C'est un personnage à part entière, M'hammed Belhaj, célèbre par le pseudonyme Jacky. Artiste peintre, créateur de mode, il sera pendant plusieurs années ambassadeur de la mode marocaine à Paris. Et depuis deux ans, il a décidé de rentrer définitivement au Maroc, pays qu'il a tellement chéri. Souriant, avenant, il est difficile de croire que Jacky vient de traverser une épreuve difficile… Né à Rabat en 1945, Jacky est un enfant curieux et baigné dès son jeune âge dans un monde haut en couleur. En effet, son père, artisan, confectionne la fameuse babouche r'batie. Pour cela, il se rend souvent à la tannerie de Rabat et y emmène Jacky alors très jeune. «Quand je venais dans la boutique de mon père, il me donnait des pinceaux pour que je dessine. C'est le premier qui m'a encouragé à peindre». D'ailleurs, dans son espace, Jacky garde un tableau sur lequel il a collé des babouches marocaines; c'est en mémoire à son défunt père. Au Msid, il apprend la calligraphie arabe, ce qui va lui faire aimer davantage l'art. Enfant, il se rappelle avoir fait des escapades en mer. «Quand je rentrais à la maison, la seule façon pour ma mère de savoir si j'étais allé à la plage était de passer sa langue sur mon épaule. Et si elle était salée, gare à moi». La médina de Rabat va l'imprégner encore avec ses couleurs, son architecture, la chaleur de ses gens… Les sons et la musique aussi sont autant d'éléments qui influent sur Jacky et qu'on retrouve dans ses toiles. «Pourquoi faire de l'abstrait quand on a un patrimoine aussi riche que celui du Maroc». Jeune homme, il est passionné de musique et de danse. D'ailleurs, on va lui attribuer le surnom de Jacky. «C'était l'époque de la musique noire américaine et une amie m'a appelé Jacky en souvenir de Jackie Wilson». Jacky Belhaj continue son parcours scolaire sans grande difficulté et intègre l'ONCF. En 1971, on lui apprend qu'il doit rejoindre son nouveau poste à Paris. «Je ne voulais pas y aller au départ parce que je ne voyais pas ce que je pouvais y faire». Il suivra alors une année de formation et de stage pour pouvoir, une fois là-bas, négocier avec les fournisseurs les contrats d'achat de matériels. Avant de s'envoler pour Paris, il se marie avec la femme qui a su lui faire tourner la tête. «Au début, elle n'était pas chaude à l'idée de me connaître mais à la fin, c'est elle et sa famille qui ont insisté pour que le mariage ait lieu avant mon voyage». Et c'est ainsi qu'il se marie un 2 septembre 1972 avant d'atterrir six jours plus tard dans la ville lumière. Il prend ses quartiers à Paris avant que sa douce moitié ne le rejoigne vers la fin de 1972. Trois ans plus tard, Jacky demande une mise en disponibilité de l'ONCF. C'est qu'entre temps, il fréquente l'Ecole des Beaux-Arts de Paris. «J'ai voulu faire autre chose de ma vie, laisser libre voie à ma passion pour l'art, le stylisme…». Il revient au Maroc et fait des emplettes de vêtements marocains traditionnels avant de repartir pour Paris. Là-bas, il travaille à les restyliser ! Le succès est immédiat et Jacky passe pour celui qui a internationalisé le Saroual marocain. Parmi sa clientèle, il compte des personnes influentes, mais reste tout de même discret. C'est ainsi qu'il va mener à bien son entreprise jusqu'à ouvrir 4 boutiques à Paris. «La 4ème Parenthèse» dans les Halles n'était pas qu'une boutique, mais également un lieu d'exposition de toiles, de photographies, de bandes dessinées…». Mais, comme la mode l'emportait sur les autres formes d'art, Jacky décide d'ouvrir ailleurs un atelier de peinture. Et dès 1980, il commence à exposer ses oeuvres. D'abord à Courchevel en Suisse, puis à Paris, Rabat, Casablanca, Marrakech, Madrid… Père de trois enfants, marié à la femme de ses rêves, artiste et homme d'affaires à succès, Jacky mène une vie de rêve… quand tout bascule en 2001. «J'étais en voyage au Maroc et quand je suis revenu à Paris, ma femme avait changé les serrures…». Sur conseil de ses avocats, il décide d'emménager seul le temps d'y voir plus clair. Il est informé que sa femme avait divorcé de lui un an auparavant avec la complicité du petit frère de Jacky et en usant de faux témoignages. La vie de Jacky bascule. Il est dépossédé de ses biens, privé de ses enfants sans rien y comprendre. «Le ciel m'est tombé sur la tête quand j'ai appris ces mauvaises nouvelles en cascades». Il prend le premier avion et rentre au Maroc. Il trouve refuge dans la peinture, elle seule pouvait le sortir de sa déprime. Lançant une procédure contre son ex-femme, il se reprend en main. Il commence d'abord par se faire un capital en travaillant dans le commerce d'antiquités. Il multiplie les expositions, participe à des ateliers communs… et arrive à retrouver le sourire grâce à l'amour de sa nouvelle femme qui a su lui redonner de la force. «Heureusement que mes trois enfants avaient déjà fait leur vie et on a pu les épargner. Mais à ce jour, je n'arrive pas à comprendre pourquoi mon ex-femme m'a fait cela !». Lauréat de la Médaille Nationale d'Or décernée par l'Académie Européenne des Arts à Paris, Jacky décide de rentrer définitivement au Maroc en 2008. Année où il organisera une exposition baptisée «Come Back au Maroc» tenue à Rabat. Les expositions vont se succéder au plus grand bonheur de Jacky qui retrouve son public marocain, lui qui a déjà subjugué sous d'autres cieux. Amoureux des couleurs, Jacky vient d'opérer un tournant puisqu'il ne peint qu'en noir et blanc. «En 2010, je suis parti pour Madrid où je participais au 4ème Concours international de peinture qui se tient à Alcazar de San Juan. Et depuis mon retour, je n'arrive plus à toucher aux couleurs». Jacky ne manque pas d'humour quand il évoque sa peur des avions. «Mon grand garçon est en Floride et insiste pour que je vienne le voir. Mais moi, j'ai peur des avions. Quand je suis là-haut, je deviens blanc ; or, moi, je suis black et je suis fier de l'être». Il faut dire que les thèmes peints en noir et blanc sont pratiquement les mêmes. Les femmes, les courbes, les yeux, les marabouts, les instruments de musique, la relation homme-femme, l'enracinement, l'Afrique, et surtout le Maroc. «Nous avons le pays le plus beau au monde. Yves Saint Laurent, Delacroix, Matisse… ils ne sont pas venus ici par hasard. Alors pourquoi aller chercher ailleurs ce que nous avons déjà ?».