Le marché de la dette privée au Maroc ne s'est pas assez développé et bute sur plusieurs écueils. L'usage insuffisant du rating, en dehors des établissements financiers, contribue aussi à freiner la dynamique de ce marché. Bassim Jaï Hokimi, Président de Atlamed Corporate Investment explique comment les mécanismes de financement innovants peuvent-ils s'imposer en tant que classe d'actifs. EcoActu.ma : Le marché de capitaux offre aujourd'hui de nouveaux instruments financiers (PPP, Private Equity, OPCI...). D'après-vous les ingrédients sont-ils tous réunis pour stimuler l'appétit des investisseurs à ce type de vecteurs de financement ? Bassim Jaï Hokimi : Nous disposons de cadres réglementaires, d'infrastructures techniques et de compétences, tant au niveau public que privé, très appréciables et suffisantes pour amorcer un décollage de ces instruments. Il faut bien sûr maintenir une concertation entre opérateurs et régulateurs pour accompagner leur développement, notamment au niveau des règles régissant leur comptabilisation et leur prise en compte dans les métriques prudentielles. Toutefois, pour qu'ils s'imposent en tant que classe d'actifs significative dans les portefeuilles institutionnels, il faudra construire un écosystème suffisamment large et diversifié en termes d'acteurs, comprenant également les particuliers, des fonds de placement collectifs, un marché secondaire voire des teneurs et animateurs de marchés. Le Private Equity en particulier souffre d'un manque d'opportunités de liquidité, que ce soit au niveau de cessions industrielles, d'introductions en bourse ou d'opérations secondaires. La fiscalité a aussi évolué positivement dans différents cas en consacrant par exemple un principe de transparence fiscale pour les OPCC (organismes régulés investissant dans les actions non cotées) ; il faudrait poursuivre la recherche d'incitations ou de levée de toute distorsion défavorable pour canaliser l'épargne longue, notamment des particuliers, vers des instruments innovants et susceptibles d'avoir un impact socioéconomique positif. Dans votre intervention lors de la 2ème édition des rencontres scientifiques de la CMR, vous avez regretté le fait que le marché de la dette privée ne s'est pas assez développé au cours des vingt dernières années. D'après-vous, quelles sont les contraintes ayant entravé le développement ce marché ? Ce marché est aujourd'hui fortement concentré sur les banques et autres établissements de financements et n'a pas pris la dimension que l'on pouvait espérer pour les opérateurs économiques, par exemple à partir des réformes engagées dans les années 90 au niveau des titres de créances négociables. Des difficultés rencontrées récemment par certains émetteurs et le rapport au risque des investisseurs potentiels, outre le manque d'un marché secondaire, ont accentué le manque d'appétence pour ces instruments. L'usage insuffisant du rating, en dehors des établissements financiers, contribue aussi à freiner la dynamique de ce marché, outre l'absence de Market Makers sur des titres de référence, à l'instar des animateurs du marché des bons du trésor, de tels animateurs devant se développer de préférence en toute indépendance des organismes de crédit bancaire. La réglementation est pointée du doigt par les opérateurs la considérant comme étant très rigide. Dans un contexte empreint d'incertitudes, comment le législateur doit-il procéder pour concilier entre souplesse et sécurité tout en prenant en considération, si l'on prend le cas des caisses de retraite, qu'il s'agit de l'argent des pensionnés ? C'est une question qu'il vaux mieux adresser aux gestionnaires concernés du fait des différentes dimensions techniques et sociales spécifiques aux caisses de retraite. Je me limiterai à quelques considérations générales. D'abord, la nécessité de bien identifier différentes classes d'actifs et de moduler la réglementation en conséquence en termes d'allocation, de valorisation et de pilotage des risques. Ensuite, l'adaptation de pratiques et normes internationales au contexte local, en prenant notamment en compte le niveau de profondeur et de liquidité de nos marchés, le degré d'exposition aux marchés extérieurs et les horizons d'investissement impliqués par les fonctionnement de nos caisses et leurs équilibres ou déséquilibres actuariels. Le placement à l'international est autorisé et pourtant les institutionnels n'y investissement pas. Qu'est-ce qui les empêche de le faire sachant qu'ils se plaignent de ne pas trouver des poches intéressantes où placer leurs fonds ? Il est logique que les institutionnels ayant des engagements domestiques et en dirhams prennent des positions en conséquence avec en plus le souci de privilégier le soutien à la création de richesse locale. Les placements internationaux nécessitent un travail supplémentaire de recherche, impliquent un risque de change et sont sujettes à des contraintes réglementaires telles que celles relatives aux provisions techniques des assurances. Cependant, il me semble indispensable de développer une allocation en actifs internationaux ne serait-ce que pour construire les compétences en la matière, pratiquer des instruments innovants et élaborer des outils de pilotage des risques prenant notamment en compte les corrélations éventuelles avec certains facteurs influençant les portefeuilles de placements locaux. Par exemple l'influence sur l'économie nationale des facteurs climatiques ou des prix des hydrocarbures peut inspirer des stratégies de diversification des risques sur les marchés internationaux. Il faut aussi prendre en compte les frais de gestion et frottements fiscaux éventuels pour de tels placements, selon le niveau d'externalisation de cette gestion et la règlementation propre à chaque marché. Les placements dans des instruments indiciels par le biais de l'offre de plus en plus abondante et efficiente sur différents marchés étrangers peuvent constituer une bonne base de départ pour initier une courbe d'expérience à moindre coût. Le Private Equity présente davantage de risques et de contraintes de liquidité mais peut également offrir des possibilités d'ouverture sur des espaces d'innovation de « business models » et de méthodes financières que l'on pourrait transposer localement. De quelle manière le monde académique pourrait-il contribuer à l'amélioration de la protection sociale dans un pays comme le nôtre où l'amenuisement des réserves plane comme une épée de Damoclès sur les différentes caisses de retraite ? Le domaine pour la recherche universitaire en la matière est infiniment vaste ! Il peut recouvrer la démographie, les modèles de croissance économique, la réglementation prudentielle, la fiscalité associée à l'épargne et l'investissement longs, l'optimisation de l'allocation stratégique des actifs entre instruments, durations et marchés géographiques, les comparaisons entre systèmes de prévoyance par répartition ou capitalisation, à prestation ou à cotisations définies, etc. Il faut évidemment développer un cercle de collaboration entre monde universitaire, régulateur, émetteurs et investisseurs et ce dernier séminaire organisé par la CMR sur l'univers des placements alternatifs en constitue une très bonne illustration. Lire également : PLACEMENTS DES CAISSES DE RETRAITE : DES DISPOSITIONS REGLEMENTAIRES REVOLUTIONNAIRES EN VUE