Le secteur des nouvelles technologies souffre depuis plus d'un an d'une fuite de ses ressources humaines vers l'étranger. La présidente de l'APEBI revient à la charge et décline même les leviers pour lutter contre cette hémorragie qui menace le secteur et ses entreprises. C'est un phénomène préoccupant qui avait démarré, il y a un an de cela et il s'est accentué en 2018 ! Il s'agit d'une fuite des ressources humaines qualifiées qui menace sérieusement le secteur des nouvelles technologies au Maroc. Ça part du développeur, du chef de projet, au responsable sécurité... tout ce qui touche au digital. Et pour cause, avec l'arrivée d'Emmanuel Macron et sa politique de transformer digitalement le France, cela se traduit par beaucoup de projets et de besoins en ressources humaines en France spécialement. Les conséquences s'en font sentir au Maroc. « Ça attire les jeunes recrus ainsi que les personnes expérimentées. En général, les jeunes ont envie de découvrir d'autres pays et les expérimentés parce qu'il n'y a pas encore de projets très intéressants sur le Maroc. Et puis il y a l'environnement extérieur. Quand vous discutez avec eux, ils avancent que la différence des salaires n'est pas très importante mais quand on prend le coût de vie, à l'étranger il y a un meilleur système de santé, une meilleure école publique et tout est gratuit. Ici, vous avez beau augmenté les ingénieurs mais les frais auxquels ils doivent faire face notamment la scolarité des enfants et la santé dans le système privé pèsent lourds sur leur qualité de vie au Maroc », avertit Saloua Karkri-Belkeziz, Présidente de l'Apebi. D'ailleurs l'association qui regroupe toutes les sociétés du secteur a mené une réflexion en interne avant d'alerter les autorités publiques sur cette fuite des compétences vers l'étranger. Une hémorragie qui menace le secteur, moteur même du Plan Maroc Numérique 2020. Un opérateur du secteur livre un chiffre révélateur de la situation : « On cherche à recruter mais on ne trouve pas de profil à embaucher. En signant la paie ce mois-ci, j'ai constaté qu'il y a eu quatre recrutements et onze départs... on n'arrive pas à remplacer les départs et c'est très mauvais pour la destination Maroc et pour le secteur ». L'Apebi ne baisse pas pour autant les bras et étudie ce phénomène sur le volet social mais aussi dégage des pistes pour inverser la situation. « Nous savons pertinemment que l'on ne peut pas retenir les gens contre leur gré puisque nous sommes sur un marché ouvert et dans un contexte mondial globalisé de libre circulation des gens et des biens », reconnaît la Présidente de l'APEBI. Mais elle propose néanmoins trois leviers susceptibles de limiter les effets de cette fuite de cerveaux vers l'étranger sur les entreprises du secteur. Le premier est à actionner au niveau interne. Dans ce sens, il est utile de souligner dans ce sens qu'un travail est mené au sein de l'APEBI sur les politiques de gestion de ressources humaines et de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises du secteur. L'idée est de proposer aux ressources humaines un environnement de travail meilleur. Le deuxième levier, cette fois-ci externe, consiste au développement des compétences dans les régions. « Il y a douze universités au Maroc qui forment chaque année des promotions de qualité que nous recrutons, que ce soit de Tanger, d'Oujda ou d'ailleurs. Il faut arriver à les retenir au niveau des régions, en développant des projets importants sur place. D'ailleurs les entreprises gagnent à se déployer également en région puisque nous avions élaboré une étude comparative entre les régions de Casablanca et de Fès et il en ressort une diminution de 35 à 40% du coût », soutient Saloua Karkri-Belkeziz. Une tendance naissante mais pas assez sachant tout le gain en compétitivité commerciale qu'elle procure pour copter les investissements IT étrangers directement vers les régions. Même les grandes entreprises installées sur Casablanca gagneraient à se déployer vers les régions. « Cela se traduira par un gain certain en compétitivité, car recruter un jeune sur Casablanca revient plus cher que de le recruter sur Fès ou Oujda. En prime, cela permet également le développement économiquement cette région », assure la Présidente de l'Apebi. Le troisième levier est de former davantage de profils pour ce secteur. Juste pour avoir un ordre de grandeur, le Maroc forme 8.000 informaticiens par an alors qu'un pays comme la Pologne en forme 80.000 ! Le constat est sans appel ! « Vous me direz qu'il faut attendre trois à cinq ans la durée de formation d'une promotion, je vous dirais que non. Justement, l'avantage de ce secteur est que l'on peut effectuer des formations-reconversions et nous l'avions déjà fait en 2000 en formant en six mois des licenciés d'autres branche au développement informatique », relève-t-elle. Il s'agit de formations accélérées qui ont déjà fait leur preuve. Dans ce sens, l'APEBI a signé avec le ministère de l'Industrie et la CDG un protocole d'accord pour démarrer ces formations à partir de septembre prochain mais uniquement sur un échantillon de cinquante candidats avec un engagement écrit signés par cinq entreprises membres de l'Apebi pour les recruter une fois la formation-reconversion terminée. « Il s'agit pour nous de donner l'exemple et de montrer que c'est une action porteuse qu'il faut généraliser à des milliers de candidats. Et le marché est preneur ! », s'exclame S. Karkri-Belkeziz Aujourd'hui des solutions existent, il suffit juste d'en accélérer la mise en œuvre pour atténuer l'effet de cette hémorragie de la matière grise dont souffre ce secteur et qui n'est pas prête de s'arrêter. Les professionnels sont confiants face à un ministre réceptif et qui a demandé qu'on lui soumette des propositions dans ce sens. Par contre, il devra mobiliser les autres départements ministériels concernés, notamment celui de l'enseignement supérieur et les autres acteurs du marché de l'emploi comme l'ANAPEC... D'autant plus que le gouvernement est engagé dans le plan national de promotion de l'emploi et les besoins du secteur des nouvelles technologies constituent justement un gisement d'emplois. Le sujet s'invitera également aux débats lors de l'Aitex, prévu en octobre à Rabat. L'évènement organisé par l'Apebi, connaîtra la participation de Mounir Mahjoubi, le secrétaire d'Etat français en charge du numérique qui a confirmé sa présence. L'occasion de voir avec la France cette problématique et faire en sorte que le développement d'un pays ne se fasse pas au détriment, et par les ressources humaines, d'un autre !