Il n'y a pas de réelle politique industrielle au Maroc. Et cela s'en ressent. Les secteurs, les un après les autres, sont touchés par la mondialisation. Dernière entreprise en date à en pâtir, Maghreb Steel. Retour sur l'histoire d'un fleuron national qui est arrivé à sauver in extremis son business. Ce qui arrive aujourd'hui à Maghreb Steel (MS), comme Legler Maroc il y a trois ans, montre à quel point l'industrie marocaine est fragile. Malgré la protection qui prévalait dans certains secteurs et pendant un moment, et malgré les programmes de mise à niveau, on se rend rapidement compte que nos entreprises industrielles n'arrivent pas réellement à faire face à l'ouverture du marché, même si elles ont trop investi pour développer leur business. Elles espéraient de meilleurs rendements, plus de débouchés. Mais la crise économique et financière dans le monde a brisé leurs espoirs. Les pays en difficulté ont commencé à exporter leurs produits à des prix défiants toute concurrence. C'est du dumping, crient nos entreprises qui sont incapables d'y faire face, à moins que des actions publiques ne soient entreprises. La semaine dernière par exemple, le décret de la loi sur la défense commerciale a été adopté en conseil de gouvernement. C'est un premier pas. Mais en attendant, les industriels tentent de sauver les meubles comme ils peuvent. Revenons au cas Maghreb Steel, le spécialiste de l'acier. Le groupe s'est lancé depuis près de cinq ans dans un programme d'investissement d'envergure, pour construire un complexe sidérurgique intégré spécialisé dans les produits de tôle d'acier. Le but est de renforcer l'autonomie du pays dans la production d'acier plat et de développer les exportations vers l'Europe (près de la moitié de la production), l'Afrique, le Moyen-Orient et l'Asie. Le groupe a ainsi signé quatre conventions d'investissement avec l'Etat pour la réalisation d'un laminoir à froid, d'une ligne de galvanisation, d'un laminoir à chaud et d'un deuxième laminoir à chaud, puis d'une aciérie... L'objectif est d'atteindre un degré d'intégration en matière d'ingénierie et de constructions. Ainsi, l'entreprise peut faire des économies. En 2011, Fadel Sekkat, son président, n'avait-il pas déclaré dans une de ses interviews accordée à un hebdomadaire de la place : « Ceci rend l'investissement moins onéreux que l'achat d'unités clé en main. Par exemple, un laminoir et une aciérie d'une capacité de production d'un million de tonnes reviennent, selon la norme internationale, à 1000 dollars la tonne, soit quasiment un investissement total de 1,5 milliard de dollars. Grâce à notre intégration, nous pensons réaliser l'ensemble au prix de 400 ou 500 millions de dollars, quasiment à moitié prix ». Ce projet dont il est question devait permettre à la société de devenir indépendante au niveau des approvisionnements. Mais les importations massives (notamment des produits finis) et l'agressivité commerciale des Espagnols a perturbé les prévisions du groupe. «L'Espagne, qui est aujourd'hui en crise, fait du dumping. Les prix bas des produits importés mettent en péril toute l'industrie sidérurgique », note David Toledano, président de la fédération des matériaux de construction. Il poursuit : «Il existe un réel danger pour le secteur. Nous oeuvrons pour la mise en place de clause de sauvegarde comme le contingentement des importations selon des quotas précis et nous travaillons également sur les niveaux de prix de référence qui doivent être acceptés». Des coupes devront probablement être réalisées dans les charges. Mais il n'est pas question aujourd'hui d'imaginer des fermetures d'usines au Maroc comme c'est le cas en Europe par exemple. Maghreb Steel a donné des frayeurs au marché, mais n'ira pas jusque-là. Resouscription aux billets de trésorerie ? Pour financer ses projets, le groupe prévoyait dans son business plan d'introduire Maghreb Steel en bourse. Cette option a été écartée (mais pas abandonnée) vu la conjoncture. Les autres pistes consistaient à emprunter auprès des banques, à émettre des titres de créances négociables ou à mettre la main à la poche. Parmi l'une des options choisies, celle d'émettre des billets de trésorerie (BT). Le programme a été lancé en 2002. Ses objectifs ? Faire face à la hausse des besoins en fonds de roulement, diversifier les sources de financement et optimiser la trésorerie et réduire les charges financières. La première émission est lancée en juillet 2002. Et de 800 millions de dirhams, Maghreb Steel a étendu son plafond d'émissions à 1,5 milliard de dirhams. Selon BMCE Capital Conseil, l'encours de ces billets de trésorerie (qui ont majoritairement une maturité d'une année) se sont élevés au 26 juin 2012 à 960 millions de dirhams. Le taux facial variant entre 4,1% et 4,55%. Mais, depuis 2011, le marché mondial de l'acier plat a pris un coup, surtout en Europe. La consommation a baissé et les prix des produits transformés ont chuté. Comme nous l'annoncions en exclusivité dans notre dernière édition, le groupe se trouve alors dans une mauvaise passe. Financièrement, il était en difficulté l'empêchant de rembourser les billets de trésorerie arrivés à échéance fin 2012. In extremis, les banques partenaires du groupe choisissent de le soutenir. Celles-là même qui sont lourdement impliquées avec les grands groupes, Attijariwafa Bank, BCP, BMCE et Crédit du Maroc ont décidé de rééchelonner une dette de 2 milliards de dirhams sur les trois prochaines années. La dette globale du groupe avoisine les 8 milliards. Dès lors où l'information a été reprise par les médias, Fadel