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Initiative atlantique : Comment le Maroc peut éviter le piège des grands ensembles
Publié dans Challenge le 07 - 01 - 2025

Nombreux sont les experts de la diplomatie économique ou encore de la géoéconomie qui estime que l'Europe a atteint ses limites, se traduisant par un « détricotement de l'Europe », comme le dit Francis Gutmann, diplomate français. En Amérique également, les nombreux projets de travail commun n'ont pas donné de bilan réel. Le Mercosur, l'Unasur, voire même la politique Alba, fondée en 2004 à l'initiative de Cuba... Tous ces projets ont été confrontés à des problématiques diverses qui ont freiné leur élan. Quel modus operandi marocain dans une région du Sahel très instable ?
Avec sa façade atlantique de 3 000 kilomètres et son rôle de carrefour entre l'Afrique, l'Europe et les Amériques, le Maroc se positionne aujourd'hui comme un acteur clé pour structurer une coopération régionale dans l'espace atlantique. Cependant, l'histoire récente des grandes alliances économiques et diplomatiques met en garde contre les écueils de ces projets.
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En Europe, l'Union européenne fait face à une fragmentation politique croissante et une économie qui peine à croître (0,7 % attendu en 2024 selon la BCE). De l'autre côté de l'Atlantique, des initiatives comme le Mercosur ou l'Unasur ont montré leurs limites, entravées par des divergences internes et une absence de vision partagée. Même des blocs plus idéologiques, à l'image de l'Alba fondée par Cuba en 2004, ont échoué à s'imposer durablement sur la scène internationale.
Dans ce contexte, l'initiative du Maroc est face à un défi de taille : comment bâtir une stratégie de coopération efficace sans répéter les erreurs des grandes alliances mondiales ? Ce défi est amplifié par l'instabilité chronique de la région sahélienne, où les risques sécuritaires, les conflits internes et une pauvreté endémique freinent toute dynamique régionale. En 2024, le Sahel comptait plus de 36 millions de personnes déplacées et un taux de croissance économique limité à 3 %, selon la Banque mondiale.
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Si le Maroc aspire à jouer un rôle moteur dans cette région, il devra concilier son ambition de leadership avec la complexité d'un environnement géopolitique marqué par des tensions multidimensionnelles. Par ailleurs, il faut admettre que le Royaume dispose d'atouts stratégiques pour relever ce défi. Fort de ses investissements massifs dans les infrastructures portuaires (comme Tanger Med, le premier port d'Afrique) et d'une diplomatie proactive sur le continent, le Maroc a la capacité de proposer un modèle de coopération atlantique à la fois pragmatique et inclusif. Mais pour réussir, il devra répondre à une question cruciale : quelles innovations institutionnelles, économiques et diplomatiques permettraient d'éviter les pièges des ensembles rigides tout en favorisant une intégration souple et adaptée aux spécificités de la région ?
Faut-il une doctrine économique ?
Depuis des décennies, sur le continent, le terrain de l'intégration régionale a été investi avec une pluralité de projets : la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE), la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao), la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), ou encore le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (Comesa). Tout comme en Amérique du Sud, l'enjeu de la stabilité a rendu tout projet de développement difficilement réalisable. Les chaos somalien et libyen, ainsi que les groupes terroristes comme AQMI ou Boko Haram, perturbent toutes les régions avoisinantes.
Partant de ce prisme de défi, quel modus operandi de résilience pour l'initiative du Sahel ? « Les pays africains de l'initiative atlantique, à sa tête le Maroc, doivent travailler dans l'élaboration d'une doctrine économique africaine commune dont le but serait de construire une nouvelle offre africaine », prévient l'économiste Driss Aissaoui. Et de poursuivre : « Le projet de l'initiative atlantique, c'est l'avenir. Plus d'une vingtaine de pays africains vont utiliser leur savoir et leur savoir-faire pour transmettre de la valeur et devenir des vecteurs de richesse et de développement. »
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De son côté, l'expert Jamal Machrouh, Senior du Policy Center, déclare : « L'histoire du processus d'intégration européen présente des enseignements fort saisissants. Les pères fondateurs de l'intégration européenne ont débuté l'édifice de la construction par la concrétisation de la coopération dans deux domaines clés, à savoir le charbon et l'acier, et ce en instituant la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier. La coopération dans ces deux secteurs a rapidement constitué une sorte de locomotive qui a tiré la coordination et l'intégration européennes presque dans tous les secteurs. »
Et d'ajouter : « Dans ce sens, le processus de l'Afrique atlantique mériterait d'être fondé sur la concrétisation de la coopération et de l'intégration dans un nombre limité de domaines, mais avec des échéanciers et des objectifs bien établis. Un de ces projets structurants est le gazoduc Nigeria-Maroc, qui ambitionne de relayer les zones de production de gaz du golfe de Guinée à l'Europe en passant par tous les pays ouest-africains riverains de l'Atlantique. »
Les experts sont rassurés quant à l'avenir...
Pour Michel Vialatte, consultant international et expert des politiques publiques : « La stratégie atlantique du Maroc se distingue par sa dimension, appropriée aux enjeux d'une sous-région sahélienne que sa géographie physique et les découpages territoriaux post-coloniaux ont éloignée de l'accès à la façade atlantique du continent africain. Il y a un vrai génie diplomatique à avoir conçu une ambition d'aménagement du littoral atlantique saharien du Maroc avec l'objectif d'y concevoir des infrastructures de toutes natures : portuaires avec l'ambitieux Dakhla Atlantique, routières, maritimes (avec Dakar notamment) et, demain, ferroviaires (car il faudra bien relier le port de Dakhla aux régions du Souss-Massa et de Marrakech-Safi), accessibles aux pays jusque-là privés d'accès pour l'exportation de leurs productions. »
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« Le positionnement géographique de la Mauritanie, passage obligé vers les provinces méridionales du Maroc et son littoral, mais aussi l'intérêt bien compris des deux pays (Maroc et Mauritanie) à penser ensemble le modus operandi de l'organisation des échanges interétatiques de la sous-région, conduira rapidement et mécaniquement à un renforcement significatif de la coopération bilatérale marocco-mauritanienne et, ainsi, donnera vie, sur le flanc sud-ouest du Maghreb, à une première esquisse d'une Union du Maghreb arabe qui s'avère impossible à construire sur son flanc nord-est. »
Quant au président de l'IMRI, Jawad Kerdoudi, selon lui, dans ce projet, la faisabilité l'emporte sur la complexité. « Le Maroc a un problème qui est celui de la reconnaissance de la marocanité de son Sahara. Entre les Etats, il n'y a pas de sentiment, il n'y a que des intérêts. Aussi, le Maroc a lancé deux grands projets pour l'Afrique : l'accès des pays enclavés du Sahel à l'océan Atlantique via le port de Dakhla. Ce projet a beaucoup intéressé le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. De plus, ce projet a poussé le président mauritanien à se rapprocher du Maroc en accompagnant le Roi Mohammed VI aux Emirats arabes unis pour chercher du financement. L'autre projet, le gazoduc Nigeria-Maroc, va traverser 13 pays qui vont recevoir une contribution financière sous forme d'argent ou en nature. Ces deux projets marquent le dynamisme de la diplomatie marocaine et accroissent le prestige du Maroc sur la scène internationale. »
« Aussi, je suis favorable à ces grands projets qui sont certes difficiles à mettre en œuvre mais qui valent la peine », conclut Jawad Kerdoudi, président de l'IMRI.


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