■ Si le PJD applique son programme économique tel qu'il l'avait présenté, cela fera certainement grincer des dents. ■ Les riches devraient contribuer plus, les produits de luxe davantage taxés, de même que les spéculateurs immobiliers. ■ Un IS plus allégé pour les TPE et les petits et moyens producteurs agricoles. ■ Beaucoup de similitudes entre le projet fiscal du PJD et celui du PI. ■ Décryptage. Que sera le Maroc de demain après la victoire du PJD lors des élections législatives ? Les supputations vont bon train. Mais on peut d'ores et déjà avoir une esquisse de ce qui attend les Marocains après la formation du prochain gouvernement. Tout au moins si l'on se réfère au programme économique décliné par le PJD lors de la campagne électorale. Et le moins que l'on puisse dire est qu'il faudrait s'attendre à découvrir des nouveautés majeures dans le projet de Loi de Finances 2012. Des nouveautés qui pourraient plaire ou déplaire mais qui, à coup sûr, susciteront débats et commentaires. Le PJD, tel que l'a souligné Lahcen Daoudi, membre dirigeant du parti, que nous avons reçu quelques jours avant les élections, est une «force de changement, et non conservatrice». Et ce changement dans la conduite de la politique économique du pays, il a bien l'intention de le traduire dans les faits. Certes, dès lors que le PDJ ne détient pas la majorité absolue, le jeu des alliances rendra à l'évidence difficile la mise en œuvre de tous les changements envisagés à l'origine. Mais des changements, il y en aura certainement. C'est ce que nous allons essayer de décrypter à travers le programme économique du parti de la lampe. Un programme qui tourne, entre autres, autour de la «justice sociale, d'un enseignement fiable, d'un système de santé digne de ce nom et aussi compétitif que le privé en terme de prestations, d'une fiscalité solidaire et responsable et autour de la lutte contre la corruption, cette dernière étant considérée comme la gangrène qui mine le pays». Projet fiscal «Le projet fiscal du PJD va déranger certains», dixit Lahcen Daoudi. Cela, à coup sûr. Et les riches en premier. Encore faut-il bien circonscrire cette notion de riches. Au Maroc, à quel niveau de revenu doit-on considérer quelqu'un comme riche ? Le PJD nous édifiera. - Les riches vont trinquer… Ce qui est sûr, c'est que certaines personnes qui ont un certain pouvoir d'achat vont devoir contribuer davantage. L'objectif étant de ne «pas tuer les riches, mais il serait bien aussi de rendre la pareille à ce pays qui leur a tant donné pour préserver la stabilité dont ils se sont nourris». En clair, il ne s'agit pas de les appauvrir car le Maroc a besoin d'eux, mais plutôt de les inciter à contribuer à augmenter l'épargne et les recettes de l'Etat, tout en préservant l'outil de production et le pouvoir d'achat des couches moyenne et déshéritée. Raison pour laquelle, parmi les chantiers fiscaux prioritaires, le PJD envisage de taxer encore plus les produits de luxe et l'ostentatoire, «sachant que ce sont souvent des produits importés». Le calcul du parti de la lampe se résume ainsi : «si les riches continuent de les consommer, on augmente les recettes, et s'ils s'abstiennent, cet argent alimentera l'épargne nationale». C'est dit : les partisans du bling-bling seront donc les premiers à «trinquer». Si tant est que l'on peut se permettre cette expression. -… Les spéculateurs immobiliers aussi Autre cible dans la ligne de mire du PJD : les rentiers et autres spéculateurs immobiliers. Ceux qui, particulièrement à Casablanca, font de la spéculation autour des terrains non-bâtis leur fonds de commerce, alors que la métropole économique fait face à un déficit cruel en la matière. Mais aussi tous ceux qui spéculent autour des logements car, selon le PJD, il y aurait actuellement 800.000 logements vacants au moment où l'on traîne un déficit de l'ordre de 700.000 logements. Le projet du PJD est donc d'imposer les terrains et les logements vacants, puisque tous ces propriétaires se font des plus-values faciles. En taxant ainsi les logements vacants à raison de 5.000 DH par appartement, ce seront donc 4 milliards de DH qui viendront renflouer les caisses de l'Etat. «On fait ainsi d'une pierre deux coups, puisque cette imposition va les inciter à vendre. Et quand l'offre augmente sur le marché, les prix baissent et reviennent à des niveaux conformes au pouvoir d'achat du Marocain», souligne Daoudi. Les autres niches fiscales L'objectif du PJD est d'instaurer une fiscalité productive et incitative. Dès lors, il s'agira d'aller à la chasse aux niches fiscales. Et des niches, le parti de la lampe en a décelé quelques-unes. • La TVA sur l'alcool Aujourd'hui, le PJD trouve injuste d'instaurer une TVA de 10% pour la consommation d'alcool dans un hôtel, tandis qu'elle est de 14% pour le thé, un produit de grande consommation. Dès lors, à défaut de baisser la TVA sur le thé (ce qui est peu probable), il faudrait s'attendre à une hausse de la TVA pour la consommation d'alcool dans les hôtels. • L'agriculture Si tant est que la proposition de Daoudi passe (au moment de l'entretien elle n'était pas encore validée par le parti), les petits et moyens producteurs qui réalisent jusqu'à 500.000 DH pourraient se voir exonérés d'impôts. Certes, les