■ Le secteur a entamé depuis plusieurs mois sa mise à niveau, aidé en cela par des fonds qui seront bientôt débloqués par l'APP. ■ Le processus de transformation d'associations de micro-crédit en sociétés financières permettra de s'institutionnaliser et de se financer auprès de nouveaux actionnaires, tout en baissant le coût de financement moyen. ■ Youssef Bencheqroun, Directeur général d'Al Amana Micro-Finance, nous détaille clairement les difficultés mais aussi l'impact bénéfique du secteur dans l'inclusion sociale. ✔ Finances News Hebdo : Après plusieurs années d'existence, quelle évaluation faites-vous de l'activité du micro-crédit ? ✔ Youssef Bencheqroun : Le secteur du micro-crédit au Maroc jouit d'une bonne image à l'international avec 2 des institutions classées parmi le top 10 mondial en 2008, et vit le paradoxe d'une image floue ou mal comprise dans notre pays. Il est important de sensibiliser l'opinion publique sur les impacts bénéfiques de la micro-finance marocaine dans le domaine du traitement social de l'inclusion financière. Je tiens à rappeler qu'en l'espace de 10 ans, 45 Mds de DH ont été injectés dans des zones et à des populations exclues du radar des banques traditionnelles. Par ailleurs, le suivi du patrimoine des bénéficiaires montre que leurs actifs financés augmentent régulièrement et renouvellent pour la plupart leurs prêts. Selon l'enquête menée par Jaïda, 95% des clients se déclarent satisfaits. Il y a alors une véritable réalité micro-économique qui est étrangement absente des débats du paysage médiatique marocain. De nombreux détracteurs instrumentalisent le micro-crédit et cherchent à le critiquer avec pour argument principal le taux d'intérêt. Je souhaite éclaircir ce point. L'inclusion financière est un process lourd à part entière qui coûte des ressources. L'activité compte 5.500 salariés qui vont vers les populations ciblées dans l'objectif d'identifier, accompagner et soutenir des activités génératrices de revenus viables. On compte 800.000 bénéficiaires, chacun d'entre eux a besoin de 4 à 5h pour l'analyse du projet, effectuer les bilans d'entreprises, connaître la capacité de remboursement, faire un état des actifs et passifs, vérifier la moralité de la personne et la robustesse du groupe constitué. Il faut alors au bas mot, 4.000 personnes de qualité, plus de 1.200 agences, des mesures de sécurité, des frais informatiques ; ce qui coûte plus de 600 MDH par an, ou plus de 12% de l'encours de 5 Mds de DH. A cela il faut ajouter le coût du risque d'au moins 4,5 à 5%, et le coût du financement bancaire de plus de 6% (nous nous finançons auprès de banques privées aux taux du marché). On voit bien que la mission d'inclusion financière coûte au moins 20%. La dernière enquête de Jaïda fait ressortir que la rentabilité des activités financées varie dans une fourchette de 65% (élevage) à 100% (commerce, services,..). Plus de 5 millions de prêts ont été distribués dans ces conditions et ont permis aux nombreux bénéficiaires de développer leur exploitation et l'emploi indirectement. Il ne faut pas assimiler les crédits distribués par notre secteur à des crédits bancaires classiques. Il s'agit plutôt d'un accompagnement d'un processus d'inclusion financière et sociale, dont l'objectif est de solvabiliser progressivement des centaines de milliers de personnes par la relation ainsi établie avec les institutions de micro-finance. 90% des contractants remboursent. Nous espérons que le débat se focalise de plus en plus sur les réalisations reconnues de la micro-finance, sur la façon de la promouvoir et d'améliorer son impact, en tant qu'instrument de politique financière, plutôt que de ne laisser la place qu'à des détracteurs souvent impliqués dans des problèmes personnels de remboursement et qui portent atteinte à un secteur désormais institutionnalisé. ✔ F.N.H. : Les associations de micro-crédit sont pointées du doigt du fait qu'elles financent des projets non rentables. Selon vous, quelle est la manière la plus correcte pour utiliser cet instrument de financement ? ✔ Y.B. : D'abord, il faut relativiser cette affirmation. La dernière enquête de Jaïda montre que le taux de crédit détourné à des fins de consommation est de 15% du total de portefeuille. Et dans les 15% on trouve 39% qui sont effectivement détournés. En fait, la quantité d'argent qui n'est pas allouée à des activités productives est de 6%. Nous ne sommes pas loin de la norme internationale qui est de 14% ou 15%. Pour réduire le détournement, il faut de bonnes pratiques d'octroi de crédit. Le secteur a entamé depuis plusieurs mois sa mise à niveau aidé en cela par