La crise sanitaire exige l'accélération des chantiers afférents à la couverture sociale, la micro-assurance et la consolidation des acquis du secteur des assurances, levier important de l'économie nationale. Dans cet entretien, Hassan Boubrik, président de l'ACAPS nous livre une radioscopie du secteur à l'aune de la crise avec une projection dans l'avenir. Ecoactu.ma : Dans un contexte de crise sanitaire, comment s'est comporté le secteur des assurances notamment la branche Vie & Capitalisation qui, dans les contextes difficiles, souffre souvent de rachats de contrats ? Hassan Boubrik : Le secteur s'est montré plutôt résilient jusque-là. Les primes émises à fin août ont progressé légèrement de 0,2%. Les primes non-vie ont augmenté de 1,8% alors que les primes vie et capitalisation ont diminué de 2%. Cette baisse est due néanmoins à des opération exceptionnelles réalisées au mois d'août 2019. Si on neutralise l'effet de ces opérations, la branche vie et capitalisation serait plutôt en légère progression. Au déclenchement de la crise sanitaire, l'ACAPS a mis en place un dispositif de reporting dédié au recouvrement des primes d'assurances non vie. Huit mois après, quelle évaluation faites-vous du risque d'impayés des assurés ? A fin août 2020 le taux d'encaissement moyen était de 62% contre 72% une année auparavant. Nous constatons donc une baisse de l'encaissement des primes, dû probablement aux difficultés de trésorerie des assurés et des intermédiaires. La situation n'est pas inquiétante pour le moment. Nous suivons néanmoins l'évolution de cet indicateur de manière mensuelle et des mesures devront être prises si les choses se détérioraient. L'équilibre tarifaire de chaque famille de produits d'assurance se veut un chantier déterminant pour le secteur qui souffre d'un déficit chronique de certaines branches. Où en est actuellement ce chantier d'envergure ? Il s'agit principalement des assurances AT et Maladie qui enregistrent un déficit technique structurel depuis des années. Nous avons instauré une nouvelle provision intitulée « Provision pour Risque Tarifaire » afin de pousser les assureurs à rééquilibrer leurs tarifs. Cette provision est constituée par grandes catégories lorsqu'on constate un déficit technique. Un amendement a été apporté à la circulaire générale dans ce sens. Il a reçu un avis favorable de la commission de régulation le 14 septembre dernier et il est dans le circuit de publication. Néanmoins, nous pourrions envisager un report d'une année de l'entrée en vigueur de cette mesure, compte tenu de la conjoncture actuelle et si la situation l'exige. Le secteur s'apprête à accueillir un autre chantier notamment celui relatif à la solvabilité basée sur les risques qui devrait être prêt en 2020. Seriez-vous dans les délais ? Le projet avance bien. La circulaire relative au pilier II (gouvernance et exigences qualitatives) a été finalisée et a reçu un avis favorable de la commission de régulation en septembre. Elle sera mise dans le circuit de publication. Nous avons également élaboré un document d'orientation pour l'application de cette circulaire et pour renforcer les dispositifs de gouvernance, de contrôle interne et de gestion des risques des entreprises d'assurances. Ce document est en discussion avec le secteur et sera publié sur notre site au terme de cette consultation. S'agissant du Pilier I (exigences quantitatives), le projet de circulaire a été stabilisé sur la partie valorisation du bilan prudentiel à l'issue de la 1ère étude d'impacts quantitative (EIQ 1) qui a porté sur l'exercice 2017. La 2ème étude d'impact quantitative (EIQ 2) vient d'être lancée. Elle porte sur les exercices 2017, 2018 et 2019. Elle nous permettra de faire les calibrages nécessaires et de fixer les seuils pour la détermination des niveaux de Capital Minimum et de Capital de Solvabilité Requis. Nous espérons achever la collecte des données et avoir les conclusions de cette deuxième étude d'impacts avant la fin de l'année ou, au plus tard, à fin janvier 2021. Le pilier III relatif à la communication financière à destination du superviseur et du public sera finalisé, car il est en partie dépendant de la stabilisation des deux premiers piliers, sachant que les travaux sont déjà entamés. La crise sanitaire a mis à nu les fragilités structurelles sociales et sanitaires. Dans ce sillage, que peut faire l'ACAPS sur le plan réglementaire pour aider les personnes à faible revenu d'accéder aux micro-produits d'assurance ? Comme vous le savez, la promotion de l'inclusion financière et de l'accès du maximum de marocains aux services financiers constituent l'une des priorités des pouvoirs publics. La stratégie nationale d'inclusion financière a été approuvée par le Conseil National de l'Inclusion Financière, présidé par le Ministre des Finances. Sa déclinaison et son implémentation sont suivis par le Comité Stratégique issu de ce Conseil et présidé par le Gouverneur de Bank Al Maghrib. L'ACAPS est membre de ces deux instances et nous pilotons le groupe de travail relatif à l'assurance inclusive. Mais nous nous étions intéressés au sujet bien avant puisque nous avions lancé une étude à ce sujet en 2018. Cette étude a révélé qu'il existait une demande réelle en particulier en ce qui concerne l'assurance santé et décès pour les personne physique et la couverture dommages pour les TPE. Cette demande n'est pas satisfaite malgré l'existence sur le marché de quelques produits développés en partenariat avec des associations de micro-crédit ou Barid Bank. Parmi les raisons évoquées figurent celles liées aux limites imposées par le cadre législatif et règlementaire, en termes de canaux de distribution ainsi