■ Avec le printemps arabe, les pays du Nord devront revoir leurs relations avec les pays du Sud. ■ Entretien avec Jawad Kerdoudi, président de l'Institut Marocain des Relations Internationales (IMRI), sur les relations entre les Etat-Unis et le Monde arabe. ✔ Finances News Hebdo : Tout d'abord, que pensez-vous de l'organisation de cette 4ème édition du MEDays 2011 et des différents thèmes abordés au cours des panels? ✔ Jawad Kerdoudi : Je trouve que l'organisation était parfaite, et je tiens à féliciter tous ces jeunes qui organisent des manifestations aussi importantes. Quant aux thèmes, ce sont des sujets d'actualité, surtout le printemps arabe, avec l'analyse de la situation actuelle et les perspectives qui concernent aussi bien la région que le monde entier. Vous avez parlé lors de votre intervention des relations entre les Etats-Unis et le Monde arabe. Je ne reproche pas aux Etats-Unis de défendre leurs intérêts, parce qu'en matière de relations internationales chaque pays défend ses propres intérêts. Il est vrai que les Etats-Unis au 20ème siècle ont joué un peu le rôle de gendarme du monde, mais actuellement ils ne peuvent plus jouer ce rôle, parce que le monde est devenu multipolaire avec notamment les pays émergents : la Chine, l'Inde, le Brésil et l'Europe. ✔ F.N.H. : Vous avez également évoqué la position du président des Etats-Unis Barack Obama vis-à-vis du Monde arabe au début de son mandat et aujourd'hui ; comment expliquez-vous ce changement ? ✔ J. K. : Barack Obama a donné beaucoup d'espoir au Monde arabe. Moi-même j'y croyais personnellement lorsqu'il a été élu et après son fameux discours en 2009 au Caire, où il avait annoncé un nouveau départ de l'Amérique vis-à-vis des pays arabes et musulmans. Malheureusement, les faits ont montré que malgré la bonne foi de Barrack Obama, il y a eu un revirement, que j'explique par deux raisons essentielles. D'une part la crise économique qui est née aux Etats-Unis et qui a frappé très durement l'économie américaine avec un taux de chômage de 10%, ce qui a fait que la notoriété d'Obama a été affaiblie. Ce qu'il faut savoir c'est qu'aux Etats-Unis la Constitution a bien équilibré les pouvoirs. Le Congrès joue un rôle très important, ce qui veut dire que le président n'a pas tous les pouvoirs. D'autre part, la présence du lobby pro-israélien, qui est extrêmement puissant par les positions que détiennent ses membres au Congrés, dans les grandes entreprises, les médias et le milieu des finances. Ces circonstances et l'approche des prochaines élections font que Barack Obama est obligé de suivre le courant s'il veut se faire réélire. ✔ F.N.H. : Lors des bouleversements qu'ont connus les pays arabes notamment la Tunisie, l'Egypte, la Libye et même la Syrie, le discours des Etats-Unis est toujours le même, à savoir la démocratie, la nécessité de répondre aux revendications du peuple et à la liberté d'expression… Toutefois, dans le cas de l'affaire palestinienne aucune action n'est réellement faite comme vous l'avez confirmé. Jusqu'à quant les Etats-Unis vont continuer à avoir une position déséquilibrée dans le conflit isrélo-palestinien? ✔ J. K. : En politique, il y a deux piliers : d'une part les grands principes comme la démocratie, les libertés, les droits de l'homme…et d'autre part les intérêts. Un chef d'Etat doit tenir compte, bien sûr des principes, mais il doit aussi veiller aux intérêts de l'Etat. Pour la Palestine la position des Etats-Unis est bien claire pour les différentes raisons citées ci-dessus. Pour les autres pays arabes, les Etats-Unis en plus de ces principes à vouloir soutenir tous les pays arabes qui veulent changer leurs systèmes politiques, il y a aussi les intérêts. Pour expliquer le dilemme dans lequel se trouve cette puissance économique il y a le cas de l'Egypte. Les Etats-Unis ont peur que les islamistes gagnent les élections et qu'ils remettent en cause les accords signés avec l'Israël. On ne comprendrait rien à la politique extérieure des Etats-Unis si on ne part pas du postulat de l'alliance stratégique avec Israël, et de leur soutien inconditionnel. Ce qui nous mène à dire qu'à côté des grands principes la réalité des actions est souvent justifiée par les raisons d'Etats ou les raisons d'intérêt stratégique. ✔ F.N.H. : Vous avez tiré une sonnette d'alarme sur le fonds de l'Unesco ; quel message voulez-vous transmettre aux dirigeants des pays arabes ? ✔ J. K. : Vous savez que les Etats-Unis ont voté contre l'adhésion de la Palestine à l'Unesco qui est une organisation scientifique et culturelle, ils ont même retiré leurs fonds. Je lance un appel aux pays arabes et musulmans les plus riches pour prendre en charge et en urgence ce déficit qui n'est pas un budget énorme, 120 millions de dollars. Cette initiative pourrait montrer que les Arabes sont forts et solidaires à la fois. Je compte sur les médias pour transmettre ce message et préserver ainsi le travail colossal que fait l'Unesco, vu qu'il s'agit de notre patrimoine mondial que nous devons préserver pour les générations futures. ✔ F.N.H. : Croyez-vous qu'avec ces changements, les pays arabes vont s'unir et constituer ainsi une force sachant, comme vous l'avez précisé, que la plupart de ces pays disposent d'une réelle force comme les ressources énergétiques : pétrole, gaz naturel…? ✔ J. K. : C'est vrai que les pays arabes ont une carte à jouer et qui sont bien évidemment les réserves financières. Toutefois, le Monde arabe n'est pas uniforme, il y a certes des pays très riches comme ceux du Golfe grâce aux ressources naturelles et d'autres non. Maintenant, pour parler d'unité arabe, malheureusement je n'y crois pas beaucoup. Le cas contraire pourrait se produire si et seulement si de véritables régimes démocratiques s'installent en Afrique du Nord. Je crois profondément à la démocratie et quand c'est la démocratie qui s'installe c'est l'intérêt général qui compte, ce qui pourrait éventuellement améliorer l'unité arabe. Mais si de l'autre côté, à savoir les pays du Golfe, les choses ne changent pas il n'y aura jamais d'unité arabe. On aura toujours cette dichotomie entre les pays qui ont avancé sur le plan démocratique et les autres qui sont restés figés dans leur système. C'est pour cette raison que je reste très prudent pour le court et le moyen terme sur le fait de dire que le printemps arabe va unifier les pays arabes et donc qu'ils adoptent une politique commun arabe. ✔ F.N.H. : Les différents intervenants ont évoqué la nécessité de revoir les relations entre les pays du Nord et ceux du Sud, que pensez-vous de ces relations bilatérales ? ✔ J. K. : Les pays du Nord ont été agréablement surpris que les peuples arabes se soient révoltés pour réclamer plus de démocratie, plus d'égalité sociale, plus de défense des droits de l'homme… Ce sont des principes que l'Occident a toujours défendus et appliqués aussi. C'est pour cela que les pays du Nord ont clairement exprimé leurs souhaits de soutenir les pays du Sud dans leur transition, politiquement et économiquement en les accompagnant dans la construction des institutions démocratiques. Les pays du Nord vont donc contribuer à la reconstruction de ces pays par des investissements, des aides publiques, le tourisme… ■ Dossier réalisé par L. Boumahrou