Le passage du Maroc à un régime de change plus flexible est irrévocable à en croire les autorités marocaines. Cette réforme voulue par l'Administration sera pilotée, vous le savez sans doute, par la Banque centrale. Bien que les professionnels du secteur financier, principalement les banques, accueillent cette réforme avec enthousiasme, certains opérateurs du privée et des économistes demeurent sceptiques. Pourquoi une telle défiance ? Au fil des manifestations organisées autour de cette réforme, nous avons recueilli leurs craintes que l'on expose dans cet article. Disons-le d'emblée, pour les autorités monétaires du pays, ces craintes ne sont pas justifiées. Au fil des conférences et des manifestations organisées pour convaincre (et surtout rassurer) les opérateurs sur le bien fondée de cette transition vers un régime de change flexible, force est de constater que l'optimisme affiché par les défenseurs de cette réforme est loin d'être contagieux. Le premier argument opposé par les détracteurs de cette réforme concerne les prérequis même de l'économie marocaine, qui justifieraient le passage à un régime de change plus flexible (un niveau adéquat des réserves de change, un système bancaire solide et résilient, un déficit budgétaire maitrisé, etc.) Pour certains, si ces indicateurs affichent des améliorations notables depuis 2 ans, cela s'explique davantage par des éléments conjoncturels comme la baisse des cours des matières premières et la détente mondiale sur les marchés des taux. «Comment voulez-vous réussir cette réforme alors que les indicateurs économiques profitent d'éléments conjoncturels. Regardez notre balance commerciale, elle est structurellement déficitaire !», disait récemment un collaborateur de la CDG lors d'une rencontre sur la réforme. Mais pour les autorités, le déficit commercial entraine une contraction de l'agrégat M3 et donc une stabilité de l'inflation avec, à terme, un rééquilibrage de la balance commerciale. Autre contre-argument avancé par les sceptiques, le passage à un régime de change flexible induira une volatilité plus élevée du taux de change, que les autorités reconnaissent et qui se fera au détriment des agents économiques. Ainsi, en cas de dépréciation du dirham, il y a un risque d'inflation importée sur les produits incompressibles comme le pétrole et les biens d'équipements. Par ailleurs, une dépréciation du dirham induirait une hausse du poids de la dette extérieure libellée en devises. Dans le cas inverse, en cas d'appréciation du dirham, la compétitivité à l'export des produits made in Morocco serait impactée du fait de leur renchérissement. L'attractivité de la destination Maroc serait également impactée, notamment pour le tourisme. Signalons que les agences de notation voient cette réforme d'un œil plus que bienveillant. Elles se disent même prêtes à revoir à la hausse les perspectives du Maroc si cette réforme est menée à bien.
Le Maroc en «position de force»…
Au moment où nous écrivons ces lignes, se tient à Marrakech la deuxième édition des Journées internationales de macroéconomie et de finance, organisée par Bank Al-Maghrib (BAM), le laboratoire de Recherche INREDD de l'Université Cadi Ayyad (UCA) de Marrakech et le centre BCE de l'Université de Bâle, sous le thème «la flexibilisation du régime de change, le ciblage de l'inflation et la libéralisation du compte capital». Le doyen de la faculté d'économie et de gestion de l'université de Bâle en Suisse, Aleksander Berentsen, y a déclaré que le Maroc est «en position de force» pour libéraliser son taux de change et ouvrir son compte capital. A ce titre, il a indiqué que le Maroc a «agi en position de force car il a une excellente situation macroéconomique» qui favorise amplement l'entame de la réforme du régime de change, notant l'importance de suivre la réaction du marché par rapport à ce changement et la Banque centrale marocaine «pourra réagir en ralentissant ou en augmentant le rythme selon le résultat obtenu de cette réforme». Pour sa part, Abderrahim Bouazza, Directeur général de Bank Al-Maghrib, a déclaré que les conditions sont réunies et le timing est approprié pour entamer une transition graduelle vers un régime de change plus flexible, jugeant nécessaire d'informer les opérateurs économiques sur les motivations de cette réforme, les prérequis nécessaires pour une transition réussie et les instruments de couverture du risque de change. La banque centrale a d'ailleurs déjà prévenu : une fois la réforme lancée, il n'y aura pas de marche arrière. Pour le meilleur... espérons.