Bien sûr, une défaite est un très mauvais signe. On le sait depuis la nuit des temps, depuis l'Antiquité romaine où un chef de tribu vainqueur ajoutant le poids de son glaive dans la balance qui devait déterminer le montant du butin et des rançons s'écria « Malheur au vaincu ». Phrase restée dans l'Histoire où elle prit force de proverbe, voire de loi. Aucune pitié pour le vaincu qui ne peut plus que subir. Il y a aussi la fable, bien connue, du lion devenu vieux qui, ne pouvant plus se défendre, subit toutes sortes de railleries et de brimades de la part des autres bêtes de la jungle qui, jadis, le craignaient et qui, désormais, ne se cachent plus pour l'humilier. Le vieux lion au comble de la détresse, soupirera en désirant quitter ce monde lorsque suprême injure, il reçut une ruade de la part d'un âne « Ah c'est mourir deux fois que de subir tes atteintes », lança-t-il dans un dernier rugissement . La foire aux injures Ainsi en va-t-il dans la vie de nos sélectionneurs nationaux des Lions de l'Atlas qui sont lapidés, détruits moralement ou taillés en pièces à chaque défaite. Toute cette semaine, Rachid Taoussi, malheureuse dernière victime de cette sinistre tragédie de notre football, en a pris pour son grade. Au lendemain de la défaite face à la Tanzanie les gros titres et commentaires désobligeants «fleurirent» dans les manchettes des journaux. «La gifle» ... «la honte » ... « la débâcle » ... « la catastrophe ». Jusque là, rien que du très normal, somme toute, ce sont des vocables que l'on retrouve assez régulièrement sous la plume de nos chers confrères. Mais il y a eu plus grave on a pu lire aussi que « Taoussi et ses lapins des bois de l'Atlas ont jeté le football marocain dans les poubelles de l'Histoire ». Ou cet autre qui estime que Taoussi, subitement qualifié de « Tartar watani » (apprécier le jeu de mots sur Ittar watani, cadre national devenu hâbleur national) avait vendu des illusions au peuple marocain et lui a fait le pire cadeau jamais reçu par un citoyen. Et encore, s'il n'y avait que les articles et titres de presse, car aujourd'hui ô merveille de l'électronique, ô foisonnement des sites sociaux, ô jugements vite faits, vite expédiés dans les « facebook » et « twitters »où les glorieux anonymes s'en donnent à coeur joie « Qu'a-t-il fait de ces soixante millions qu'il touche mensuellement ? » – « on devrait lui fouiller les tonnes de valises, fruit de ses achats à l'escale de Dubaï ». Mais les plus féroces étant, comme de bien entendu, ses pairs dans le foot : anciens joueurs ou entraîneurs de clubs, qui, ouvertement, déplorent sur telle ou telle station de radio ou chaîne de télévision, qu'ils n'aient pas eu autant d'argent que Taoussi « parce que, eux, auraient su quoi en faire ». Pour le pompon, citons ce technicien réalisateur qui menace, carrément : « Lors du film sur le MAS et son épopée africaine, on n'a pas montré toutes les choses faites par Taoussi mais attention, on a gardé les rushes, on a toutes les images ». Fermons le ban, et tous aux abris. Voici le temps de grand n'importe quoi, du délire tous terrains, qui dans la curée générale donnent une bien drôle illustration de la grande fraternité du sport, monde où devraient s'inviter le fair-play et les bonnes manières. L'autre jour dans le n° 410 de Challenge –daté du 8 au 14 février 2013 – Jamal Berraoui déplorait le populisme dont se rendent souvent coupables nos parlementaires quand ils veulent traiter du sport. «On instrumentalise le sentiment de déception populaire et ce faisant, on crée un lien entre une prestation sportive et le fameux honneur national comme s'il s'agissait d'une guerre et non pas d'une compétition » relatait Jamal, à très juste titre. A la décharge de nos vaillants parlementaires, on ajoutera que le monde des médias ou celui des techniciens du football ne leur cède en rien dans l'art de se vautrer dans les colères et les déceptions pour en faire un cheval de bataille à la conquête des applaudissements de la foule. Car, entendons-nous bien, tous ces gens là, journalistes, entraîneurs, parlementaires, sont en représentation. Hier, ils applaudissaient les conférences de presse de Taoussi, ou l'invitaient à toutes sortes de réceptions pour lui rendre toutes sortes d'hommages. On se disputait sa présence, ou l'honneur d'être avec lui sur une photo. Aujourd'hui, c'est à qui trouverait la « meilleure » phrase, la pire formule pour le piétiner et le traîner dans la boue. Une longue habitude Maigre consolation pour Rachid Taoussi, il n'est que le suivant sur une longue liste de coachs nationaux vilipendés ou cloués au pilori. En 1978, deux ans après le triomphe d'Addis-Abeba et, à ce jour, notre seul titre en CAN, Mardarescu et son adjoint Ammari étaient balayés après la défaite (3-0) face à l'Ouganda. Ne parlons plus du tombereau de haine qui s'est abattus sur Guy Cluseau en 1979, lorsque l'Algérie nous a battus 5 à 1 à Casablanca. Et que dire de Abdellah Blinda obligé de s'enfermer chez lui, à Rabat de Juin à Décembre 94, après la Coupe du monde des USA où l'on avait aligné trois défaites, dont une face à l'Arabie Saoudite. De héros national et enfant chéri des foules, Blinda était subitement traité comme un élon national. Ce qu'ont subi Roger Lemerre, Henri Michel, ou encore Eric Gerets, est encore trop présent dans les mémoires de tous pour qu'on y revienne ici. Que reste-t-il, après chaque défaite, de ce tombereau de boue qui déferle sur notre football, car au-delà des personnes visées, c'est bien notre football qui est sali et humilié. Notre football, ce fameux sport roi, se relèvera-t-il de toute cette haine déversée sur lui après chaque déconvenue ? Or vu l'état de cette discipline, aujourd'hui de plus en plus dépassée sur le continent africain où sa dégringolade est flagrante, il faut dire que le football marocain a aujourd'hui plus besoin de soutien, de soins, de conseils, d'analyses que de coups de pieds et d'injures avilissantes. Si nos footballeurs ont, hélas, raté les buts sur le champ de jeu, il est malheureux et fortement préjudiciable de constater que les commentaires, après coup, sont de nature à aggraver la crise alors qu'ils devraient indiquer le chemin de la rédemption. Mais dans un football où le maitre mot est le punching ball et où le dénigrement est en train de s'ériger en sport national, il y a lieu de crier « Attention danger ». A force de piétiner, sans vergogne, notre football, on finira par le tuer. C'est ce qui arrivera si personne n'y prend garde, en commençant par son autocritique au lieu de toujours viser la paille dans l'oeil de l'autre sans voir que la poutre de l'intolérance l'a déjà aveuglé. ■