problèmes liés à l'héritage posent le problème du morcellement, mais l'idée est de pousser ces agriculteurs à créer des entreprises. Ainsi, au lieu de diviser le terrain, ils auront des actions. A côté de cela, l'idée est d'instaurer un IS agricole très bas (15%) pour encourager à créer ces sociétés dans le secteur agricole, tout en fixant un IR avec un abattement de 80%. • La TPE Dans un pays où le tissu économique est composé à 95% de PME, le PJD envisage de faire de ces petites structures des partenaires du gouvernement en instaurant un impôt progressif. Aujourd'hui, la TPE qui réalise jusqu'à 3MDH est imposée à hauteur de 15%, mais l'idée est de porter ce plafond à 5 MDH. Et entre 5 et 20 MDH, le taux d'imposition passera à 20%. Car, pour le PJD qui s'exprime par la voix de Daoudi, «la fiscalité est une pédagogie de changement progressif et ne doit pas être une incitation à la fraude et à l'évasion fiscales». L'économie résidentielle Développer l'économie résidentielle figure également au centre du programme du PJD qui, dès 2002, avait proposé de capter un million de résidents étrangers au Maroc. Cela, en ciblant notamment les maisons de retraite, les personnes nécessitant une assistance médicale car, pour Daoudi, l'Europe recenserait quelque 500.000 personnes dépendantes d'assistance. Le Maroc disposant d'avantages majeurs comme la proximité géographique et culturelle, les ressources humaines et les atouts naturels, il ne reste plus qu'à «créer les espaces dédiés, comme ont déjà commencé à le faire des pays comme la Tunisie et la Turquie». Et ça, ce sera le pétrole du Maroc. Puisque, selon les calculs du PJD, «si nous avons un million de retraités étrangers au Maroc qui dépensent 2.000 euros par mois, cela nous ferait une manne de 24 milliards d'euros par an». L'enseignement L'une des priorités du parti de la lampe est d'instaurer un système de formation de qualité. Car, et c'est unanimement reconnu, les déficiences de l'enseignement public ont progressivement emmené les familles marocaines à opter pour le secteur privé. Et cela a un coût, puisque l'un des premiers postes de dépense des familles est constitué par la scolarité des enfants. Conséquences : ce ne sont que ceux qui ont les moyens qui peuvent actuellement offrir à leurs progénitures un enseignement de qualité. Et la qualité de l'enseignement public plonge le Maroc dans un cercle vicieux : elle «affecte indirectement le pouvoir d'achat et la consommation des ménages, ce qui se répercute sur la croissance». Relancer la demande intérieure revient donc à alléger la charge dédiée à la formation en améliorant la qualité de l'enseignement public. Et pour Daoudi, «la formation doit être couplée à la valorisation du travail manuel du Marocain». Mais pour cela, il faudra forcément changer les mentalités et «ne pas valoriser l'avoir au détriment du savoir». Mentalité qu'il sera très difficile de changer dans un pays où, effectivement, «le modèle de réussite est celui d'une personne qui gagne de l'argent en gardant les mains dans les poches, ou encore qui a la plus belle maison et la plus belle voiture». Et, à ce titre, il revient aux responsables de donner l'exemple. En premier, «ces ministres qui se sentent obligés d'aller au Parlement en voiture de luxe, alors que dans les pays scandinaves les membres du gouvernement se déplacent à vélo», souligne Daoudi. Le PJD, la femme, l'avortement… L'arrivée d'un parti islamiste au pouvoir suscite forcément moult interrogations, ou du moins des appréhensions concernant les droits de la femme. Les femmes conserveront-elles leurs acquis ? Leurs droits seront-ils améliorés ? Difficile de le dire pour l'instant. Mais sur certains sujets, la position du PJD est tranchée. D'emblée, le discours est apaisant, et aux antipodes de la peur cultivée par certains à l'égard de ce parti. «Le Maroc a choisi la voie de l'ouverture et ce n'est certainement pas le PJD qui doit imposer ses choix», martèle Daoudi, non sans ajouter que «quand un parti vient aux commandes, il s'installe dans la continuité. Le PJD ne cherche pas à faire un coup d'Etat, à changer de régime, encore moins à supprimer le Parlement (...). Nous avons donné assez de garanties en déclarant que nous ne voulons ni le champ religieux ni l'armée». En tout cas, sur la question de l'avortement, la position du PJD est claire : «l'Islam prévoit l'avortement dans des cas précis. Mais on ne peut pas cautionner l'avortement à la Française ou à l'Espagnole». La vision du PJD, c'est la maman en danger parce qu'il faut préserver la vie humaine. Par ailleurs, «il faut une solution déterminée pour une circonstance déterminée. Et indépendamment du principe, le PJD est flexible sur cette question de circonstance, pourvu que la décision émane d'une autorité habilitée à statuer», conclut Daoudi. Toutefois, le PJD laisse la porte entrouverte, en mettant notamment les principes démocratiques en avant : «c'est à la population de se prononcer sur certains sujets par référendum. Le PJD n'impose rien aux Marocains, ils ont le libre-arbitre. S'ils votent majoritairement pour la légalisation de l'avortement, nous ne pourrions pas nous mettre au travers de la volonté populaire; sinon, nous ne serions pas démocrates», précise-t-il. ■