que le faible niveau d'éducation financière des populations en question. Pour remédier à cette situation, nous travaillons, avec les différentes parties prenantes, à faire évoluer le cadre réglementaire pour qu'il puisse soutenir le développement de cette assurance. Ainsi, nous espérons introduire très rapidement un ensemble d'amendements règlementaires qui concernent l'élaboration et la simplification des contrats de micro-assurance et l'élargissement de leur canaux de distribution, notamment aux établissement de paiement et aux opérateurs de télécommunication. Nous travaillons également, en collaboration avec la FMEF (Fondation Marocaine pour l'Education Financière) et la FMSAR (Fédération Marocaine des Sociétés d'Assurances et de Réassurance), au développement de programmes d'éducation financière ainsi que pour l'élaboration d'un plan d'actions spécifiques aux populations concernées par la micro-assurance. Enfin, nous prévoyons de lancer dès début 2021 une enquête de pénétration annuelle de la micro assurance au Maroc. Celle-ci nous permettra d'établir un baromètre et de disposer d'un état des lieux précis, puis de suivre l'impact réel, auprès des populations cibles, des diverses mesures et initiatives entreprises pour les exercices suivants. Dans les deux derniers discours, le Souverain a mis l'accent sur la nécessité de généraliser la couverture sociale. Quel rôle peut jouer l'ACAPS pour la mise en œuvre de ce projet ? Quinze années après avoir présidé la cérémonie de signature de la charte de mise en œuvre de la couverture maladie de base, SA MAJESTE LE ROI QUE DIEU L'ASSISTE, donne une impulsion nouvelle et décisive à la construction de la protection sociale pour tous dans notre pays. L'ACAPS a une mission de contrôle sur les organismes de prévoyance sociale qui lui a été dévolue par la loi 64-12. Cette même loi prévoit qu'elle donne son avis obligatoirement sur tous les projets de textes entrant dans son champ d'application. C'est à ce titre là que nous travaillons avec les départements ministériels pour la préparation des textes de loi relatifs à l'extension de la couverture, tels que ceux pris récemment en faveur de certaines catégories de travailleurs non-salariés. Mais au-delà de cette mission, nous serons totalement mobilisés et à la disposition des départements ministériels pour être une force de proposition et pour apporter notre expertise et notre contribution, afin que notre pays réussisse l'implémentation de ce chantier structurant aussi bien sur le plan social qu'économique. Quels sont les chantiers structurants en cours pour 2020 et 2021 ? Nous avons plusieurs chantiers structurants sur lesquels nous travaillons et que nous devons mener à bien, malgré le contexte difficile induit par la pandémie du COVID19. Dans le domaine des assurances, j'ai déjà mentionné le projet SBR pour lequel nous entrons dans une phase décisive, ou celui de l'assurance inclusive. Nous travaillons également sur l'entrée en vigueur effective du Takaful ainsi que sur le sujet important de la digitalisation. Une étude menée en concertation avec le Ministère des Finances, la FMSAR et la FNACAM est d'ailleurs en cours. La question de la distribution et de l'élargissement des activités et des sources de revenus des intermédiaires fait également partie de nos priorités. En matière de prévoyance sociale, nous poursuivrons le parachèvement du cadre réglementaire et de contrôle découlant de la loi 64-12 avec la publications des dernières circulaires et la mise en place des moyens de reporting et d'échanges de données avec les organismes concernés, mais notre priorité ira bien évidemment au chantier de l'élargissement de la couverture sociale. En tant que régulateur, quels sont les enseignements tirés de cette crise inédite qui selon les scientifiques n'est pas la dernière ? Nous tirons essentiellement trois enseignements : le premier est que nous devons en tant que régulateur être extrêmement vigilants face à aux risques émergents et que nous devons avoir une capacité d'anticipation et une agilité suffisantes pour réagir rapidement et faire face à des risques jusque-là jamais expérimentés. Les opérateurs doivent également développer les mêmes capacités. Cette crise nous conforte d'ailleurs dans notre volonté ferme d'aller vers le cadre prudentiel SBR qui prévoit, non seulement des réponses plus robustes sur le plan quantitatif, mais qui met l'accent, à travers le pilier 2, sur le développement d'une véritable culture d'anticipation et de gestion des risques au sein des entreprises d'assurances. Le deuxième enseignement est que les régulateurs doivent non seulement apporter des réponses adéquates garantissant la solvabilité du secteur, mais qu'ils doivent faire preuve de flexibilité et apporter provisoirement les allègements prudentiels nécessaires pour que le secteur puisse dépasser la crise, continuer à soutenir les assurés et à financer l'économie qui en a besoin plus que jamais. Le troisième enseignement a trait à la question des réponses que le secteur des assurances peut apporter à la couverture de ce type de risques, non seulement sur le volet prise en charge médicale, mais également en ce qui concerne la perte d'exploitation. Ce risque n'est évidemment pas assurable par le secteur seul. Mais il faut d'ores et déjà, à l'image des Cat Nat, réfléchir à des mécanismes impliquant l'état, le secteur des assurances et la réassurance internationale pour apporter des solutions de couvertures adaptées à l'avenir. Lire également : MICRO-ASSURANCE : LE PLAIDOYER DE RAMSES ARROUB, LE PDG DE WAFA ASSURANCE Lire également : ASSURANCES : LE DISPOSITIF POUR RISQUE TARIFAIRE BIENTÔT DANS LE CIRCUIT DU SGG