant pour un mode de gestion déléguée aux professionnels ou mixte ; - Mettant en place un dispositif de veille (Observatoire) qui assure le suivi de l'évolution des métiers et des compétences ; - Informant, en amont, les jeunes sur les secteurs porteurs et les métiers de demain ; - Soutenant les efforts d'auto-formation, d'apprentissage sur le tas et de reconnaissance des acquis de l'expérience ; - Instaurant des passerelles entre les systèmes de formation et d'éducation. Vous avez annoncé récemment la mise en place d'un Observatoire de l'Emploi au Maroc. Où- est ce que vous en êtes aujourd'hui ? En effet, compte tenu du caractère stratégique du développement du système d'information sur le marché de l'emploi, le Gouvernement porte un intérêt particulier à la mise en place d'un observatoire national du marché du travail en tant qu'outil fondamental d'aide à la décision dans la formulation, la mise en œuvre et l'évaluation des politiques d'emploi. Le mandat de l'Observatoire National de l'Emploi est d'observer l'évolution dans le temps d'indicateurs sur le marché du travail et de mener des études et des analyses approfondies dans les différents domaines du marché du travail, de manière à : - Mettre à la disposition des pouvoirs publics des éléments chiffrés et des analyses pour l'orientation et le cadrage de la politique de l'emploi; - Mettre à la disposition des intervenants sur le marché du travail des informations pertinentes leur permettant une meilleure connaissance du comportement de l'offre et de la demande de travail; - Recueillir et synthétiser les données statistiques sur les bonnes pratiques internationales dans les domaines de la promotion de l'emploi et des conditions du travail. Pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés, l'Observatoire National de l'Emploi doit se charger notamment de : - L'élaboration et le suivi des indicateurs sur l'évolution du marché du travail. Il s'agit essentiellement d'établir et tenir à jour les informations qui caractérisent le fonctionnement du marché du travail sur les plans national, régional et sectoriel ; - L'établissement des prévisions de la demande du travail pour dégager les tendances prévisibles en matière de besoins en qualifications et en emplois à court moyen et long termes; - L'établissement des projections de la population active pour dégager l'offre potentielle de travail à moyen et long termes ; - Réaliser des travaux d'évaluation des programmes de promotion de l'emploi pour fournir des éléments d'information pour la prise de décision sur l'atteinte des objectifs et les éventuels ajustement nécessaires pour en améliorer l'efficacité ; - La réalisation d'études et d'analyses thématiques du marché du travail, selon les besoins identifiés par les différents partenaires. En fait, l'Observatoire est à la fois un outil d'information, de réflexion et d'aide à la décision. Il ne doit pas être vu comme une nouvelle structure de collecte d'informations sur le marché du travail. Il est avant tout un réseau mettant à contribution plusieurs intervenants touchant à l'information sur le marché du travail. De ce fait, il pourra s'alimenter des données statistiques disponibles, sous forme publiée ou sous celle de fichiers dans les différents départements ministériels et/ou organismes publics. A titre occasionnel, et sans que cette activité n'empiète sur l'utilisation des données existantes, il pourra lancer des opérations de collecte de données à partir d'enquêtes légères. Pour le moment, les services techniques du Ministère ont élaboré une plateforme relative au cadre conceptuel, institutionnel et organisationnel de l'observatoire national de l'emploi. Ce travail s'est basé sur les enseignements tirés du diagnostic du dispositif actuel de production de données statistiques sur le marché du travail et des consultations menées suite à une série de réunions avec les organismes et institutions sous tutelle du Ministre de l'Emploi et de la Formation Professionnelle. La prochaine étape consistera en l'organisation d'une série d'ateliers avec les départements ministériels et les partenaires économiques et sociaux pour la présentation et l'échange de points de vue autour de la plate forme élaborée en vue de l'enrichir et d'aboutir à une vision concertée sur le cadre réglementaire, organisationnel, fonctionnel et financier de l'observatoire. Ensuite, démarreront les négociations avec les services compétents (ministère des Finances et ministère de la Modernisation du secteur public) pour la mise en place de l'Observatoire selon une démarche progressive étant donné l'importance et la complexité de la mission qui lui est dévolue. Selon les syndicats, le dialogue social est en panne. Qu'en pensez-vous ? Je ne le pense pas, 2012 c'est la première année du gouvernement actuel. Quoique cette année n'a pas conclu un dialogue social au sens des accords nationaux tripartites signés en 1996, 2000, 2003 et 2011, elle a connu une forme particulière de dialogue social. Il s'agit des consultations tripartites organisées avec la CGEM et les organisations syndicales les plus représentatives des travailleurs. En outre d'autres institutions du dialogue social ont fonctionné régulièrement. On peut citer à titre d'exemple le Conseil de la Négociation Collective, le Conseil de la Médecine du Travail et la Prévention des Risques, la Commission Nationale Tripartite Spécialisée dans le Travail Temporaire, la Commission Nationale d'Enquête et de Conciliation, les Commissions Locales Chargées du Règlement des Conflits Collectifs et l'action menée par le Conseil Economique et Social. S'agissant des objectifs concrets pour 2013, le gouvernement organisera des consultations avec les partenaires sociaux pour créer des consensus sur des projets à adopter, veillera au fonctionnement régulier