Une législature paraît bien peu pour faire face aux nombreux fronts piégés. Déficit budgétaire insoutenable, déficit commercial qui se creuse, taux de chômage en hausse..., tous les ingrédients qui peuvent faire sauter un gouvernement. L'économie nationale a fait preuve de résilience face à la crise économique internationale, particulièrement celle qui frappe les pays européens, principaux partenaires du Maroc. Ce discours, servi comme un refrain par les officiels, tend visiblement à s'effriter au fur et à mesure que l'opinion publique découvre l'évolution des fondamentaux de l'économie. En ce moment, en effet, il paraît de plus en plus difficile de s'enorgueillir de la résilience de l'économie nationale, au regard notamment des tendances affichées par certains indicateurs. Des tendances qui prouvent, s'il en est besoin, que cet exercice 2012 s'annonce particulièrement difficile, pour ne pas dire périlleux pour le chef du gouvernement, Abdellilah Benkirane, et son équipe qui devront faire face à plusieurs fronts piégés. Ainsi, avec une baisse de la valeur ajoutée agricole de 8,3% et un ralentissement du PIB non agricole (4,4%), la croissance nationale s'est établie au premier trimestre 2012 à 2,8%, marquant une forte décélération par rapport au trimestre précédent (4,9%). Il faut noter, à ce titre, que le déficit pluviométrique a fortement compromis la campagne agricole, la production céréalière s'élevant à 51 millions de quintaux, soit une compression de 39% par rapport à la campagne précédente. Par ailleurs, comme le note Bank Al-Maghrib dans sa note de conjoncture mensuelle, «sur le marché de l'emploi, les données demeurent celles relatives au premier trimestre 2012, indiquant une hausse du taux de chômage de 0,8 point de pourcentage en glissement annuel à 9,9%». Une évolution qui traduit une progression du chômage urbain de 13,3% à 14,4% et du rural de 4,3% à 4,8%. Le problème endémique du chômage reste ainsi un boulet pour le gouvernement qui doit faire face à quelque 190.000 nouveaux demandeurs d'emplois chaque année. Et, d'un point de vue sectoriel, le secteur touristique peine toujours à retrouver ses marques, avec des flux en repli de 2% à fin mai sous l'effet du recul de l'effectif de touristes étrangers et des nuitées au sein des établissements classés en contraction de 4%, ramenant le taux d'occupation de 42 à 39%. Reste que les recettes au titre des voyages ont pu être maintenues à un niveau quasi identique à celui de l'année précédente, soit 20,8 Mds de DH. Ce sont les dégâts collatéraux de la crise dans la zone euro et les pays partenaires où, comme le souligne BAM, «la décélération de la croissance reste plus prononcée depuis le début de l'année, une tendance qui se confirme à travers l'évolution globalement défavorable des indicateurs à haute fréquence disponibles à fin juin 2012». Et dans la zone euro, la croissance s'est repliée de 0,1% au premier trimestre, après une hausse de 0,7% au trimestre précédent. Cette conjoncture internationale défavorable impacte ainsi différents canaux de l'économie nationale, comme notamment les recettes au titre des investissements et prêts privés étrangers qui se sont élevées à 11,3 milliards de dirhams, en recul de 1,2% par rapport à fin mai 2011, tandis que les dépenses de même nature se sont accrues de 24%, s'établissant à 3,6 milliards, soit une entrée nette de 7,6 milliards de dirhams. En cela, les avoirs extérieurs nets se compriment de 17,3% en variation annuelle, soit 4 mois et 10 jours d'importation de biens et services, au lieu de 5 mois et 27 jours une année auparavant. A côté de tout cela, le déficit commercial se creuse de plus en plus, s'établissant à 84,2 Mds de DH à fin mai 2012, soit une aggravation de 9,8% par rapport à la même période de 2011, les importations évoluant plus rapidement que les exportations. En cause, la hausse de la facture énergétique de 17,9% que n'ont pu résorber l'augmentation des ventes de phosphates et dérivés (+5,6% à 19,2 Mds de DH) et