Si la gestion des affaires courantes de l'Etat peut se faire par des mesures transitoires et des dérogations, notamment le pilotage de la dépense, vu la conjoncture exceptionnelle imposée par la pandémie du Covid-19, l'on ne peut faire longtemps l'économie d'une Loi de Finances rectificative (LFR). La reprise ne saura se faire sans une LFR qui déterminera la nature, les montants et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, les hypothèses de la LF 2020 étant balayées par la pandémie. Pandémie, sécheresse, effondrement du prix du baril, morosité économique qui se répercutera sur les recettes fiscales... autant dire que 2020 est l'année de tous les périls. Le Maroc, à l'instar de tous les pays qui tâtonnent pour atteindre le bout du tunnel, est également dans une phase de navigation à vue dans un environnement international vacillant. La prise de décision devient périlleuse face à l'ampleur des défis, particulièrement sanitaires et sociaux, sans occulter la grande inconnue : la relance économique. Tout le monde en parle, mais par quel bout faudra-t-il commencer ? Les hypothèses de la Loi de Finances 2020 étant désormais caduques, plusieurs parties prenantes, notamment au sein du pouvoir législatif appellent à l'élaboration d'une Loi de Finances rectificative. D'habitude, l'Exécutif, pas uniquement l'équipe actuelle, préfère faire la sourde oreille à pareille demande et laisser faire le temps. Mais, les temps ne sont plus les mêmes, le pays entamE un virage décisif pour sauver l'économie à travers des actions de relance. Se pose alors la question du timing. Lequel des deux, plan de relance ou la LFR, doit intervenir en premier ? Il est évident que ce plan de relance aujourd'hui au stade de discussion au sein du comité de veille économique, devrait s'étaler sur plusieurs mois, voire une année, que s'il intervenait en premier, il est légitime de se demander à quoi servirait alors une Loi de Finances rectificative a posteriori ? Sauf à la réduire à une simple formalité qui s'accommoderait du contenu du plan de relance. Or, dans un entretien accordé à EcoActu.ma, le ministre des Finances, Mohamed Benchaâboun annonce qu' «A l'achèvement de cette première phase de crise, il s'agira de mobiliser les ressources budgétaires nécessaires pour redémarrer l'activité économique et veiller à leur usage de manière optimale afin de maximiser leurs retombées sur le tissu d'entreprises locales ». Mais sur quelle base et dans quel cadre ? En effet, c'est la Loi de Finance qui fixe pour un exercice, la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, ainsi que l'équilibre budgétaire et financier qui en résulte. Or, on est face à une LF dépassée. L'Exécutif ou plutôt le Comité de veille économique, procédera-t-il de son propre chef ? Décidera-t-il seul de choix qui impliquent toute une nation et en prendre seul la responsabilité ? Aussi bien les LF que les LFR répondent à des règles de vote et de présentation très strictes. En effet, on ne peut occulter ni outrepasser malgré la conjoncture difficile, le rôle du Parlement qui est coresponsable de l'action publique, comme le stipule la Constitution de 2011. De même qu'un plan de relance ne peut se substituer à une LFR, le CVE ne pourrait se substituer aux autres instances de la nation. Certes dans le contexte actuel, il est difficile de construire une LFR faute d'hypothèses fiables et de temps, les effets du Covid-19 changeant régulièrement la donne et les besoins exprimés devenant de plus en plus urgents. Néanmoins, la mobilisation de ressources et la programmation de dépenses peuvent être un premier jalon qui nécessite le juste équilibre entre les pouvoirs législatif et exécutif. D'ailleurs de l'aveu même du ministre des Finances, des scenarii sont actuellement à l'étude. Mais aucun horizon n'est à ce jour fixé, alors que la relance commence à se préciser et devient imminente. Les deux projets seront-ils alors déclenchés au même moment ? Pas si sûr. La LFR inévitable ? Nul ne peut occulter que la mise en place du comité de veille économique, sa composition, son format ramassé et la célérité de décisions, ont été autant d'éléments clés d'une riposte rapide à la pandémie. Cela dit, l'urgence de l'action publique pour pallier les effets de la pandémie prendra-t-elle le dessus sur l'impératif démocratique d'une politique économique et financière globale concertée entre législatif et exécutif ? Pour Najib Mikou, expert en études proactives et stratégiques, le gouvernement se dirige inévitablement vers une Loi de Finances rectificative dans les jours ou semaines à venir, et ce malgré ce qu'elle nécessite en termes de procédures légales et démocratiques et ce qu'elle coûte en temps. « C'est inévitable et c'est pour cette raison qu'il faut mutualiser les efforts de toutes les parties pour réduire ce temps afin que cette LFR ne devienne pas non plus un obstacle à la souplesse de gestion que nous impose cette conjoncture inédite », avertit Najib Mikou. Il estime que l'octroi du pouvoir d'arbitrage et de dépenses récemment par le gouvernement au ministre de l'Economie et des Finances