des institutions tripartites du dialogue social et encouragera le dialogue social direct entre les employeurs et les travailleurs. La question de l'indemnité pour perte d'emploi tarde toujours à se mettre en place. De quoi s'agit-il au juste ? Au début, il convient de préciser que le projet de l'indemnité pour perte d'emploi revêt d'une grande importance par le gouvernement et les partenaires socio-économiques en vue de renforcer et améliorer notre système national de protection nationale. Pour cette raison, le gouvernement à réitéré son engagement pour la mise en œuvre de ce projet social dans son programme 2012-2016 et notamment dans son plan législatif. Ce projet en cours d'examen par le conseil d'administration de la CNSS, caractérisé par sa composition tripartite, notamment en ce qui concerne le scénario adéquat et les modalités de son financement, nécessite au préalable l'adoption d'une résolution du conseil dans ce sens. Il est important de rappeler que lors de la session d'avril 2011 du dialogue social, le gouvernement s'est engagé à participer financièrement à la mise en place de ce projet. Et par la suite un scénario a été élaboré sur le mode de financement comme suit : - Contribution de l'Etat au démarrage du régime : 250 millions de DH ; - Cotisation patronale: 0,38% du salaire plafonné en vigueur ; - Cotisation salariale : 0,19% du salaire plafonné en vigueur. Dans ce cadre, le comité de gestion et d'étude de la CNSS a formulé, le 3 décembre 2012, le scénario à soumettre au conseil d'administration pour une prise de décision et a recommandé de faire une évaluation après deux années de la mise en œuvre du régime de l'IPE en vue de permettre aux membres du CA de la CNSS de prendre les dispositions nécessaires pour assurer sa pérennité et améliorer le niveau du service offert. Cependant, le conseil d'administration de la CNSS, lors sa réunion du 17 décembre 2012, n'a pas pu adopter la recommandation du comité de gestion et d'étude en raison du manque de visibilité quant aux charges sociales globales à supporter par les employeurs. Le comité de gestion et d'étude s'est réuni une nouvelle fois le 22 mars 2013 pour renouveler son accord sur le scénario déjà proposé et a insisté sur la nécessité de l'adoption de cette recommandation par le Conseil d'administration de la CNSS lors de sa prochaine réunion. La réforme du système des retraites figure parmi les priorités du gouvernement, quels sont les scénarios possibles et viables, selon vous ? Pour la réforme du système de retraite au Maroc, il y a lieu de rappeler que le schéma de la réforme a été validé par la commission nationale chargée de la réforme des régimes de retraite au cours de sa réunion tenue le 30 janvier 2013 sous la présidence du Chef de Gouvernement. Au cours de cette réunion, la commission nationale a examiné le mémorandum de la commission technique qui a été qualifié de «feuille de route pour la réforme des régimes de retraite». Ainsi, deux pôles sont retenus, un pour le public qui regroupera les adhérents du régime civil de la CMR et ceux du Régime collectif d'allocation des retraites (RCAR), et l'autre pour le secteur privé où la Caisse Nationale de Sécurité Sociale continuera à gérer la couverture de base obligatoire par répartition avec un plafond de cotisations fixes, avec la mise en place d'un second pilier assurant une couverture complémentaire. Le mode de financement de ce dernier sera étudié selon deux scénarios, dont le premier consiste dans la mise en place d'une couverture complémentaire obligatoire par répartition qui capitaliserait sur l'expérience de la Caisse interprofessionnelle marocaine des retraites, et le deuxième scénario prévoit des dispositifs facultatifs assortis de mécanismes de gouvernance et de mesures de précaution pour garantir la pérennité du système à long terme. La commission nationale a donné un nouveau mandat à la commission technique pour accélérer la cadence de son action et parachever l'élaboration précise du cadre général de la réforme, Il s'agit en particulier de: - Faire des propositions sur les nouveaux paramètres à introduire pour le fonctionnement des deux pôles public et privé ; - Procéder à une étude permettant une approche précise de l'élargissement de la couverture aux non salariés ; - Mettre en place une vision précise de la gouvernance du nouveau régime des retraites dans ses volets relatifs à l'encadrement, au contrôle et à la gestion et de préparer l'arsenal juridique nécessaire. Ces questions sont actuellement en cours d'étude par les deux sous-commissions issues de la commission technique, dont la première est chargée de faire des propositions pour le pôle public, et la seconde pour le pôle privé. Le Ministère de l'Emploi et de la Formation Professionnelle participe aux travaux des deux sous commissions. En ce qui concerne le pôle privé, la sous commission comprend en plus des représentants de ce Ministère, les représentants de la Direction des Assurances et de la Prévoyance Sociale relavant du Ministère de l'Economie et des Finances, la CNSS, la CIMR et la CGEM. Cette sous commission se penche actuellement sur l'examen des trois axes suivants : - Le renforcement du dispositif législatif de la CNSS visant à améliorer le contrôle pour lutter contre la fraude sociale permettant ainsi l'amélioration du niveau de la couverture et la préservation des droits des assurés; - La révision du cadre institutionnel relatif à la gestion des réserves de sécurité sociale pour garantir la sécurité et un meilleur rendement ; - L'extension de la couverture sociale aux non salariés. La commission nationale chargée de la réforme des régimes de retraite veillera pour sa part à se réunir pour statuer sur les conclusions de la commission technique à chaque fois que celles-ci lui seront soumises.