Après les promoteurs qui se lancent dans l'industrie du ciment (Ynna holding et Addoha), c'est au tour des cimentiers d'entrer dans le créneau de la promotion immobilière. Holcim Maroc a emprunté la voie… Il y a seulement quelques mois, cimentiers et promoteurs immobiliers s'accusaient mutuellement de marges excessives. Les uns et les autres se reprochaient des marges de plus de 30%. Les promoteurs estimaient avoir affaire à un cartel de cimentiers transnationaux qui est en train de faire mainmise sur le secteur du ciment au Maroc. D'où, disaient-ils, les prix du ciment ne faisaient qu'augmenter depuis quelques années. Pour leur part, les cimentiers s'en défendaient comme toujours d'ailleurs expliquant qu'il n'existait (et n'existe toujours pas) aucune forme de cartel ou d'accord pour élever le prix. «Même avec toutes les plaintes de l'augmentation des prix, le ciment marocain demeure peu cher comparé aux prix internationaux. Les dernières augmentations sont dues à la flambée des prix de l'énergie et elles n'ont pas l'objet d'entente entre nous», soulignaient-t-ils. Depuis, le ministère chargé des affaires économiques et générales, autorité de la concurrence, a recommandé une enquête pour entrave à la libre-concurrence dans le secteur du ciment. Mais depuis quelques semaines, cette guéguerre entre cimentiers et promoteurs immobiliers est en train de se transformer en lune de miel. Coïncidence ou pas, c'est quelques mois après la décision de promoteurs immobiliers comme Anas Sefriou, PDG du groupe Addoha et Miloud Chaâbi, patron du holding Ynna d'investir dans l'industrie du ciment que des cimentiers ont fait réciproquement le choix d'entrer dans le créneau de la promotion immobilière. Le premier à ouvrir ce bal est le troisième cimentier du Royaume, Holcim Maroc. Cette dernière qui ne tient pas pour l'instant à communiquer sur la question a créé une société dédiée exclusivement à la promotion immobilière. Dénommée «Promotion H.A.S.», la nouvelle entité a déjà finalisé plusieurs projets et compte également d'autres dans le viseur. À en croire une source proche de Holcim Maroc, «les premiers projets devraient être lancés au courant du premier trimestre 2008». Il faut dire que la filiale marocaine du groupe suisse n'a pas lésiné sur les moyens pour former son tour de table. Il s'est associé dans ce mariage à des partenaires pour lesquels la promotion immobilière n'a rien de secret. Côté marocain, il s'agit de la société Sotravo de Abderrahim Lahjouji, l'ex-patron de la CGEM, qui se positionnera certainement comme maitre-d'ouvrage. Comme partenaire à l'international, le troisième cimentier du pays a réussi à convaincre la société française AC2Mi, filiale de promotion immobilière du groupe toulousain PMV, qui apportera également son expertise dans ce nouveau métier pour Holcim Maroc. Pourtant, l'industrie du ciment apparaît aujourd'hui comme le secteur industriel le plus rentable au Maroc. Pourquoi les opérateurs sont-ils tentés par la diversification ? Le penchant des cimentiers pour la diversification Il faut dire que les cimentiers n'ont aucun problème à se financer par le système bancaire. «Outre notre capacité d'autofinancement, nous disposons d'un crédit de trésorerie important chez le holding Lafarge Maroc. Si cela ne suffit pas, nous pourrons facilement avoir recours à l'endettement», avait laissé entendre Jean Marie Schmidt, administrateur directeur général de Lafarge Ciment lors de la présentation des résultats de son groupe. À en croire d'ailleurs un directeur général des banques corporates d'une grande banque de la place, c'est avec les yeux fermés qu'ils financent les cimentiers. Toujours est-il que ces derniers dégagent déjà une bonne capacité d'autofinancement. Les quatre groupes cimentiers, tous filiales de multinationales, ont réalisé des bénéfices nets plantureux. Au total, ils