C'est la rentrée pour les grandes banques centrales avec l'inflation dans le rôle du mauvais élève qui refuse obstinément de décoller, perturbant les volontés de resserrement monétaire sur les deux rives de l'Atlantique. Avec le retour de la croissance dans la zone euro comme aux Etats-Unis, la plupart des conditions sont pourtant réunies pour que la Réserve fédérale américaine (Fed) poursuive le durcissement de sa politique et que la Banque centrale européenne (BCE) enclenche une sortie de son programme d'assouplissement quantitatif (QE). La plupart, mais pas l'inflation, qui se maintient sous le seuil fatidique de 2% et pose un casse-tête aux responsables de la Fed comme de la BCE, qui ont fait de la stabilité des prix l'une de leurs missions prioritaires. Le président de la BCE, Mario Draghi, a un problème particulier : la vigueur de l'euro, qui pèse sur les pressions inflationnistes et menace en outre de freiner la croissance de la zone euro. Il avait omis de mentionner cet aspect le mois dernier lors du symposium économique de Jackson Hole, ce qui avait conduit l'euro à s'apprécier de plus belle face au billet vert. Il en a parlé cette fois-ci, après l'annonce jeudi par l'institution de Francfort du maintien de sa politique accommodante, même si elle garde le cap sur un ralentissement de ses rachats d'actifs dont les modalités pourraient être présentées en octobre. La BCE a abaissé ses perspectives d'inflation pour les deux prochaines années pour tenir compte de l'appréciation de l'euro, qui sera prise en compte par la banque centrale pour déterminer sa politique, a dit Mario Draghi lors de la traditionnelle conférence de presse qui suit l'annonce des décisions monétaires. Tandis qu'il parlait, la devise européenne repassait la barre de 1,20 dollar pour porter sa hausse par rapport au billet vert depuis le début de l'année à plus de 14%. «Si l'intention de Mario Draghi était de poser un couvercle sur l'euro, c'est un échec de dimension abyssale», résume l'analyste Michael Hewson (CMC Markets). L'euro monte notamment parce que le dollar baisse, en raison principalement des doutes sur la capacité de Donald Trump à faire passer les réformes d'allègement de la fiscalité, de relance budgétaire et de dérégulation financière qu'il avait promises aux marchés pendant sa campagne. L'indice dollar, qui mesure le billet vert face à un panier de devises de référence dont l'euro, est ainsi en recul de près de 11% depuis le début de l'année. Si le dollar et l'euro suivent des trajectoires diamétralement opposées, l'inflation préoccupe tout autant les responsables de la Fed que ceux de la BCE. Face à cette situation, plusieurs responsables de la Fed ont prôné la prudence dans la poursuite du resserrement. La Fed a relevé ses taux directeurs par deux fois cette année. Une troisième hausse était en attendue à la fin de l'année mais le marché se montre désormais sceptique, estimant à un peu plus de 30% seulement la probabilité d'un nouveau relèvement en décembre, selon le baromètre FedWatch de CME Group. Les grandes banques centrales, dont le mandat s'est considérablement élargi depuis la crise financière, n'ont pourtant d'autre choix que de poursuivre tant bien que mal dans la voie de la normalisation, ne serait-ce que pour se préparer à la prochaine crise, qui finira bien par survenir, font valoir de nombreux analystes. «La politique de sortie est un art délicat», souligne Nicolas Forest, responsable de la gestion obligataire chez Candriam. «Elle a commencé par la Fed et devrait se poursuivre par la BCE. Il serait naïf de croire qu'elle est purement liée au taux d'inflation.» Pour les stratèges de Lazard Frères Gestion, les banques centrales doivent arbitrer entre leur objectif d'inflation et le risque qu'une politique toujours accommodante ne cause des excès dans le secteur financier. «La Fed américaine va très probablement annoncer dans les prochaines semaines qu'elle va commencer à réduire la taille de son portefeuille de titres lié à son QE et poursuivre par la suite les remontées de taux», écrivent-ils dans une note. «De son côté, la BCE va probablement commencer à réduire ses achats au début 2018 mais elle sera très prudente.»