Au cœur des rivalités maghrébines, la Mauritanie occupe une place stratégique qui la lie à ses voisins immédiats, le Maroc et l'Algérie. Si Nouakchott revendique une neutralité politique, les intérêts économiques profonds avec le Royaume rappellent que Rabat constitue un partenaire crucial. Depuis plusieurs décennies, le Maroc s'impose comme un acteur central dans le développement économique mauritanien. Premier investisseur africain en Mauritanie, le Royaume a multiplié les initiatives dans des secteurs stratégiques comme les télécommunications, les banques, les matériaux de construction, les carburants et la pêche. Les échanges commerciaux entre les deux pays, qui ont atteint 300 millions de dollars en 2022, témoignent d'une coopération solide et en constante progression. Lire aussi | Sa Majesté le Roi reçoit le président mauritanien à Casablanca Le Maroc : Un partenaire pérenne pour Nouakchott Les entreprises marocaines ne se contentent pas d'une présence économique. Elles participent à la structuration du développement mauritanien, notamment à travers des projets d'envergure comme le champ gazier offshore Grande Tortue Ahmeyim (GTA). Ce dernier, partagé entre la Mauritanie et le Sénégal, pourrait renforcer le projet de gazoduc Maroc-Nigeria et diversifier l'approvisionnement énergétique du Royaume. Malgré ces avancées, les relations entre Rabat et Nouakchott restent fragiles. La prudence mauritanienne, dictée par le souci de ne pas froisser l'Algérie, limite parfois le potentiel de cette coopération. Les relations diplomatiques connaissent des moments de tension, souvent alimentés par des incidents isolés, mais ces perturbations ne doivent pas occulter les opportunités économiques qu'offre ce partenariat. Lire aussi | Maroc-Mauritanie : Les exportateurs marocains face à une hausse spectaculaire de 171% des taxes douanières au passage de Guergarat L'Algérie, des ambitions qui peinent à rivaliser Face à l'influence marocaine, l'Algérie cherche à renforcer sa présence en Mauritanie, mais ses initiatives sont limitées. Certes, Alger a intensifié ses efforts ce dernières années, notamment en inaugurant une banque algérienne à Nouakchott, en établissant un poste-frontière fixe et en lançant les travaux de la route Tindouf-Zouerate. Ces projets révèlent la volonté d'Alger de faire de la Mauritanie un pont vers l'Afrique subsaharienne. Cependant, les échanges économiques entre Alger et Nouakchott demeurent modestes en comparaison avec ceux du Maroc. L'Algérie peine à égaler l'influence marocaine, non seulement en termes de volume, mais aussi en termes de diversité des secteurs d'intervention et d'expertise. Si Alger se positionne comme un fournisseur énergétique et un partenaire d'infrastructures, elle n'a pas réussi à concurrencer le Royaume dans les secteurs clés du développement mauritanien. Lire aussi | Un ancien ministre algérien appelle les militaires à abandonner leur politique sur le Sahara marocain [Vidéo] Une neutralité politique à double tranchant La position de neutralité revendiquée par la Mauritanie entre le Maroc et l'Algérie est un exercice d'équilibrisme délicat. Sur la question du Sahara marocain, Nouakchott reste fidèle à une posture minimaliste, affirmant sa neutralité et évitant tout geste qui pourrait être perçu comme un soutien explicite à l'un ou l'autre camp. Cette stratégie vise à protéger ses relations bilatérales avec ses deux voisins tout en s'épargnant des tensions qui lui semblent jusqu'à présent inutiles. Cependant, cette posture limite un approfondissement des relations économiques avec le Maroc. L'Initiative Atlantique, lancée par le Maroc pour offrir aux pays enclavés du Sahel un accès à l'Atlantique via des infrastructures au Sahara, est un exemple de projet stratégique qui pourrait bénéficier grandement à la Mauritanie. Mais les hésitations de Nouakchott vis-à-vis de cette initiative soulignent une prudence mauritanienne, soucieuse de ne pas être perçue, alors qu'elle est en train de le devenir, comme un allié stratégique de Rabat. De même, la Mauritanie a refusé d'adhérer à la « Nouvelle formule » maghrébine proposée par Alger, illustrant sa volonté de ne pas compromettre ses relations avec le Maroc. Cette neutralité, bien que pragmatique, pourrait devenir un obstacle si les pressions diplomatiques s'intensifient. Lire aussi | Maroc-Nigeria. Le Royaume parie sur le gaz d'Abuja Le Maroc, un partenaire incontournable pour l'avenir Malgré les défis, les liens économiques avec le Maroc représentent une opportunité unique pour la Mauritanie. Les entreprises marocaines apportent non seulement des investissements, mais aussi une expertise et un savoir-faire qui contribuent à la modernisation des infrastructures locales. La coopération dans des secteurs stratégiques comme l'énergie, les transports et la finance pourrait permettre à Nouakchott de consolider son développement à long terme. De plus, le Maroc, en tant que porte d'entrée vers l'Europe et hub économique africain, offre à la Mauritanie un levier stratégique pour diversifier ses partenariats et ses débouchés. A condition de surmonter les tensions ponctuelles et d'approfondir leur coopération, Rabat et Nouakchott ont tout à gagner à renforcer leurs relations. Si la Mauritanie maintient une neutralité minimaliste entre Rabat et Alger, les faits économiques parlent d'eux-mêmes. Le Maroc, de par son rôle de premier investisseur africain et son ancrage stratégique en Afrique de l'Ouest, représente un partenaire de long terme essentiel pour Nouakchott. Lire aussi | Sahara marocain: l'initiative d'autonomie gagne un nouveau soutien en Europe Dans un contexte où l'Algérie reste dans une posture réactive et peine à rivaliser avec le Maroc, la Mauritanie pourrait être tentée d'approfondir définitivement ses liens avec le Royaume, en dépit des tensions régionales. Ce choix, fondé sur des intérêts économiques bien compris, pourrait ouvrir une nouvelle ère de coopération bénéfique pour les deux nations, tout en affirmant la place centrale de la Mauritanie dans le développement régional. A ce titre, la récente rencontre entre Sa Majesté le Roi Mohammed VI et le président Mohamed Ould Ghazouani, a eu le mérite de clarifier les perceptions. En effet, les deux chefs d'Etat ont affirmé leur détermination à développer des projets stratégiques pour la liaison entre les deux pays voisins, et à coordonner leurs contributions dans le cadre des Initiatives Royales en Afrique, particulièrement le gazoduc Africain-Atlantique et l'Initiative visant à favoriser l'accès des Etats du Sahel à l'Océan Atlantique. Cette position commune lève toute équivoque sur l'avenir de la relation maroco-mauritanienne et ouvre la voie à une coopération bilatérale renforcée dans des domaines essentiels aussi bien pour les deux pays que pour l'ensemble de la région.