La protection sociale constitue un axe central d'un nouveau modèle de développement inclusif en réponse aux problèmes de pauvreté et d'inégalités. Salah-Eddine Benjelloun, docteur en économie, coordinateur scientifique du Colloque international sur l'extension de la protection sociale qui s'est tenue les 18 et 19 octobre à Skhirat, nous livre ses propos. - Finances News Hebdo : A l'issue des travaux du Colloque international sur l'extension de la protection sociale organisé sous le Haut Patronage de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, par l'Institut CDG, quel premier bilan pouvez-vous dresser de cet événement exceptionnel ? - Salah-Eddine Benjelloun : De prime abord, je voudrais rappeler que l'Institut CDG, espace de réflexion et de partage d'idées, a eu l'ambition d'organiser un Colloque international et scientifique, fondé sur une approche transversale des questions liées à la couverture des risques maladie, vieillesse et chômage, et au rôle de la famille. Aussi, la portée du Colloque a-t-elle été à plusieurs dimensions. Internationale, grâce au soutien et appui des Organisations internationales (BIT, AISS, The World Bank, UNICEF, ONU Femmes, PNUD, FNUAP, UN ECA et l'OMS) qui ont adhéré aux objectifs du Colloque. Africaine, de par la participation importante de pays amis de notre continent. Arabe, grâce au soutien de l'Organisation Arabe du Travail et à la participation de l'Egypte, du Liban, de la Palestine, de la Tunisie et de l'Algérie. Maghrébine, comme en témoigne la participation des chercheurs des trois pays. Nationale, grâce au soutien des pouvoirs publics et à la contribution précieuse des principaux acteurs de la protection sociale au Maroc. Au total, 12 conférenciers invités sont intervenus lors des deux séances plénières présidées par Monsieur Fathallah Oualalou, ancien Ministre de l'économie et des Finances et Maire de Rabat, et Monsieur Mohamed Najib Boulif, Ministre délégué auprès du Chef de gouvernement chargé des Affaires Générales et de la Gouvernance. De même, 34 contributions ont été présentées lors des 9 ateliers parallèles, dont 5 ont été présidés par des responsables femmes – parité oblige. La table-ronde, présidée par Monsieur Driss Guerraoui, Secrétaire Général du Conseil Economique et Social, et Monsieur Aziz Ajbilou, Secrétaire Général du Ministère délégué chargé des Affaires Générales et de la Gouvernance, a permis un débat lancinant sur l'extension de la protection sociale au Maroc et sur le rôle des fonds d'appui et de compensation. - F. N. H. : Quelle est la situation de la protection sociale dans le monde, en Afrique et particulièrement au Maroc ? - S. E. B. : Malgré le fait que les déclarations relatives aux droits de l'homme (Déclaration de Philadelphie, Déclaration universelle des droits de l'homme) reconnaissent que toute personne a un droit universel à la protection sociale et à un niveau de vie décent, les statistiques publiées par les Organisations internationales sur les inégalités et la pauvreté dans le monde sont fort inquiétantes. Les statistiques actuelles sur la pauvreté et les privations dans le monde laissent apparaître qu'environ 5,1 milliards de personnes, soit 75 % de la population mondiale, ne sont pas couvertes par une sécurité sociale adaptée. Dans les pays du Sud, la couverture sociale concerne principalement les salariés du secteur formel. En Afrique, seuls près de 10 % des travailleurs – essentiellement ceux qui opèrent dans le secteur de l'économie formelle – bénéficient d'une couverture sociale. Les exclus de la majorité se retrouvent dans le secteur de l'économie informelle et au sein des populations pauvres et vulnérables. Dans la région du Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), la plupart des pays ont mis en place des systèmes de retraite, et un certain nombre d'entre eux ont un système d'assurance maladie. Cependant, la couverture de la sécurité sociale demeure limitée : seuls 33 % de la population sont couverts par un régime de retraite obligatoire. De surcroît, les prestations favorisent souvent une redistribution régressive au détriment des populations vulnérables. Au Maroc, si les salariés du secteur public bénéficient tous d'une protection sociale, dans le secteur privé (formel), 79 % de salariés ne bénéficient d'aucune forme de protection sociale. - F. N. H. : Quels ont été les principales conclusions et messages importants du Colloque ? - S. E. B. : La protection sociale est devenue l'un des éléments des stratégies de développement national, avec la croissance économique et le développement humain. La protection sociale joue un rôle crucial dans la prévention et la réduction de la pauvreté, des inégalités et de l'exclusion sociale. Elle constitue un axe central d'un nouveau modèle de développement inclusif en réponse aux problèmes de pauvreté et d'inégalités qui touchent les pays en développement. La priorité étant d'assurer des DROITS, de la naissance à la vieillesse, à toutes les femmes et à tous les hommes, avec la seule condition d'être citoyen. Garantir une protection sociale basée sur les droits tout au long du cycle de vie demande d'importants accords politiques et sociaux dans chaque pays, de manière à mettre en place un nouveau pacte fiscal pour la cohésion sociale. Le succès de ce développement humain inclusif exige un agenda de genre qui assure les droits aux femmes. L'intégration de la dimension démographique dans les politiques sociales publiques favorise une prise en compte des nouveaux défis et enjeux afférents aux mutations démographiques. L'approche fondée sur le cycle de vie permet de mieux cibler les besoins en fonction des différentes étapes de la vie. Le consensus s'est dégagé : l'approche Socle de Protection Sociale est la stratégie la plus appropriée et la plus efficace pour rationaliser l'ensemble des structures et des programmes qui offrent des niveaux de protection aux populations les plus défavorisées en veillant à étendre la couverture aux groupes vulnérables et réformer les systèmes de retraite en vue d'une meilleure équité intra et intergénérationnelle. La protection sociale doit, désormais, être considérée comme un investissement dans les hommes et les femmes les aidant à adapter leurs compétences pour participer pleinement à un environnement économique et social changeant. Le fait que, dans des économies émergentes, la protection sociale (protection de la santé, notamment) a pu être étendue, dans un laps de temps très court, atteignant une couverture à grande échelle pour les besoins de base, corrobore l'idée qu'offrir une protection sociale minimale à de larges populations est faisable et permet d'associer croissance économique et équité. Dossier réalisé par S. Es-Siari & I. Bouhrara.