◆ Le plan de relance annoncé dans le discours royal apporte un grand soutien à la filière. ◆ Deux actions sont priorisées pour l'automobile : l'amélioration de la compétitivité par l'intégration locale profonde et la décarbonation de l'écosystème. ◆ Pour le ministre de l'Industrie, du Commerce et de l'Economie verte et numérique, Moulay Hafid Elalamy, le Maroc entend tirer profit de l'ensemble des opportunités qu'offre la crise pour devenir le hub automobile le plus compétitif au monde.
Propos recueillis par D. William
Finances News Hebdo : L'industrie automobile est dans le dur et la situation sanitaire actuelle n'arrange guère les choses. Dans quelle mesure les priorités définies dans le discours du Trône peuvent-elles aider à insuffler une nouvelle dynamique à l'écosystème automobile ? Moulay Hafid Elalamy : Les Hautes Instructions de Sa Majesté le Roi, que Dieu L'assiste, sont très claires. La santé des citoyens est la priorité absolue de l'Etat. Cela a été le cas dès le début de la crise, ce qui nous a permis d'armer l'industrie pour faire face aux risques que suscite la pandémie de la Covid-19. Très tôt donc, notre département s'est attelé à formaliser des protocoles sanitaires stricts au sein des usines et a initié des opérations de contrôle en étroite collaboration avec les autorités locales. Les ressources humaines sont formées à la prévention et en parfaite maîtrise des procédures sanitaires. Le plan de relance annoncé dans le Discours Royal apporte un grand soutien à la filière. La nouvelle dynamique insufflée dans l'écosystème automobile est celle d'une production efficace en temps de crise sanitaire. Cela rassure, bien évidemment, donneurs d'ordres et investisseurs internationaux. F.N.H. : Le chef de gouvernement s'est réuni avec tous les membres du gouvernement pour définir le cadre d'un plan de relance économique ambitieux pour le Royaume. A votre niveau, y a-t-il des actions prioritaires que vous avez arrêtées pour l'industrie automobile ? M. H. E. : Deux actions sont priorisées pour l'automobile : l'amélioration de la compétitivité par l'intégration locale profonde, et la décarbonation de l'écosystème pour qu'il soit performant sur le volet énergétique et parvienne à maintenir nos parts de marché à l'export. Le Maroc est en mesure de devenir le hub automobile le plus compétitif au monde. Dans cet objectif, nous allons continuer à améliorer l'intégration profonde de nos écosystèmes et à poursuivre le développement des activités de Rang 1 et 2. Cette intégration profonde se traduira par davantage de valeur ajoutée et une chaîne de production plus dense, et donc plus compétitive. Le capital marocain a un rôle clé à jouer dans cette stratégie. Les constructeurs souhaitent encourager le développement d'opérateurs nationaux parce qu'ils sont convaincus que ces derniers, une fois qualifiés, pour intégrer la filière, seront très compétitifs. Quant à la décarbonation, elle représente un levier de compétitivité. Elle est inévitable si nous souhaitons maintenir nos parts de marché. Sinon, les taxes carbones aux frontières risquent de neutraliser nos exportations vers l'Europe. Le Royaume dispose des énergies renouvelables les plus compétitives au monde. En les orientant vers l'industrie, nous pouvons intégrer des métiers plus énergivores et réduire la facture énergétique des opérateurs déjà installés F.N.H. : Cette crise économique que traverse le Maroc induira-t-elle, par ailleurs, un changement de paradigme au niveau de la stratégie industrielle du Royaume, notamment en ce qui concerne l'industrie automobile ? Si oui, à quels niveaux ? M. H. E. : Il faut savoir tirer profit d'une crise mondiale. De nombreux partenaires internationaux ont pris conscience des effets induits par le monosourcing. Ils comptent, à présent, mitiger leur risque en diversifiant et relocalisant leur supply chain. Le changement est, d'ailleurs, déjà perceptible; le Maroc est sollicité dans le cadre de ces mouvements internationaux. La nécessité de compter davantage sur soi est également un enseignement de cette crise. Nous avons pu constater qu'en faisant confiance à nos forces vives, notre pays était en mesure de monter en compétence, en production et en agilité en un temps record, malgré les contraintes sanitaires. Il faut continuer à accompagner cet élan et faire davantage. Si nous réalisons des respirateurs, des lits de réanimation, des kits de test et de prélèvement en quelques semaines, imaginez ce que nous pourrions faire sur la durée. Le capital marocain doit profiter de cette confiance retrouvée et investir davantage le champ de l'automobile. D'autant qu'il bénéficie de sponsors de renommée internationale, nos constructeurs et donneurs d'ordres, qui sont en quête d'opérateurs locaux compétitifs.
F.N.H. : On parle aujourd'hui de plus en plus de préférence nationale pour soutenir notamment l'industrie locale. L'industrie automobile dépend cependant fortement des intrants importés. Y a-t-il une stratégie en cours pour développer l'expertise locale et réduire justement ces importations d'intrants ? M. H. E. : La dépendance aux intrants dans la production automobile s'est réduite de manière conséquente ces dernières années. Tant est si bien que la Peugeot 208 produite à Kénitra est intégrée à plus de 60% localement. Ce qui a permis de développer davantage de valeur localement, c'est précisément la focalisation sur l'intégration locale au cœur des écosystèmes. En ciblant les chaînons manquants, nous avons créé des chaines de production continues et performantes. Ce que nous comptons, à présent, accélérer, c'est l'intégration profonde, c'est-à-dire aller chercher des métiers connexes à l'automobile, accompagner nos industriels des secteurs de la plasturgie, du textile, de la sidérurgie et autres pour qu'ils intègrent ce secteur et développent leurs compétences dans le domaine.
F.N.H. : Peut-on légitimement croire que les objectifs du Maroc en termes de production et d'exportation automobiles sont définitivement compromis ? M. H. E. : Nous restons tributaires du marché mondial, qui a, par ailleurs, moins baissé que ce qui était prévu. Le contexte international est porteur d'opportunités réelles pour le secteur. La mobilité de masse est moins plébiscitée depuis la crise, le véhicule personnel retrouve un regain d'intérêt pour les ménages, y compris dans les grandes villes. Le succès du véhicule électrique de ville, la Citroën AMI produite à Kénitra, est un bel exemple des leviers de croissance amenés par la crise. Le Maroc entend tirer profit de l'ensemble des opportunités qu'offre la crise pour maintenir sa production et son export.