des autres exportations (+6,8% à 57,1 Mds de DH). Finances publiques en berne Dans la même foulée, les finances publiques font une bien piètre prestation. «Au terme des cinq premiers mois de l'année 2012, l'exécution budgétaire s'est soldée par une aggravation du déficit à 20,4 milliards de dirhams au lieu de 12 milliards un mois auparavant et 17,5 milliards à fin mai 2011», souligne BAM. Un budget plombé, comme on le sait, par les dépenses de compensation qui ont atteint 25,2 Mds de DH au lieu de 20,7 milliards à fin mai 2011. Ce qui a d'ailleurs poussé le gouvernement à procéder, en mai dernier, à une hausse du prix des carburants, d'autant que plus de 80% du budget alloué à la compensation en 2012 avaient été déjà consommés. Conséquences : répercussion immédiate de cette hausse sur les coûts du transport et des prix à la consommation. Le Centre marocain de conjoncture estime à ce titre que «ces hausses devraient, au vu de la structure des coûts, avoir une incidence cumulée sur les prix estimée à 1,4%», non sans préciser que «le surcoût de hausse des prix porterait en toute probabilité le niveau d'inflation à un rythme variant entre 3,5 et 4%». Et, sans régulation, le CMC craint le «retour à la spirale inflationniste avec ses implications sur le pouvoir d'achat». Parallèlement, dans un contexte caractérisé par une crise de liquidité structurelle aiguë, les banques tirent le diable par la queue. Aujourd'hui, leurs besoins de liquidité s'établissent à 60,4 Mds de DH, malgré la hausse du volume des injections de Bank Al-Maghrib (69 Mds de DH) à travers les avances à 7 jours et les opérations de pension livrée à 3 mois. Une situation envenimée par la suppression des bons de caisse anonymes qui a poussé les souscripteurs à retirer leur cash du circuit bancaire. «Quelque 15 Mds de DH sont sortis du circuit bancaire depuis l'entrée en vigueur de cette mesure», confirme une source bancaire (www.financenews.press.ma). Tout cela se ressent dans le financement de l'économie nationale : les facilités de trésorerie et les crédits à l'équipement ont vu leurs hausses annuelles ralentir légèrement à 9,1% et à 1,5% respectivement, contre 9,3% et 2,4% en avril 2012, mais les prêts à l'immobilier ont maintenu un rythme de progression en glissement annuel, comparable à celui du mois précédent, soit 7,5%. Et si on ajoute à tout cela la morosité qui règne sur le marché boursier, avec notamment un indice général en berne, des volumes faibles et le manque de confiance des investisseurs, la boucle est bouclée. D'ailleurs, les investisseurs étrangers en particulier en ont pris plein la gueule en 2011, le montant de leurs investissements en actions cotées ayant baissé de 11,7% à 147,7 Mds de DH, soit une perte de 19,3 Mds de DH. Tableau noir Dans ce tableau noir, la seule bonne nouvelle, et c'est paradoxal, vient des transferts des MRE qui ont pu s'apprécier de 2,1% à 22,4 Mds de DH. De quoi avoir le moral dans les chaussettes ? Bien évidemment. Le discours officiel, qui s'essaie à être rassurant, ne peut éluder la réalité actuelle de l'économie nationale. Une réalité que certains, bien maladroitement, s'obstinent à occulter : la situation économique est très inquiétante. Cette résilience, dont on continue à vanter les mérites, a clairement montré ses limites. Il ne s'agit guère d'être alarmiste, mais la dégradation continue des indicateurs macro-économiques appelle à plus de vigilance et de réactivité, quand bien même, toutes choses étant égales par ailleurs, le Maroc est bien mieux loti que l'Espagne, l'Italie, voire la France. C'est clair : le redressement de l'économie passera inéluctablement par des mesures fortes, courageuses et, surtout, impopulaires. Mais à voir le nombre de fronts sur lesquels doivent s'engager Benkirane et son équipe, c'est un truisme de soutenir qu'une législature ne leur suffira point. Le tout est de savoir s'ils auront un autre mandat pour terminer le travail entamé, car le vote sanction a fait sauter bien des gouvernements.