Sekkat, s'est alors empressé d'en choisir quelques-uns (il a refusé au passage de recevoir ou de parler à Challenge prétextant son indisponibilité même à nous répondre par téléphone) pour rassurer la communauté financière. Il annonce que sa société doit faire face «temporairement» à une contraction de ses marges et à la concurrence de produits importés à bas prix sur le marché local. Comme si cela ne suffisait pas, il a jugé bon de rendre public un communiqué, quatre jours après que l'information ait été publiée sur son groupe, mentionnant le soutien et la confiance totale des principales institutions financières à l'égard de Maghreb Steel. De leur côté, aucune d'entre elles, pourtant cotées en bourse, n'a cru bon sortir de son mutisme. Pour apporter plus de crédit aux bonnes intentions du groupe, le président vient d'annoncer cette semaine une augmentation du capital social de l'ordre de 600 millions de dirhams (qui visiblement n'était pas prévue) pour «accompagner la société dans la montée en charge de son nouvel investissement (NDLR : complexe sidérurgique de Mohammedia qui pèse à lui seul 5,7 milliards de dirhams), le renforcement de sa situation financière et son développement futur ». L'on peut s'interroger alors sur l'aptitude de l'entreprise à mener cette opération, sachant qu'il y a à peine quelques jours, elle était dans l'incapacité de rembourser ses billets de trésorerie. Un banquier suppose que les institutionnels détenteurs de ces billets auraient décidé de (re)souscrire à ces titres de créances négociables. En d'autres termes, cela voudrait dire qu'au lieu de récupérer leur argent, ils décident de le réinvestir encore pour un moment (mais tout au plus une année). «C'est une manière d'éviter le remboursement et le défaut de paiement», admet notre source. C'est ce qui permettrait d'injecter cet argent pour permettre l'opération d'augmentation de capital. Les ratios prudentiels respectés La famille Sekkat peut donc souffler. Elle a évité le pire. Pour beaucoup, sa bonne réputation et ses bonnes intentions ont beaucoup pesé. Fadel Sekkat est patron de Maghreb Steel qui a trois filiales : Atlas CIT (sidérurgie), Maghreb Steel Europe (sidérurgie) et Imabriq (fabrication de briques). Il fait partie de la famille éponyme dont cinq frères ont légué à leurs enfants respectifs plusieurs business. Chacun gère aujourd'hui une entreprise. On retrouve dans le giron de la famille les sociétés comme Ingelec, Plastima, Imacab, 10Rajeb, Micafrik et Lamacom. Mais toutes ne sont pas regroupées dans un seul holding. Le fait donc d'appartenir à la famille Sekkat peut présenter peut être un gage aux institutions financières. Et qui sait, peut-être les cousins seraient-ils solidaires dans le cas où l'un se retrouverait dans le pétrin? En tous les cas, Maghreb Steel, qui a trop investi dans le secteur, ne baisse pas les bras. Ses actionnaires ont su gérer la situation pour que leurs banques les soutiennent. Mais jusqu'à quel seuil ? Nul n'ignore que les établissements bancaires sont tenus de respecter des ratios prudentiels, dont le coefficient de division de risque. Ont-ils été respectés? Et si ce n'était pas le cas, pourquoi la Banque Centrale n'a t-elle pas réagi, sachant qu'elle suit de près la situation des grands groupes? Pour une source digne de foi, de ce côté-là, il n'y a rien à craindre puisqu'aucun ratio n'aurait été dépassé. Ils sont respectés et Bank Al Maghrib continue de veiller au grain. Dans le souci de protéger le secteur financier, cette dernière aurait d'ailleurs demandé à l'ensemble des banques d'entamer une politique de provisionnement général en prévision de toute position d'éventuels risques potentiels. En mars prochain, lorsque les banques communiqueront leurs résultats annuels 2012, il ne faudra alors pas s'étonner de voir le niveau de provisionnement gonfler. Bref, cette affaire de Maghreb Steel, outre le fait qu'elle remet au goût du jour la problématique de la politique industrielle au Maroc, pose aujourd'hui la problématique de l'endettement des grosses structures. Si le textile (cas Legler Maroc, cf encadré) et la sidérurgie ont été touchés de plein fouet, il faudrait s'attendre à ce que d'autres secteurs le soient aussi. Les observateurs n'écartent pas la possibilité de voir des entreprises du secteur du transport maritime ou des hydrocarbures faire partie des prochaines sur la liste. Des groupes immobiliers avaient donné de sérieuses frayeurs, mais ils inquiéteraient un peu moins aujourd'hui. Pour résoudre le problème d'endettement, il faudra trouver des solutions. La titrisation des créances pourrait en être une. Une source bien informée avance également qu'une « aide » de la Banque Mondiale peut être sollicitée. « La Banque accorde aux pays, des fonds à des taux préférentiels pour sauvegarder leurs champions nationaux. Maghreb Steel ou une autre entreprise pourrait, au lieu d'emprunter à des taux d'environ 7%, le faire à des niveaux nettement meilleurs, 2,5% par exemple. Mais l'Etat marocain ne fait rien dans ce sens », déplore la source. Les ministères, entre autres, du Commerce et de l'Industrie et des Affaires Générales ont du pain sur la planche. La compétitivité de nos entreprises mérite un grand débat. Maghreb Steel en chiffres Année de création 1975 Activité Laminage à chaud, laminage à froid Produits brames, tôles, panneaux sandwich, PRS Sites de production 2 Effectif 2000 Production 2011 400 KT Chiffre d'affaires 2 596 MDH Le chiffre 960 MDH L'encours des billets de trésorerie de Maghreb Steel s'élève au 26 juin 2012 à 960 millions de dirhams.