des fonds de mise à niveau qui seront bientôt débloqués par l'APP. Au niveau d'Al Amana le process d'octroi de prêt a été revisité avec une plus fine approche de la micro-entreprise matérialisée par des points de contrôle organiques et des visites prévues post-déblocage pour vérifier que le crédit n'est pas détourné. A cela s'ajoutent les modèles de scoring qui permettent de conclure si le montant demandé correspond au chiffre d'affaires et aux dépenses affichés par le client. Une mission est en cours avec un consultant allemand pour travailler sur ces aspects. ✔ F.N.H. : Est-ce que la centrale de risques est constamment consultée au moment de l'octroi d'un prêt ? ✔ Y.B. : Depuis décembre 2008 fonctionne une centrale des risques interne dont le périmètre ne touche que le micro-crédit, qui a été mise en œuvre entre les quatre associations dont Al Amana, Fondep, Fondation Banque Populaire et Ardi ; qui représente une bonne partie du marché. Depuis 2011, nous avons signé un contrat avec Experian et Bank Al-Maghrib qui permet d'élargir la consultation aux autres banques et institutions financières et dans laquelle nous déversons nos données. Le RMS (associations de micro-crédit locales fédérées par le Crédit Agricole) devrait suivre aussi dans les prochaines semaines. En ce qui nous concerne, cette plateforme fonctionne depuis trois ans et a permis de décroiser des centaines de milliers de clients. La centrale Experian (Crédit Bureau) sera plus robuste et intègre l'ensemble des intervenants, banques et sociétés de financement, voire les opérateurs de téléphone et d'eau et d'électricité. Tous les problèmes de tests ont été solutionnés et le coût de la consultation est aujourd'hui acceptable. ✔ F.N.H. : Où en est l'état d'avancement des discussions avec les autorités de tutelle en ce qui concerne la transformation des associations de microcrédit en institutions financières ? ✔ Y.B. : Une loi est passée au Conseil de gouvernement et s'apprête à être discutée au Parlement. Elle énonce les principes de transformation en société financière. Les modalités de transformation feront l'objet de décrets dont on ne connaît pas encore la teneur. Cette transformation apportera plus de possibilités d'extension, une meilleure protection des clients et permettra de renouveler l'expérience de la micro-finance dans un cadre plus sécurisé et plus impactant. Nous avons procédé au niveau d'Al Amana à une étude de gap par rapport aux capacités requises en cas de transformation en institution bancaire qui l'établit à 5%. Les dépôts ne sont pas a priori prévus dans l'agenda à court terme. La société financière permettra essentiellement d'ouvrir le capital, de s'institutionnaliser, d'émettre des titres et de se financer auprès de nouveaux actionnaires et baisser ainsi le coût de financement moyen. Le process a pris un peu de retard avec la crise que nous venons de dépasser. ✔ F.N.H. : Quel bilan faites-vous de votre association pour l'année 2011 ? ✔ Y.B. : 2011 a été l'année de l'assainissement, essentiellement dans notre approche des impayés. Ceci s'est traduit par une mobilisation de nos ressources humaines. Cette année a consisté d'une part à assainir et, d'autre part, à constituer une production de meilleure qualité, ce qui nous a permis de dégager de bons résultats. ✔ F.N.H. : La FNAM 2020 a mis en place une feuille de route à horizon 2020. Pouvez-vous nous dire en deux mots les grands axes de ce programme ? ✔ Y.B. : C'est une feuille de route qui a été élaborée durant l'exercice 2010 et qui a permis de remettre à plat les fondamentaux du secteur et c'est de cette étude qu'ont émané les principales conclusions relatives à la création d'emplois, l'impact sociétal… Ce sont 48 projets qui devraient être pilotés par une structure au sein de la FNAM qui devrait en assurer la PMO. Cette feuille de route va toucher à tous les aspects et domaines de notre activité. Il s'agira de projets relatifs au contrôle et à la gestion des risques, notamment par les méthodes de scoring et l'implémentation d'entités de gestion globale du risque. La formation, la refonte du process d'octroi du crédit, le financement, le développement durable, la croissance maîtrisée, l'aspect juridique…Tout a été revu. Nous n'avons évidemment pas oublié la dimension bancarisation et diversification, avec la micro-assurance, le transfert d'argent et la productivité globale avec le mobile banking. L'objectif est de faire 2 fois ce que nous avons fait dans les dix dernières années, avec la contribution à la stabilisation et à la création de plusieurs centaines de milliers d'emplois. ■ Dossier réalisé par I. Benchanna