Saloua Karkri Belkeziz, présidente de la Fédération des technologies de l'information, des télécommunications et de l'offshoring (APEBI), déplore les stratégies de prédation des chasseurs de tête étrangers auprès des jeunes diplômés marocains, et estime que leurs discours, séduisants, sont parfois trompeurs. D'après le ministre de l'Education nationale, de la formation professionnelle, de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Saïd Amzazi, plus de 600 ingénieurs quittent chaque année le Maroc dans le cadre de la fuite des cerveaux. Quelle est la situation du marché de l'emploi dans l'informatique ? Elle continue à se dégrader : on manque de ressources et il y a toujours des départs vers l'étranger. D'ailleurs, cette problématique figure à l'ordre du jour du conseil d'administration auquel je m'apprête à prendre part aujourd'hui, avec les plans d'action sur lesquels nous devons nous pencher. Plus il y aura d'informaticiens au Maroc, mieux on se portera, surtout avec les projets liés à la transformation digitale qui se développent. Nous avons besoin de compétences. Quel est votre avis sur l'attitude de prédation des recruteurs et chasseurs de tête au Maroc ? C'est ce qu'on déplore. Il y en a qui sont dans leurs droits, et d'autres qui, même s'ils n'en ont pas le droit car ce ne sont pas des sociétés spécialisées dans les technologies, utilisent le label français pour obtenir des visas rapidement. La demande est là, il y a des accords entre les pays, la libre circulation… Donc on n'a plus qu'à respecter. Il faut dire également que certains recruteurs vendent du rêve. Un Marocain qui n'a jamais quitté le pays, à qui on dit qu'il va gagner 2 000 euros par mois, soit 20 000 dirhams, ça lui semble beaucoup. Mais on ne lui dit pas qu'en région parisienne, il va devoir payer 1 000 euros de loyer et de charges minimum. Il y a un peu de tromperie. C'est une situation que l'on subit de toute façon, mais ce qui est important, c'est de faire notre maximum pour donner plus de chances à nos jeunes d'avoir une expérience à l'intérieur ou à l'extérieur du Maroc. Forme-t-on assez de compétences en informatique au Maroc ? Pas du tout. On est loin d'en former suffisamment – 8 000 par an. On a lancé plusieurs formations à l'APEBI, en plus des formations au niveau de l'OFPPT (Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail, ndlr) dans le cadre d'une stratégie présentée devant Sa Majesté. On va former des milliers de personnes et c'est tant mieux. La prise de conscience est là, seulement il faut accélérer la mise en œuvre des plans de formations. Quelles solutions peuvent être apportées ? Il faut améliorer l'environnement de travail, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'entreprise, ainsi que la protection sociale. Même au sein de l'APEBI, on a décidé de se remettre un peu en cause. On organise un ftour-débat avec l'Association nationale des gestionnaires et formateurs des ressources humaines Maroc (AGEF) pour aborder plusieurs points à ce sujet, notamment la manière dont on peut retenir les talents marocains. La régionalisation est aussi une solution car les régions du Maroc forment des informaticiens. Le digital est d'ailleurs l'un des seuls secteurs qui apparaît dans l'ensemble de nos régions. Il faut que l'Etat mette en place des systèmes avec les régions pour épauler les entreprises qui y sont présentes et diminuer la pression sur l'axe Casablanca-Rabat. Les jeunes pourront ainsi trouver du travail chez eux. De plus, on est en train de lancer un projet d'immigration choisie avec l'Union européenne. L'UE va former de jeunes marocains ayant un profil scientifique à la recherche d'un emploi, dont 30% pourront travailler à l'étranger, en Belgique principalement.