Le paradoxe du gaz réside dans le fait que, bien que la région dispose de 40% des réserves mondiales en gaz naturel, presque tous les pays souffrent du problème d'approvisionnement pour satisfaire la consommation locale. Mounir Bouaziz, vice-Président de Shell international Moyen-Orient & Afrique du Nord, estime que le Maroc est en retard quant à l'introduction du GNL, mais peut toujours se rattraper. Finances News Hebdo : Tout d'abord, pouvez-vous nous parler de la présence de Shell au Maroc, mais aussi au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA) ? Mounir Bouaziz : Shell est présente au Maroc depuis 1922 à travers les réseaux de distribution. Nous avons également fait, il y a quelques années, de l'exploration offshore et nous suivons de près l'évolution du domaine de l'exploration. Nous espérons, qu'un jour, nous reviendrons pour d'autres projets d'exploration. Shell est parmi les plus grandes multinationales pétrolières. Présente dans tous les continents avec 100.000 employés, elle se situe en deuxième position après Exon. Nous investissons en moyenne, chaque année, 35 Mds de dollars et nous sommes impliqués dans de très grands projets. Dans la région MENA, Shell est présente dans presque tous les pays. Là aussi, nous sommes très impliqués dans des projets d'envergure, notamment au Qatar avec un projet de 19 Mds de dollars relatif à la transformation du gaz naturel en produits distillés (kérosène, gazoline...). Aussi, nous avons récemment remporté l'appel d'offres pour le développement d'un champ de gaz à haute teneur en soufre à Abou Dhabi. L'année 2012 a constitué un tournant dans l'histoire de Shell puisque le groupe a commencé à produire plus de gaz naturel que de pétrole. Cette stratégie tient du fait qu'à long terme, il y aura une croissance plus accrue dans le domaine du gaz naturel que dans le pétrole. D'autant que nous avons une expertise dans le domaine du GNL (gaz naturel liquéfié), puisque nous sommes leader avec 40% de la capacité mondiale de production. Ceci nous permet, bien entendu, d'être plus compétitif que les autres opérateurs dans ce domaine. F. N. H. : Quel regard portez-vous sur le projet d'introduction du GNL au Maroc ? M. B. : L'introduction du GNL est aujourd'hui un défi majeur dans la région et qui suscite le débat. Il faut dire qu'aujourd'hui, nous sommes face au paradoxe du gaz naturel, puisque malgré que la région compte environ 40% des réserves mondiales, tous les pays souffrent du problème d'approvisionnement pour satisfaire la consommation locale, mise à part l'Algérie et le Qatar. L'enjeu est donc de taille. Actuellement, seuls le Koweit et Dubaï ont réellement commencé à utiliser le GNL, sachant que le gaz naturel est le moyen le plus sûr pour sécuriser l'approvisionnement dans le futur. Nous sommes également en discussion, depuis 2010, avec d'autres pays de la région, y compris le Maroc. Cependant, là où l'introduction est réellement entamée, c'est en Jordanie et au Liban. Rappelons que pour chaque cargo de GNL de 150.000 m3, par exemple, il y a au moins une économie de 30 millions de dollars pour l'équivalent en quantité énergétique en produit hydrocarbure liquide (fioul, diesel...). Pour le cas du Maroc, si on considère un projet de 3 millions de tonnes de GNL par an, cela représente 27 millions de barils de pétrole, ce qui correspond à une économie de 500 millions de dollars par an. F. N. H. : Les discussions relatives à l'introduction du GNL au Maroc ne datent pas d'aujourd'hui. Selon vous, qu'est-ce qui bloque l'Etat à se lancer dans ce marché qui lui permettra de réduire considérablement sa facture énergétique ? M. B. : Il faut, en premier lieu, définir la demande, puisque l'investissement est important et par conséquent la demande doit être importante pour rentabiliser l'infrastructure et les contrats d'approvisionnement qui sont de longue durée. Je pense qu'au Maroc, il y a eu assez d'études pour définir la demande afin de pouvoir lancer un projet qui repose sur une base solide. Ce qu'il faut maintenant, c'est définir le modèle que le Maroc compte adopter pour l'introduction du GNL (public, privé, partenariat ou public-privé). Rappelons que pour les projets de gaz et contrairement aux autres produits, ils ne se développent en amont que lorsqu'il y a une demande équivalente. Il faut donc que la demande soit contractuellement ficelée entre le producteur et le client pour garantir l'approvisionnement. Ceci dit, si le Maroc projette d'adopter l'introduction du GNL en 2018, par exemple, il faut anticiper et entamer les discussions dès maintenant avec les fournisseurs pour être sur la liste. Actuellement, il y a beaucoup de projets de production de GNL qui sont en cours de construction, mais qui ont tous vendu à l'avance leur production. Donc, le Maroc devra se positionner pour les projets futurs, soit dans les 4 à 5 années à venir. Il faut signaler aussi qu'il y a une bonne opportunité pour le Royaume en termes d'approvisionnement à partir des Etats-Unis. Avec la révolution du gaz du schiste dans ce pays, il y a un potentiel important d'exportation du GNL. En plus de l'emplacement stratégique du Maroc ainsi que l'Accord de libre-échange signé avec les Etats-Unis. F. N. H. : Pensez-vous que le Maroc soit réellement en retard ? M. B. : Sincèrement, je pense que oui, mais la situation est toujours récupérable. F. N. H. : Est-ce que le GNL peut être considéré comme une énergie alternative ? M. B. : La demande en énergie va doubler dans les années à venir. Ce qui est vrai aussi, c'est qu'il n'y aura pas d'énergie dominante. Certes, le gaz naturel va jouer un très grand rôle à l'avenir, cependant, il y aura toujours de la place pour les énergies renouvelables, le nucléaire, le charbon et le pétrole. A noter que le GNL est une source complémentaire pour le renouvelable qui reste une énergie assez cyclique dépendant de plusieurs facteurs. Le GNL permet ainsi de créer l'équilibre et de combler le manque créé par les changements climatiques qui affectent l'éolien et le solaire. F. N. H. : Le Maroc a adopté, depuis quelques années, une politique du mix énergétique. Comment Shell accompagne-t-elle le pays dans sa transition énergétique ? M. B. : Notre présence aujourd'hui prouve notre volonté de participer au débat en apportant notre savoir-faire dans ce domaine aussi bien pour la construction des installations que pour la production. Ce que nous souhaitons, c'est de devenir un partenaire en apportant notre expertise ainsi que le financement. F. N. H. : Quelles sont les dernières innovations de Shell ? M. B. : Shell est en phase de construire une structure flottante de 500 m de longueur, 80 m de largeur et 50 m de hauteur. Cette usine flottante est une première dans le monde. Elle sera déployée en Australie pour exploiter du gaz naturel offshore de haute profondeur et très loin des côtes.