n'est qu'une mesure transitoire pour assurer la gestion courante de différents départements de l'Etat et pour gagner un peu plus de temps faute de visibilité sur les décisions nouvelles ou correctives que l'Exécutif sera amené à prendre. Vu les circonstances actuelles, des changements il y en aura. Déjà le gouvernement a annoncé la couleur le 14 avril avec la circulaire relative à la rationalisation des dépenses publiques qui avait fait couler beaucoup d'ancre. Et bien que l'Exécutif se défend de toute austérité budgétaire, il n'en demeure pas moins que désormais, les départements ministériels ont été appelés à établir la liste de leurs dépenses et les discuter en réunion au niveau de la Direction du Budget au sein du ministère des Finances. Austérité ou pragmatisme ? Alors qu'un plan de relance nécessiterait une politique budgétaire expansionniste, le Maroc se goure-t-il de voie en empruntant le chemin d'une austérité budgétaire ? Présentant le décret relatif au dépassement des seuils de financement extérieur le 7 avril devant la commission des Finances, Benchaâboun avait déclaré « Il est inconcevable de mener le même train de dépenses dans les conditions actuelles. La rationalisation des dépenses est tout à fait logique suivant les scénarios futurs que nous avons établis suite à la durée de l'état d'urgence sanitaire ». A l'exception bien évidemment des dépenses d'investissement et de fonctionnement obligatoire revêtant un caractère d'urgence ainsi que les actions qui permettent une relance économique rapide... Le propos du ministre est tout à fait cohérent dans le contexte actuel. Mais, le risque est de voir des coupes budgétaires tous azimuts alors même que persisteront les poches de déperdition des deniers publics, d'inefficience des investissements publics... d'un train de vie élevé dont nous n'avions pas les moyens depuis belle lurette. Selon Najib Mikou, la conjoncture actuelle impose de repenser les priorités mais sans verser dans l'austérité. « Il faut d'abord, reconsidérer le budget des dépenses de fonctionnement non pas sous le prisme d'une austérité misérable et inefficace, mais plutôt dans une approche pragmatique, car personne ne pardonnera à l'Etat d'affecter ses ressources à des secteurs qui ne sont pas vitaux dans la poursuite du service public ». Le taux de réduction du budget de dépenses de fonctionnement, indépendamment de celles de personnel, peut atteindre facilement 25% à condition que le gouvernement ne soit pas tenté par une coupe budgétaire horizontale sur tous les secteurs. Les secteurs vitaux qui sont dans les premières lignes du front contre le Covid-19 non seulement ne doivent pas souffrir de ponction budgétaire mais au contraire disposer des moyens nécessaires dans cette guerre contre la pandémie, explique-t-il. Concernant le budget d'investissement, Etat et EEP, la rationalisation peut aller jusqu'à 35 % sans affecter les besoins en investissements publics. « Il s'agira pour l'Etat de redéployer ses moyens financiers avec une plus grande attention accordée à l'efficacité et le rendement de l'allocation des fonds publics », explique Najib Mikou. Il estime nécessaire de préparer un programme national global qu'il propose de baptiser « le programme Mohammed VI pour l'émergence économique et le développement social ». Une sorte de plan Marshall, visant à se concentrer sur cinq priorités stratégiques clairement imposées aujourd'hui que sont la sécurité alimentaire, la sécurité sanitaire, la sécurité énergétique, la sécurité numérique et la sécurité environnementale. Ce programme, qui sera mené sous la conduite effective du Souverain devra exploiter dans ses gènes, les conclusions des travaux de la Commission spéciale sur le modèle de développement, poursuit Najib Mikou. Plan de relance, modèle de développement... un mix est-il possible ? A ce jour, le Maroc a fait preuve d'une forme de résilience face à la pandémie bien que la partie soit loin d'être gagnée. Le hasard des choses a voulu que cette relance, avec des actions conjoncturelles, tant attendue et sur laquelle planche le CVE interviendra à quelques encablures de l'aboutissement des travaux de la Commission spéciale sur le modèle de développement, CSMD qui devra rendre sa copie comme prévu fin juin. Et bien qu'il n'existe pas de vases communicants entre les deux entités, ni d'horizons communs puisque le plan de relance s'inscrira sur quelques mois alors que le nouveau référentiel s'inscrira sur plus d'une décennie, les deux entités se rejoignent sur un point focal : crise sociale. En effet, si la relance concernera des actions de rattrapage à court terme pour atténuer la crise économique et désamorcer la crise sociale qui en découlera, le modèle de développement part d'une crise sociale vers une transformation structurelle du pays. Un mix serait-il possible ou de moins créer une sorte de relais entre les deux pour une action cohérente ? Il est certain que les prochaines semaines seront studieuses pour établir un planning clair des actions prioritaires et apporteront plus de précision et de visibilité vers où l'on dirige le pays.