ont engrangé près de 2,5 milliards de DH. Ces gains découlent d'une marge nette moyenne de près de 20 %, à en croire un analyste. «La rentabilité des fonds propres demeure supérieure à celle des autres activités industrielles», dit-il. Pour le cas de Holcim Maroc, cette dernière a enregistré en 2006 un résultat de 439 millions de DH. «Elle réaffecte ainsi ses cash-flows excédentaires à un métier aux marges très élevées et assez complémentaires à son activité historique», estime cet analyste. Pourtant, Holcim Maroc en est à sa deuxième diversification. A fin 2006, elle créait déjà une société spécialisée dans la gestion intégrée des déchets industriels. Dénommée Ecoval, le lancement de cette filiale a nécessité un investissement de 44 millions de DH. Après la filiale du groupe suisse, c'est au tour du groupe Italcementi Group, propriétaire de Ciments du Maroc, de se rapprocher de Douja Promotion, appartenant à Anas Sefrioui. Les deux sociétés auraient convenu d'un partenariat. Rappelons qu'Anas Sefriou, qui préside Addoha, compte déjà investir 3,6 milliards de DH pour la réalisation de deux unités, l'une dans la région de Béni Mellal et l'autre dans celle de Settat, sous la dénomination de Ciments de l'Atlas. Reste tout de même à savoir quelle forme prendrait cette alliance. Partenariat dans la production de ciment ou promotion immobilière, pour l'heure, les commentaires vont bon train. «Jamais le secteur cimentier n'a reçu autant d'investissement. Jusque-là au nombre de quatre, les groupes cimentiers, tous des multinationales accueilleront bientôt trois nouveaux entrants. Mais tous les acteurs lorgnent aujourd'hui la région de Settat proche du Grand-Casablanca, plus grand consommateur de ciment du pays. Italcementi Group pourrait être tenté de saisir l'aubaine avec Ciments de l'Atlas», estime un analyste. Jusque-là, les cimentiers ont adopté une politique de zoning. Un comportement que les promoteurs immobiliers jugeaient, il n'y a pas longtemps, en contradiction avec le code de la concurrence. Mais depuis que le groupe Holcim s'est attaqué à la région de Settat, ce semblant de «code de conduite» des cimentiers est violé. L'enjeu ici est le Grand Casablanca, le plus gros consommateur de ciment du Royaume. A une dizaine de kilomètres de la ville de Settat, dans la commune de Tamdroust, Holcim Maroc a terminé la construction de sa nouvelle cimenterie. Bien implantée sur les marchés du Centre-Nord et de l'Oriental avec un dispositif industriel important, Holcim veut renforcer sa position sur le marché du centre, pôle économique du Royaume. La vision stratégique du cimentier est de se renforcer sur l'ensemble du pays. Le zoning capote L'usine de Settat, assure-t-on auprès de la direction d'Holcim, va couvrir 20% du marché national. Lafarge Ciment, jusque-là seule dans cette région, est consciente du danger que présente cette implantation. «Holcim va nous piquer une partie de nos clients pour bien s'implanter sur le marché du Grand Casablanca. Les usines de Bouskoura et Settat offriront 4,6 millions de tonnes de ciment pour un marché de 3 millions et quelques seulement », a laissé entendre Schmidt. Le patron de Lafarge Ciments a estimé d'ailleurs que la fin du zoning qui régissait l'industrie du ciment a généré un «désordre». Il faut dire que ce n'est que le début du commencement. Outre ces deux groupes cimentiers, les deux opérateurs nationaux, promoteurs immobiliers de surcroît, qui s'apprêtent à intégrer le club des cimentiers, seront donc très courtisés par les multinationales. Récemment, c'est Cimpor (actionnaire de référence d'Asment Témara) qui a décidé d'installer une nouvelle unité à Aïn Jemâa (près de Meknès, territoire naturel de Lafarge). Donc, de la bataille en perspective. Reste à savoir si la concurrence se fera sentir au niveau des prix qui sont aujourd'hui pratiquement les mêmes.